Lisa Cez « Après mon accident de cheval, je savais que je me remettrais en selle. »
Elle avait 11 ans lorsqu’une chute de cheval lui fracture le bassin. Dix-sept ans plus tard, Lisa Cez s’apprête à prendre part aux Jeux paralympiques de Paris 2024 en para dressage avec son compagnon de longue date, Stallone de Hus. Rencontre avec une cavalière qui n'a pas froid aux yeux.
Par Sophie Danger
Publié le 27 août 2024 à 15h14
Tu t’apprêtes à participer aux Jeux Paralympiques de Paris, comment se déroulent les derniers jours avant ton entrée en compétition ?
Nous sommes en stage de préparation avec des journées assez intenses partagées entre le travail des chevaux, de grandes discussions sur la cohésion et des réflexions sur comment créer une équipe, même si on se connaît très bien. Nous avons une préparatrice mentale pour le groupe et nous sommes allés assez loin sur des choses personnelles afin de se connaître au-delà de l’aspect sportif.
Après, il y aura une compétition àassurer alors on profite de ces derniers moments pour optimiser le travailet se reposer au maximum afind’avoir la bonne dose d’énergie à dépenser quand viendra notre tour d’entrer en piste.
Comment appréhendes-tuce rendez-vous, probablement le plus important dans la vied’une sportive ?
Lorsque j’ai commencé l’équitation, je n‘avais pas de perspectivesd’avenirdans ce milieu-là,si ce n’est me faire plaisir en étant sur un cheval. C‘est une succession de rencontres qui m’ont fait aller vers le haut niveau. Avant mon accident, j’avais l’objectif de faire le Grand Prix Poneys et de me qualifier pour les Championnats d’Europe, mais ilm’a un peu freinée. J’ai malgré tout réussi à atteindre mon objectif et j’ai recommencé dans la catégorie junior.
Et puis, l’année dernière, avec mon cheval, j’ai eu ma première sélection en équipe de paradressage et le 10 juin,on m’a annoncé que j’étaissélectionnée pour ces Jeux Paralympiques qui seront mes premiers. C’est un très grand honneur, d’autant plus que ça se passe à la maison, en France, et qui plus est dans un lieu extraordinaire, Versailles.
Mon objectif est d’être digne de cette confiance qu’on m’a accordée. Je serai donc là à 100 % les jours de compétition.
De manière générale, qu’est-ce qu’ils représentent pour toi les Jeux Olympiques et Paralympiques ?
Pour nous athlètes, c‘est le plus grand rassemblement de la planète. En équitation, c’est la plus prestigieuse compétition à laquelle on puisse concourir. Être sélectionnée pour y participer signifie qu’on a réussi,à force de travail, à avoir la possibilité de concourir pour cet événement majeur. Encore une fois, c’est un honneur même si, pour le moment, je ne me rends pas trop compte de ce que je vais vivre.
Certains de mes coéquipiers, qui ont déjà participé auxJeux,m’ont dit que c’était une compétition qui n’était pas comme les autres. Je me suis préparée avec mon coach mental à vivre cette échéance et à en profiter, tout en restant extrêmement concentrée. Paris 2024 n’existera qu’une fois, il faut que je me tienne prête.
Tu l’évoquais plus haut, rien ne te prédestinaità prendre part à cette compétition–là. Tu n’es issue ni d’une famille de sportifs, ni d’une famille de cavaliers et pourtant, tu vas découvrir l’équitation grâce à ton grand-frère. Tu as alors 5 ans. Comment ça s’est passé ?
Je ne viens pas d’une famille avec des sportifs de renom, en revanche, mes deux grands-frères et moi avons des parents qui ont toujours voulu nous éveiller soit par la musique, soit par le sport et nous avons beaucoup pratiqué les deux.
Mon grand-frère a commencé l’équitation à l’âge de 13 ans.Un jour alors que je le suivais sur une compétition, je me suis arrêtée à côté des rectangles de dressage et j’ai dit à ma mère que c’était ce que je voulais faire. Elle m’a inscrite en club pour la saison et ça m’a tout de suite plu. J‘avais une certaine aisance avec les chevaux et de plus, j’ai eu, à l’époque, la chance d’avoir une monitricequi ambitionnait de nous apprendre à monter à cheval et non à nous faire faire des jeux à poneys ou autres. En parallèle de mes sessions, je pratiquais aussi la danse.
Tu as été contrainte de choisir entre les deux ou ta passion pour le cheval a décidé pour toi ?
J’ai commencé les compétitions en équitation à l’âge de 7 ans. Entre la danse et le cheval, ça me prenait beaucoup de temps alors mes parents m’ont demandé de faire un choix et je me suis dirigée vers l’équitation. Pourquoi? Jene sais pas, on a plutôt la musique dans la peau dans la famille et on danse bien, mais je crois que c’est la relation avec l’animal qui a fait pencher la balance, relation qui d’ailleurs m‘émerveille toujours autant après vingt-trois ans de pratique !
Personnellement, ce qui m’intéresse plus que tout, c’estle dressage parce que, malgré une base commune, tous les chevaux sont différents et j’aime cette recherche-là. Attendre que le cheval soit prêt pour faire un mouvement donnéme passionne, d’autant que c’est un éternel recommencement : on n’a jamais le mouvement parfait, on peut toujours le perfectionner, chercher à l’améliorer même si le cheval est dressé. C’est très enrichissant de pouvoir vivre cette relation avec les chevaux et partager cette confiance qu’ils nous donnent.
C’est en 2007 que tavie bascule. Tu es victime d’un grave accident à cheval. Tu souffres d’une double fracture du bassin et il va te falloir dix mois d’arrêt et de rééducation.
Ce jour-là, à 17h59, j’étais tout à fait valide et, à 18h00, je ne pouvais plus marcher. C’était un mercredi. J’étais en selle et j’attendais mon cours lorsqu’un cheval a pris la main à sa cavalière et nous a percutés, moi et ma jument, en plein galop. Avec la puissance du choc, nous avons été projetés trois mètres plus loin dans la barrière et je me suis retrouvée avec le dos encastré dans les demi–rondins de bois avec ma jument, elle, encastrée dans mon bassin.
On s’est très vite rendu compte que je ne pouvais plus me lever ni marcher. J‘ai été hospitalisée dix jours avec des tractions au bout des pieds pour maintenir mon bassin à plat. Par la suite, avec ma famille, nous avons décidé de continuer, mais à la maison. Mes parents ont fait venir un lit médicalisé pour que je puisse y passer mes onze semaines de convalescence, onze semaines pendant lesquelles j’ai eu l’interdiction de bouger sauf les bras et la tête.
Je voulais absolument remarcher pour pouvoir me remettre à cheval.J’ai eu de très nombreuses séances de kiné en préventif pour remobiliser mes jambes et mes pieds. Je me suis d’abord déplacée en fauteuil roulant et puis j’ai réappris à marcher avec des béquilles,puis par moi-même. C‘était très douloureux mais, pour tenir mentalement, je me raccrochais à cet objectif : remonter à cheval.
Dès que j’ai pu enfin remarcher tranquillement sur mes deux jambes, j’y suis retournée et là, ça a été un autre combat. J’ai commencé par cinq minutes au pas, puis dix et ainsi de suite jusqu’à pouvoir marcher, trotter et galoper comme avant… Enfin comme avant, jusqu’à pouvoir être capable, physiquement, de faire une séance au pas, au trot et au galop. Ce n’est qu’après cela que j’ai pu me remettre au travail et refaire des mouvements.
Tu n’as jamais eu peur de monter de nouveau à cheval ?
J‘étais encore à terre quand j’ai dit à ma mère qui était au téléphone avec les pompiers : « Ne t’inquiète pas maman, jesens mes pieds.Je ne peux pas me lever mais je remonterai à cheval. » Je n‘ai jamais appréhendé de remonter à cheval parce que ce n‘était pas mon cheval qui m’avait fait tomber. C‘est un événement extérieur qui a apeuré le cheval qui a causé mon accident et ça, je peux tout à fait le comprendre parce que la fuite est, pour ces animaux, une stratégie de survie.
Je me suis trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, c’est tout. Ça m’a appris la vie très jeune, ça m’a aussi permis de développer ma force de caractère et cette volonté de toujours vouloir atteindre mes objectifs.
Tu n’as eu aucune appréhension à retourner sur un manège ?
Je n’ai jamais eu peur de mon cheval, mais j’appréhendais de travailler avec d’autres personnes autour parce que je ne suis pas sur le cheval des autreset je ne peux donc pas les contrôler. J‘ai eu la chance d’avoir un entraîneur qui était coach de l’équipe handisport du Brésil pour le paradressage et quime réservait un bout de manège uniquement pour moi.Ça m’a permis de retrouver progressivement assez de sérénité pour pouvoir travailler avec d’autres personnes.
Depuis,j’aiconnu d’autres chutes, j’ai vécu d’autres situations où des cavaliers sont arrivés un peu trop vite à côté de moi,maistout va bien.
Un an et demi après ton accident, tu vas renouer avec la compétition mais tu continues à évoluer sur le même circuitqu’avant…
Oui, j‘ai repris ma vie comme elle était. Avant mon accident, j‘avais l’objectifde concourir en Grand Prix Poneysavec Opale des vents et je l’ai conservé après. Je n’ai eu aucune d’adaptation pour mon handicap à cette époque-là.Les médecins m’avaient dit que j’aurais mal toute ma vie alors je faisais abstraction de mes douleurs. Au fur et à mesure que les années passaient, je parvenais à les gérer de mieux en mieux et je savais quoi faire pour me soulager.
Tu as décidé de faire reconnaître ton handicap en 2021. Qu’est-ce qui t’a poussée à entamer cette démarche ?
J‘ai grandi et ça n’a pas arrangé mes affaires ! En 2021, ça faisait à peu près deux-trois ans que je sentais un manque de mobilité :j’avais des difficultés à faire des demandes qu’avant je n’avais pas. Je me suis tournée vers le corps médical pour essayer de comprendre ce qui se passait et c’est à ce moment-là que l’on m’a incitée à me diriger vers le para dressage.
J‘ai fait reconnaître mon handicap, ce qui m’a permisd’avoir accès à des compétitions plus adaptées à ma situation actuelle. Ça ne m’empêche aucunement de faire quelques concours en valide mais je ne pourrais plus supporter des saisons valides comme je le faisais auparavant.
À la suite de cela, j’ai reprisdes séances de kiné pour retrouver la mobilité que j’avais perdue et fait du renforcement musculaire sur les parties de mon corps qui vont bien afin qu’elles puissent compenser au mieux les parties qui, physiquement, me posent problème.
Personne ne t’a guidée vers ce circuit avant pour t’épargner toutes ces douleurs ?
Le para dressage date des années 2000 en France. Mon accident est survenu en 2007. Je pense que le temps que la discipline se développe a joué. Lorsque je faisais des compétitions en valide, j’assistais pourtant aux Championnats de France de para dressage au haras de Jardy, mais je ne me suis jamais posé la question de savoir si c’était pour moi car je ne connaissais réellement que le circuit valide.
Ça a été compliqué pour toi d’accepter d’intégrer ce nouveau circuit ?
Je l’ai tout à fait bien vécu parce que ça ne m’empêche pas de participer à des compétitions valides en national. Et puis, je me suis mis un objectif en tête : les Jeux de Paris 2024 et je me suis focalisée dessus. Il est vrai néanmoins que beaucoup de mes connaissances, à qui je n’avais pas parlé de mon accident, m’ont demandé pourquoi j’étais passée en para dressage.
Ça a commencé à germer quand cette participation aux Jeux Paralympiques ?
Ma carrière se résume à une succession de rencontres et cette fois, ça a encore été le cas puisque c’est mon ancien entraîneur qui m’a boostée pour faire du paradressage et puis, pour tenter de participerauxJeux. Petite, je n’aurais jamais imaginé avoir le niveau pour prendre part à ce rendez-vous. Comme je fonctionne toujours avec des objectifs de vie, j’ai tout mis en place, durant ces trois dernières années, pour être en mesure de l’atteindre. Par bonheur, ça a réussi.
Désormais, mon nouvel objectif est de montrer au jury et au public, tout le travail que nous avons fait ces onze dernières années avec mon cheval.
J’aimerais bien me qualifier pour la finale, mais il va d’abord falloir passer par l’épreuve qualificative et mon objectif est déjà de réussir cette première reprise.
Peut-être que faire mon maximum me permettra de décrocher une médaille ! Le site est incroyable et rien n’est joué, certaines têtes d’affiche seront absentes, tout est ouvert.
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