Est-ce que tu étais déjà une fondue de vélo, petite ?
Petite, j’étais un peu casse-cou. J’avais un petit vélo avec lequel je faisais les descentes dans ma campagne. C’est quand j’ai déménagé en ville avec mes parents que j’ai découvert le BMX. Moi, à la base, je voulais faire du motocross ou du football mais le destin a bien fait les choses. Comme tout près de chez nous, il y avait un marchand de vélos, j’ai eu droit à un BMX à Noël. À 8 ans et demi, je démarrais le BMX sur les chapeaux de roues. Dans ma commune, il y avait même un club local : je suis donc vite passée du parc du lotissement au club avec tous les copains.
Est-ce que tu as vite compté parmi les espoirs du BMX ?
J’ai très rapidement participé à des compétitions, régionales puis nationales. J’ai été championne de France dans les petites catégories, dès l’âge de 10 ans. Et j’ai eu la chance d’avoir mes parents toujours derrière moi. J’en avais besoin parce que le club était plutôt familial, bon enfant, les plus grands entraînaient les plus jeunes. Donc c’était vraiment bien d’avoir mes parents dans la course pour l’organisation autour des compétitions, le soutien émotionnel et le soutien financier. Il fallait payer individuellement le matériel, les déplacements, l’hôtel, etc, même si j’ai eu quelques aides départementales et des partenaires privés locaux ainsi que de grandes marques internationales de vélo, lorsque je faisais des résultats.
Qu’est-ce qui te plaisait dans le BMX ?
Je me souviens d’un article qui était passé dans la presse à l’époque et qui avait titré : « le BMX, le vélo-liberté ». C’est exactement ça : ce vélo permet de faire plein de choses. D’abord, il a un centre de gravité bas avec des roues qui sont beaucoup plus petites que celles du VTT ou du vélo de route. Résultat : on est beaucoup plus agile avec ce vélo. On peut passer dans des trous, se mesurer à des bosses, monter des trottoirs… Aujourd’hui, il y a d’autres réglementations, on était plus libres à l’époque aussi, il faut dire.
Est-ce qu’on t’a mis des freins, petite, en te disant que ce n’était pas un sport pour les filles, le cliché par excellence ?
Ah, oui, on me l’a dit plein de fois : « Tu fais un sport de mec ». Mais moi, je ne comprenais pas. Je faisais juste du vélo. Après, ceux qui la ramenaient là-dessus, c’était souvent des mecs moins bons que moi !
Ça s’est vraiment développé à quel moment le BMX, en France ?
C’est arrivé au début des années 1980, donc il y a eu une génération avant la mienne, avec quelques top pilotes françaises. C’est important de savoir d’où on vient et que si on vit des choses exceptionnelles aujourd’hui avec le BMX c’est parce qu’il y a eu des acteurs avant soi. Mais c’est vrai qu’on peut dire que ma génération fait partie des pionniers du BMX en France parce qu’on a été intégrés à la Fédération française de cyclisme et à tous les championnats de l’Union Cycliste Internationale (UCI). Avant, la discipline était gérée par l’Association Française de Bicrossing, alors qu’à partir de ce moment-là, elle a été organisée comme tous les autres sports en perdant peut être un peu de son âme originelle. Il y a donc eu la création d’une équipe de France et plus d’encadrement mais pas plus d’argent !
©Karine Chambonneau/Be.la
Si tu devais décrire le BMX et ta discipline en particulier, le BMX race ?
Le BMX race est une discipline qui se déroule sur une piste qui fait environ 400 mètres et qui est parsemée de bosses. Huit pilotes sont sur la grille de départ. Le vélo utilisé pour ce type de course n’a qu’un frein, un cadre carbone ou aluminium, avec des roues de 20 pouces, et il n’a pas de vitesses. On a des sensations incroyables avec ce vélo. Cette course est passionnante car elle demande, à la fois, de la technique, de la tactique, de la vitesse, de la force et de la stratégie. On se bat à la fois contre soi et contre les autres.
Raconte-nous ces sensations que procure une course de BMX race…
Déjà, elles vont être différentes en fonction du passage technique que tu réalises. Au début, sur la grille de départ, par exemple, alors que tout le monde fait silence, on sent tout notre corps en situation d’attention maximale. Au déclenchement, il y a cette grande bascule de tension, c’est donc une phase d’explosion. On part d’un état statique et on s’élance dans un état de propulsion maximale. C’est déjà une sensation très particulière et ce n’est que le début ! Pour le passage au saut, il va y avoir une phase de compression avant donc il faut faire corps avec le vélo quand vous êtes en l’air. Être de 3 à 10 mètres en l’air, ce n’est pas donné à tout le monde et à tous les sports, c’est vraiment incroyable à ressentir. Il y a un peu ce goût de l’enfance quand vous vous envolez avec le vélo. Il y a aussi les virages, quand on fait un fort appui intérieur. Par exemple, quand on est plusieurs à attaquer un virage, on sent le pilote qui est à son extérieur. On va jeter un petit coup d’œil et prendre une trajectoire d’appui tout en sachant qu’on va devoir déborder de 20 cm sur lui pour le coincer et reprendre une bonne accélération puis finir la dernière ligne droite.
La question logique qui vient après ça : tu n’as jamais eu peur de te prendre des (grosses) gamelles ?
Oui, parfois, j’ai eu peur. Ce n’est pas forcément ce que je gérais le mieux mais ça fait partie du sport. Je pense qu’il faut améliorer son travail à l’entraînement pour éviter ces aléas émotionnels. J’ai compris beaucoup de choses sur moi-même et sur l’importance de l’implication de l’invisible des années plus tard quand j’ai obtenu mon diplôme universitaire en préparation mentale. J’ai eu des bonnes chutes. Mais ma blessure la plus grave ne s’est pas faite sur une chute mais sur un passage technique : il me fallait lever la roue avant sur la bosse et passer le creux sur la roue arrière. Et moi, j’ai dévié, j’ai posé mon pied à terre, mon genou a vrillé et je me suis fait les croisés. Ça a été dur à vivre parce que c’était une année où j’avais super performé. J’ai dû être opérée deux fois l’année du bac. J’avais 17 ans. Tout ça entre deux médailles de vice-championne du monde.
C’est un sport extrême en quelque sorte, j’imagine donc que lorsque tu as commencé, dans les premières années, il y avait peu de filles ?
Eh bien non, il y a toujours eu des filles dans le BMX. Mais ça plafonne à 12 % de pratiquantes à la fédé de cyclisme, toutes disciplines confondues, même si le BMX a une bonne place en termes de licenciées. Ce constat est dur mais il est à mettre en parallèle des performances sportives. Une médaille féminine reste une médaille et le premier titre olympique du BMX français restera celui d’une femme (Anne-Caroline Chausson, première Championne olympique de l’histoire du BMX, aux JO de Pékin en 2008, Ndlr). Et comme les hommes, les femmes s’entraînent chaque jour autant pour performer, avec les mêmes ambitions et les mêmes sacrifices.
Après, c’est sûr qu’il y avait déjà des choses à faire évoluer entre les hommes et les femmes quand j’ai débuté : il y avait une forme de non-reconnaissance de la pratique féminine. Par exemple, pour les essais, on parlait des « élites hommes » mais pas des « élites femmes », on avait une dénomination du style « femmes 17 et + ». Aussi, on n’avait pas de gratifications au contraire des hommes et on n’avait pas les essais en même temps qu’eux. Avec des copines, on a pris le lead pour demander à ce que ça change. J’avais 15-16 ans à l’époque et ça me rendait folle déjà ces différences de traitement et ce dédain complet, comme si on n’avait pas notre place. On a réussi à obtenir gain de cause.
Il y avait donc bien des freins pour les pilotes femmes alors ?
Même si l’univers était déjà « féminisé », il a quand même fallu se battre pour exister et être reconnues, ça c’est clair. Et on n’est pas sorties du marasme aujourd’hui. Il y a encore des inégalités entre hommes et femmes dans le BMX, et sur différents secteurs : à la fois sur le volet pilote et sur le volet encadrement, dans l’accès aux responsabilités. En 2025, à l’heure où je vous parle, j’ai vu la composition de l’équipe de France : il y a des pilotes masculins et des pilotes féminines mais zéro encadrante féminine. Alors qu’on sort des JO de Paris, Jeux Olympiques paritaires, qu’on nous parle d’égalité et d’accès aux responsabilités pour les femmes. Pour moi, c’est insupportable. Je veux mener le combat.
Sur quels points faut-il « mener le combat » ?
Les filles, c’est souvent l’exception dans un groupe. Moi, ce que je fais, c’est que je me bats pour qu’elles se sentent tout à fait à leur place et reconnues. Je me suis investie en tant que bénévole au sein de la fédération en amont des JO de Tokyo, parce qu’il y avait une commission nationale féminine pour s’occuper du développement de la pratique féminine dans toutes les disciplines sportives cyclistes. J’ai monté un groupe de référents et j’ai essayé d’apporter des éléments d’évolution réglementaires en termes de communication ou de partenariats. Ça n’a pas fonctionné parce que la commission a explosé. Pour moi, c’est par manque de moyens et de volonté. C’était de l’affichage. Et c’est tout ça que je veux dénoncer. Il y a encore trop de structures qui bénéficient d’argent public, notamment pour la mise en œuvre obligatoire des plans de féminisation, mais qui n’agissent pas.
Par exemple, encore aujourd’hui, il y a des places réservées en première dans les avions pour les athlètes hommes quand les femmes n’en bénéficient pas… Autre inégalité : pour les championnats du monde, il y a des quotas pour emmener des pilotes. Une fois, il y a eu une seule fille et dix mecs ! Alors, c’est le serpent qui se mord la queue : on entend qu’il y a moins de femmes qui peuvent performer à l’international. C’est normal puisqu’elles ne sont pas prises pour aller engranger de l’expérience dans ce genre de compétitions. On attend toujours d’avoir une championne du monde et une vainqueure de coupe du monde depuis une décennie, on est tellement à la ramasse chez les filles en équipe de France ! Parce qu’on ne les entraîne pas comme il faut. Parce qu’on ne les prend pas en considération. C’est clairement une catastrophe, notamment sur le format olympique en butte de départ à 8M avec une vitesse de 60km/h pour sauter les bosses : il faut une préparation spécifique, pas juste un ou deux stages dans l’année. Une approche analytique et constructive pluridisciplinaire est nécessaire pour appréhender et être sûre de soi en haut de la grille. C’est le boulot du sélectionneur national avec les entraîneurs. Le sélectionneur doit prendre en compte tous les athlètes et les accompagner dans la performance. À ce jour, le triplé olympique (Joris Daudet, Sylvain André et Romain Mahieu en 2024, Ndlr) est l’arbre qui cache la forêt, les trois ont été coachés par des entraîneurs hors staff national. Malgré leur engagement et leur volonté individuelle de réussir, ça fait mal au cœur de voir des féminines avec du potentiel bloquées dans l’expression de leur talent.
Karine Chambonneau, juste avant les JO de Paris
Comment tu t’engages concrètement pour la reconnaissance des femmes au sein des instances et des groupes de pratiquants ?
Moi, je sais de quoi je parle : j’ai gagné la coupe du monde, j’ai été deux fois vice-championne du monde, je suis titulaire d’un Brevet d’Etat cyclisme et prof de sport. Que ça plaise ou pas, je suis légitime sur le sujet. Donc, je ne peux pas supporter de voir tout ce gâchis. Et comme les pilotes qui sont en activité ne peuvent pas dire quoi que ce soit, il faut bien que quelqu’un le fasse. J’ai une parole assez libre car je n’attends pas après eux. J’ai un boulot. Souvent, on entend aussi que les femmes ne peuvent pas être dans l’encadrement, ne peuvent pas entraîner car elles n’ont pas de compétences. Il faut analyser le contexte : qu’est-ce que l’organisation en charge du développement de cette pratique sportive met en place pour faire monter des potentiels, des femmes, à l’encadrement ? Qu’a-t‘on fait depuis vingt ans ? Ma réponse à ça, c’est de militer pour une équipe de France féminine indépendante avec des moyens et un staff dédiés. Accessoirement je me suis aussi engagée dans les élections fédérales de décembre 2024 aux côtés du collectif « La Fédé pour Tous », parce que les dirigeants ont la main sur le budget et le pouvoir décisionnel de définir les orientations stratégiques. En attendant, j’ai monté mon truc dans mon coin, à ma sauce et avec zéro moyen. Je sais, ainsi, que ce sera bien fait.
C’est donc comme ça que tu as créé le Team CHAKRides…
Je ne suis pas toute seule. J’ai créé cette association de support – pour les pilotes féminines uniquement – avec un ancien pilote, c’est donc un encadrement mixte. Selon les années, on coache 6 à 9 pilotes. Via cette équipe, l’idée est de promouvoir la pratique sportive des femmes en les aidant sur les plans humains, techniques et matériels. Elles participent à des compétitions régionales, nationales et internationales. On les aide sur plusieurs plans comme trouver les sponsors matériels pour qu’elles aient des remises sur le vélo, les pièces et accessoires, on leur fourni tenues, plaques, etc. En économisant ainsi, ça leur permet d’avoir un report d’argent pour se rendre sur une compétition, un stage ou autre. On communique aussi sur elles, de manière individuelle ou collective, pour les mettre en valeur, qu’elles se sentent bien, qu’elles se sentent reconnues et qu’elles se mobilisent entre elles. On essaie de créer un espace de cohésion : on a un fil WhatsApp collectif sur lequel on échange pour les retours sur les compétitions, les analyses vidéos. C’est aussi, d’une certaine manière, un groupe de soutien. Et quand on peut, on leur propose un stage. Mais beaucoup de pistes sont payantes aujourd’hui, les installations sportives coûtent de plus en plus chères. On s’est refusé, jusqu’à présent, à demander des subventions publiques pour garder une parole complètement libre et indépendante. Mais ce n’est pas simple de trouver des partenaires privés. On a cependant quelques soutiens comme un distributeur de vélos français.
Cette association de « soutien » intervient donc en-dehors des clubs ou autres entités dans lesquelles pratiquent et sont formées les jeunes pilotes ?
Oui, nous, on se situe un peu au carrefour de tout ça. On est 100 % bénévoles. Depuis 2021, on fait ça pour le sport et les filles. Nos actions globales de promotion du sport féminin ont débuté en 2016. Les familles sont à fond derrière nous. Pour les compétitions, elles se déplacent soit avec leur famille, soit avec leur club, mais elles peuvent nous contacter autant qu’elles veulent. Notre team accueille des athlètes de tous pays : on a eu des Espagnoles et une Allemande. On ne sélectionne pas nos pilotes, on propose le dispositif et c’est elles qui postulent. On a juste un créneau d’âge entre 14 et 30 ans (minime/cadette à senior/élite). Sont retenues les candidatures les plus fidèles à la philosophie du team : celle d’avoir une attitude positive sur et hors de la piste, travailler beaucoup, être solidaire en interne, conseiller et surtout se donner collectivement confiance. Le BMX reste un sport amateur, la priorité reste les études et/ou le boulot. On fait tout pour les rendre performantes en leur donnant tous les conseils qu’on peut leur donner. Mais pas seulement : l’objectif est aussi de les former sur leur vie au quotidien car cela change tout chez un athlète. Par exemple, le respect d’un planning, le sommeil ou les repas, des éléments qui vont leur permettre d’arriver sereines le jour de la course car elles sauront qu’elles ont tout mis en place pour être dans les meilleures conditions.
Qu’est-ce que tu leur offres de plus par rapport aux clubs ou à leurs entraîneurs ?
Les filles sont souvent l’exception dans les divisions nationales, dans les team privés, ou même en équipe nationale alors on essaie de leur offrir un espace collectif. Généralement, les entraîneurs de clubs ou les coachs particuliers s’occupent de plusieurs athlètes, ils ont un peu le nez dans le guidon. Nous, on s’occupe d’un tout petit groupe de filles et on crée une bulle de confiance avec chacune d’entre elles : on essaie de les rassurer sur différents aspects, pas que techniques, mais aussi psychiques. On a ce regard extérieur qui fait que, par exemple, on peut voir qu’une pilote a largement les capacités physiques et techniques de faire tel ou tel passage mais que c’est dans la tête que ça ne va pas. Et on va les aider là-dessus. Elles savent qu’on pose un regard vraiment individualisé sur chacune d’elles. Notre structure est top pour les mettre en confiance et leur permettre de performer. Depuis 2021, on compte près de 500 participations à des compétitions régionales, nationales, internationales ; plus de 80 victoires ; plus de 120 podium ; 2 top ; 8 au niveau européen ; 3 médailles de bronze en championnat national ; 3 médailles d’argent en championnat national ; 1 médaille d’or en championnat national ; des participations en Coupe d’Europe, Coupe du Monde et Championnat du Monde ; 2 pilotes avec statut ministériel SHN (sportive de haut niveau) et cette saison, nous avons 2 rideuses qualifiées pour le championnat d’Europe 2025 et le Championnat du Monde 2025 !
Comment se passe la « cohabitation » avec les autres entraîneurs de vos « protégées » ?
Tout se passe bien, il y en a même qui nous appellent. Et puis, les entraîneurs d’aujourd’hui, ce sont souvent des gars qui roulaient à mon époque ou bien des jeunes que j’ai eus en jury d’examen donc ça se passe très bien. De toute façon, j’essaie de ne pas trop me laisser marcher sur les pieds !
Et toi, as-tu manqué de ce soutien ou, au contraire, as-tu eu la chance d’avoir été bien accompagnée sur ta route de pilote ?
Moi, j’ai été très soutenue par mes parents et ma famille. On partait sur les routes pour chaque compétition avec la glacière et mon vélo. Le seul deal, c’était que ça se passe bien à l’école et je pouvais continuer le BMX. Après, quand j’ai été en équipe de France (pendant 7 ans à partir de 1991), j’ai eu un super sélectionneur, Michel Lalande. Il est un peu le mentor pour beaucoup de pilotes internationaux et fédérations internationales. Avec lui, je recevais des plans d’entraînement, j’étais très cadrée, et je devais y aller qu’il pleuve, vente ou neige… Avec lui, j’étais super bien préparée. J’ai aussi eu un prépa physique et un coach technique pendant ma période étudiante. Et puis, vers la fin de ma carrière, en 2004-2005, j’ai eu l’opportunité d’aller rouler en saison complète aux États-Unis. Je suis la seule française à avoir eu cette chance. Mais, après ça, on a eu un nouveau sélectionneur dans l’équipe de France et il y a eu une bascule. Je me suis sentie abandonnée alors que j’aurais eu besoin d’une structure. À ce moment-là, c’est mon corps ou mon mental qui a décidé pour moi : j’ai arrêté la compétition.
J’aurais eu besoin qu’on me dise : « Attends, bouge pas, viens, on va s’asseoir, on va regarder comment on peut faire. Qu’est-ce que tu peux faire ? Comment on s’organise ? T’as au moins trois ou quatre ans à faire encore à haut niveau, etc. ». Ça a été extrêmement délicat à gérer ce vide, avec un contre-coup très sérieux quelques années après… Comme tous les sportifs, je suis passée d’une vie où je prenais l’avion pour aller aux quatre coins du monde ou de la France à un bureau, postée sur une chaise, pour faire un boulot qui ne me donnait aucune espèce d’énergie. J’avais fini mes études, je n’avais pas gagné d’argent pendant ma carrière sportive, il fallait bien que je travaille.
Finalement, cette structure que tu as créée pour les filles pilotes, c’est un peu une réponse à ce que tu n’as pas eu comme accompagnement en fin de carrière ?
C’est vrai que ça répond un peu à ce que j’ai vécu. Je donne mon temps et mes conseils pour que d’autres pilotes femmes puissent éclore. Ça marche, d’ailleurs : on a une athlète qui a fait une deuxième place au challenge mondial en 2022 et on a aussi des finalistes en Coupe de France et Championnat de France.
Quel est donc le message général que tu veux porter pour le BMX féminin ?
Il faut développer plus de structures bénévoles qui encadrent ou dire aux structures déjà installées en fédération d’être davantage dans l’humain. Il faut absolument mettre plus d’humain dans l’encadrement parce que les sportifs ne sont pas des machines, il faut considérer la personne en face avec des émotions. Et puis, après, il faut des moyens fléchés et contrôlés pour le sport féminin. Car, comme je le disais, il y a encore trop de situations où il y a des projets d’action où une partie des financements passent en frais de structures ou de déplacements pour on ne sait pas qui, mais pas pour les filles en tous cas. Il faut prendre beaucoup plus tôt les athlètes à potentiel dès les minimes-cadettes et leur proposer des solutions techniques d’accompagnement pour les « buttes de départ à huit mètres ». Car on n’a pas la même approche filles-mecs. Les garçons ont été poussés à être plus techniques en clubs et on risque sa vie sur ce genre de descente.
La question que je me pose aujourd’hui, c’est : est-ce qu’on pousse vraiment les filles ou, du moins, est-ce qu’on met en place des solutions pour qu’elles deviennent plus techniques ? C’est pour ça, selon moi, qu’on a aucune fille qui a gagné la Coupe du monde ou les Championnats du monde depuis environ une décennie. En plus de la team, pour toucher le grand public, j’ai créé une action pédagogique déposée que je peux proposer à qui le souhaite. En France, il faut vite se réveiller !
La team en stage sur la piste olympique de Saint Quentin en Yvelines… ©Karine Chambonneau
S’il fallait te demander la récompense qui t’a le plus marquée, toi qui es entrée en équipe de France très jeune, qui as performé dès l’âge de 16 ans avec une médaille d’argent aux championnats du monde junior puis enchaîné les médailles, tu dirais quoi ?
Ah, il y a beaucoup de moments qui ont été importants. Mais les meilleures seront toujours celles que j’ai reçues devant ma famille, même si ma maman était extrêmement stressée de me voir rouler. Mon père était toujours très motivant, accroché au grillage, à m’encourager. Ils n’étaient pourtant pas du tout sportifs. Mais mon grand-père était facteur à vélo, une prédestination peut-être. J’ai des souvenirs forts sur à peu près toutes mes courses. C’est vrai que le premier titre de vice-championne du monde, c’était vraiment agréable. Et c’est vrai aussi que c’est dur quand il n’y en a plus. Mais je m’en forge de nouveaux avec cette équipe que je co-manage.
Et avec un nouveau défi, celui de monter des cols en BMX et notamment ceux du Tour de France. Sept sont déjà validés : Tourmalet, Ventoux, Bonnette, Portet, Pico Veleta, Torre, Maïdo.
Oui, on a débuté par le Ventoux avec mon compagnon. Je suis partie un peu la fleur au fusil. J’ai dit, « Allez, go, je vais essayer de monter déjà, et de rester en vie jusqu’en haut ! ». Et puis finalement, au bout de quelques kilomètres, je tenais pas mal. Je n’ai jamais mis les pieds à terre. Et, en BMX, on est debout sur le vélo, on n’a pas de vitesses et le seul frein arrière pour la descente en mode fusée… C’était très, très dur, il faut aller puiser sacrément loin dans ses ressources. Je me suis dit que c’était une belle manière de mettre les sportives sur le devant de la scène avec ça. De montrer que, nous aussi, les filles, on est capables de réaliser d’aussi beaux défis sportifs que les gars.
La team de la saison 2023-2024
- Le palmarès de Karine Chambonneau : en équipe de France dès 1991 (pendant 7 ans), 10 ans sur liste ministérielle SHN, 4 fois Championne de France. Vainqueure de la Coupe du Monde, 1995 (16 ans) Médaillée d’argent du championnat du monde, 2000 Médaille d’argent Championnats d’Europe, 2001 Championne d’Europe de BMX, 2002 (23 ans) Médaillée d’argent du championnat du monde de BMX, 2004 1re Indoor de St-Etienne, 2005-2006 2 saisons en championnat aux USA, 2 fois championne de France masters de Pump Track. Depuis 2016 Sportive de défis avec 7 montées de cols routiers en duo mixte avec Jean Jérôme Sol en BMX, ancien athlète BMX également vice-champion de France et 4e Européen.
- Pour être dans les starting-blocks avec le BMX féminin, on fonce sur les réseaux sociaux de la team CHAKRides, sur Facebook @ChaK et sur Instagram @chakrides
- Pour participer à l’essor du BMX féminin et soutenir les athlètes, faites un don sur Hello Asso pour ChakRides
Ouverture ©Karine Chambonneau