Julia Chanourdie « Lorsque j'escalade, je suis une guerrière ! »
Gravissant la rude paroi du monde de l’escalade avec l’agilité prudente et conquérante d’une Spiderwoman, Julia Chanourdie, 24 ans, vient d’entrer dans l’histoire de son sport en devenant la première grimpeuse française et la troisième mondiale à réussir une voie cotée 9b. Un exploit réalisé de main de maître. Athlète au sommet de son art, elle représentera la France aux JO de Tokyo. Conversation ascensionnelle avec une fille au mental de roc.
Par Claire Bonnot
Publié le 03 décembre 2020 à 19h05, mis à jour le 06 août 2021 à 18h50
À 24 ans, tu es en partance pour les JO de Tokyo après être montée plusieurs fois sur les plus hauts sommets des compétitions françaises et internationales, comment et pourquoi as-tu commencé la grimpe ?
Tout part d’une histoire de famille. Mes parents tenaient une salle d’escalade sur Annecy donc je suis vraiment tombée dedans quand j’étais petite… Je me suis pendue aux prises dès mes premiers pas. C’était une vraie salle de jeux pour ma petite sœur et moi.
Petit à petit, quand je m’y suis vraiment mise, mon père est devenu, assez naturellement, mon entraîneur. C’est vraiment très sympa de pouvoir fonctionner comme ça, c’est toujours lui qui me coache aujourd’hui et ça me convient très bien !
Je sais que je peux lui faire entièrement confiance, notamment lorsque mes émotions prennent le dessus pendant les compétitions. Notre communication fonctionne très bien.
Même si ça a tendance à changer, l’escalade est un sport souvent vu comme « masculin ». Lorsque tu as débuté, as-tu entendu quelques commentaires du style : « Mais c’est un sport de garçons ! » ?
Je n’ai jamais ressenti ça. J’ai été forte très tôt par rapport à mon âge et plus forte que les garçons… Ils ne pouvaient pas dire grand-chose, mais c’était cool, j’avais beaucoup de copains garçons dans mon niveau, du coup !
Le seul problème qui persiste réside dans le fait que même si les femmes peuvent faire des trucs exceptionnels, les cotations les plus élevées – niveaux 9b ou 9a+ – vont être discutées dès qu’une fille les réussit. C’est un point sur lequel j’ai très envie de m’exprimer parce que ça me dérange. Pour ma part, je commence à faire mes preuves donc il n’y a plus vraiment de discussions, mais ce qui est énervant, c’est que, bizarrement, quand une fille travaille une voie, plein de garçons viennent essayer ensuite en se disant « Si une fille peut y arriver, alors nous aussi », mais pas forcément !
Les filles sont fortes et même plus fortes ! Et pourtant, ça arrive encore que la voie soit décotée lorsqu’une fille a réussi à la passer… Les femmes ne se mettent plus de barrières aujourd’hui, elles essayent, et, si ça marche, c’est qu’elles ont fait leurs preuves, il n’y a rien à redire !
Et qu’en est-il de la médiatisation de la grimpe féminine ?
Ce qui est cool avec ce sport, c’est que ça ne diffère pas trop d’avec les mecs. On est tous autant mis en avant parce qu’on est tous autant capables de faire des choses exceptionnelles.
C’est un sport particulier où les filles peuvent égaler les hommes dans plein de domaines. L’aspect force pure qui est peut-être plus développé chez les hommes va être contrebalancé par la souplesse et les styles de techniques des femmes. Elles arrivent à être plus économes en termes d’énergie dépensée à effort égal, par exemple.
Cette qualification pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, c’est un grand moment pour toi ? Surtout que c’est la première fois que l’escalade est au programme olympique…
C’était un sacré objectif pour moi, oui ! Depuis toujours, je regarde les JO à la télé donc rien que d’y penser, ça me paraît fou ! Dès le moment où j’ai appris l’intégration de l’escalade au programme olympique, je me suis lancée dans l’aventure un an avant la qualification.
Dès fin novembre 2019, c’était mon plus gros objectif. Je me suis vraiment consacrée à ça en enchaînant les compétitions sur les trois disciplines : vitesse, difficulté et bloc. Ça a entraîné des montagnes d’émotion, une immense fatigue et des erreurs pour lesquelles je m’en suis énormément voulu. Mais j’ai eu la deuxième qualification. Ça a été une sacrée victoire, un moment magique, fabuleux !
Il n’y avait pas beaucoup de places : seulement 20 hommes et 20 femmes dans le monde sont qualifiés dans le combiné des trois disciplines et comme les compétitions, c’est toujours très aléatoire, on a beau être prêt, ça peut ne pas passer…
En dehors des compétitions, tu pratiques les falaises. Tu viens d’ailleurs tout juste de réaliser un exploit : réussir une voie cotée 9b, la « Eagle-4 », à St-Léger-du-Ventoux, te plaçant ainsi dans les trois meilleures grimpeuses mondiales. C’était comment cette folle ascension ?
Ce n’était pas tellement prévu à la base. J’ai appris fin octobre que la France n’enverrait pas ses athlètes aux Championnats d’Europe ce qui a changé tous mes plans. Comme j’avais déjà travaillé cette voie, je me suis dit « Autant en profiter et ne faire que ça ! ». Je l’ai réussie finalement assez rapidement, entre le mardi et le samedi.
C’est fabuleux, je deviens la troisième femme au monde à réussir une telle performance et je suis la première Française donc c’est vraiment un moment très fort !
Ça fait partie des choses que j’aime beaucoup en escalade : savoir que, outre les objectifs de compétition, il y a d’autres challenges qui vous mettent face à la voie, dans ce combat face à soi !
Avoir réussi ça, c’est extra pour l’image bien sûr, mais ça me booste aussi profondément pour la suite de ma carrière. Je sais que j’y penserai dans toutes les situations, je pourrai m’en rappeler dans mes moments de doute, me dire que je suis capable de faire des choses extrêmes, que je suis une guerrière !
Tu racontes que c’était à la tombée de la nuit et que la motivation a failli flancher, qu’est-ce qui t’a fait réattaquer la paroi ?
C’était mon dernier essai de la journée, j’étais très fatiguée, j’avais déjà fait trois essais dans la voie. En fait, il faut réussir à être prêt à s’activer mentalement alors même que tu n’as plus envie de forcer.
Il commençait à faire nuit, j’étais au plus proche des rochers, je ne voyais plus les prises… mais j’ai changé de mode dans ma tête, je suis passée en mode guerrière et c’est ce qui a fait que j’ai réussi.
Parfois, le dernier essai qu’on n’a pas du tout envie de tenter permet finalement de se botter les fesses !
Et puis, je ne dramatise pas : dans l’escalade, au pire des cas, ça m’entraîne, et, au mieux, ça marche.
Qu’est-ce que tu ressens quand tu escalades et qu’est-ce qui te pousse à monter toujours plus haut, plus loin ?
Moi, j’aime la performance, j’aime bien aller chercher toujours plus loin, que je sois en compét’ ou en falaise. À la base, je n’ai pas trop confiance en moi, j’ai dû mal à avoir conscience de mes capacités et j’ai parfois peur de ne pas y arriver.
Mais, finalement, je me rends compte que je suis capable de faire les mouvements et je reprends confiance, petit à petit, et je m’acharne, petit à petit, dans cette voie.
En fait, ça dépend des gens : moi, j’aime bien faire les choses à mon rythme, j’ai besoin de me sentir prête à aller dans telle ou telle ascension. Je ne brûle pas les étapes, j’aime monter niveau par niveau. Je peux ainsi savourer chaque étape. C’est peut-être dommage, on me dit souvent que je veux bien faire, mais que je ne veux pas déranger. Pourtant, ça fonctionne très bien pour moi. La preuve !
Est-ce que tu es prise de panique parfois quand tu grimpes ?
Comme j’ai commencé petite, je n’ai jamais eu la conscience du vide mais, en grandissant, oui, on y passe forcément, peu importe le niveau. Mais je n’ai pas trop peur, je suis plutôt du genre un peu fofolle !
Qu’est-ce que te demande ce sport à haut niveau, sur le plan physique et mental, pour ce qui est des aptitudes ?
Je m’exerce tout au long de l’année à beaucoup grimper, tout simplement, c’est ma façon de fonctionner. Je bosse en grimpant et en variant mes supports d’entraînement via les trois disciplines, la grimpe en salle et puis celle en falaise.
Côté mental, je bosse dessus depuis toujours. J’ai été suivie à partir de mes 16 ans, au feeling. Quand je sentais que j’avais fait le tour avec un thérapeute, j’en voyais un autre. Aujourd’hui, c’est vraiment en fonction des périodes, quand je sens que j’en ai besoin.
Raconte-nous un moment où tu t’es sentie au sommet et un autre où tu as cru décrocher avant de te relever…
Le super moment, pour moi, c’était les Jeux mondiaux en Pologne, en 2018. Mon sport n’était pas encore olympique donc c’était une compétition hyper importante, il y avait tous les meilleurs grimpeurs mondiaux, ceux que je croise tout le temps.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais détendue, hyper motivée, bref, j’étais dans un super état d’esprit, sure de moi : rien ne pouvait m’arrêter ! En fait, je pensais déjà au podium, à la victoire parce que je n’avais pas encore réussi à faire de podium à l’international. Et tout s’est parfaitement déroulé, je suis montée sur ce podium ! Un truc de fou ! J’essaye, encore aujourd’hui, de me servir de ce mental de winneuse !
En falaise, sur une voie difficile, on passe par toutes les phases, c’est hyper cool. On se met alors à progresser dans la voie, on peut parfois bugger longtemps sur un mouvement en pensant qu’on ne va jamais y arriver et c’est là que se joue l’aspect mental et où on garde ce plaisir à chercher. Mais ça peut être un vrai combat avec des larmes qui durent longtemps…
On tombe beaucoup, surtout quand c’est la première fois qu’on essaye la voie et qu’on doit la déchiffrer. Encore une fois, le mental est la clé, si on tombe au même mouvement, le blocage va devenir psychologique alors qu’on avait envie de réussir.
C’était le cas lors de ma dernière voie, la Super Crakinette (9a+) à Saint-Léger-du-Ventoux, en mars dernier : physiquement, j’étais parfaitement dedans donc ça me paraissait impensable de ne pas réussir. Mais j’avais ces blocages mentaux qui m’en empêchaient. Quand on devient triste, qu’il n’y a plus de plaisir, c’est là où il faut réussir à couper un peu. Je ne suis donc pas retournée dans ma voie pendant deux semaines et j’ai changé d’air, j’ai pensé à autre chose avec pour objectif de revenir positive, avec une solution.
Après ça, j’avais hâte d’y revenir et j’ai réussi. Quand ça ne veut pas, il faut aller dans d’autres voies, modifier sa façon de faire, changer de mode.
Qu’est-ce que ce sport t’a appris sur le chemin de la vie ?
L’escalade, c’est vraiment toute ma vie ! Grâce à elle, j’ai pu acquérir de la maturité dès mon plus jeune âge et c’est dû à l’exigence du haut-niveau. On apprend, très vite et très tôt, beaucoup sur soi. Je le voyais au collège et au lycée, j’étais vraiment en avance sur ces questions-là. Lorsque j’ai un projet en tête, je ne cède pas à la tentation de tout arrêter pour x raisons, je m’y tiens !
Comme je suis grimpeuse pro, je dois gérer beaucoup de choses depuis longtemps et peut-être que si j’avais eu une vie plus classique, j’aurais fait toutes ces choses, mais plus tranquillement. Là, les avancées se font plus rapidement !
J’ai beaucoup de liberté et de possibilités, c’est aussi un sacré boulot qui me convient très bien ! Je vis de mes sponsors et dans cette logique de partenariats, j’offre une image, des vidéos etc.
De plus, j’ai eu la merveilleuse opportunité d’intégrer l’Armée des champions qui est une aide formidable et qui me permet de faire ce que j’aime à fond !
Tu n’es pas devenue dingue entre quatre murs pendant le confinement ?
J’ai la chance d’avoir un mur d’escalade chez mes parents, ça m’a sauvée ! C’est une aubaine, comparé à d’autres athlètes pour qui il était plus difficile de continuer à pratiquer.
Actuellement, pour le deuxième confinement, je suis au pied du Mont Ventoux. Je peux profiter d’escalader en extérieur grâce à la dérogation pour athlètes de haut-niveau. Pouvoir garder ces deux aspects de l’escalade que j’adore, c’est vraiment un équilibre pour moi.
As-tu besoin d’avoir des modèles de sportifs qu’ils soient des hommes ou des femmes ?
Pas tellement, je suis plus à fond dans mes projets perso, mais ça m’aidera pour plus tard, oui. Des sportifs qui vivent de la grimpe en extérieur et qui voyagent pour la grimpe, ça me fait rêver !
Je rêvais évidemment de participer aux JO, mais je n’ai pas nécessairement envie à tout prix d’aller chercher la médaille. J’avance à mon rythme et mon rêve sportif, c’est plutôt de m’épanouir et d’aller chercher les objectifs qui me font rêver.
Avec le haut-niveau, c’est difficile de savoir si on pourra continuer longtemps sa carrière, c’est cool si c’est le cas sinon, si je n’ai plus de compétitions, je serai heureuse de toute façon. Heureuse de voyager à travers le monde. Et surtout, de m’éclater, encore et toujours, à grimper en falaise.
Julia Chanourdie s’est arrêtée en qualifications (13e) aux Jeux Olympiques de Tokyo malgré un nouveau record personnel en vitesse.
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