Elle a tout connu : la gloire et ses paillettes, le déshonneur et la ruine. Mariette Hélène Delangle, l’une des plus célèbres pilotes du siècle dernier, a vécu sa vie à toute vitesse, sans jamais se soucier des convenances.
Fille de Léon Delangle, receveur des postes, et d’Alexandrine Bouillie, c’est à Aunay-sous-Auneau, modeste bourgade d’Eure-et Loire, qu’elle voit le jour.
Nous sommes à la fin de l’année 1900 et la vie suit son cours, simple et tranquille.
À 20 ans, la jeune femme se décide à quitter le domicile familial pour mettre le cap sur Paris. Mariette Hélène a pour elle un physique avantageux, il lui servira à gagner sa vie.
Modèle nu, elle offre ses services aux artistes de Montmartre et prend la pose pour René Carrère, un peintre qui l’encourage à suivre des cours de ballet.
De modèle, la jeune Delangle se métamorphose en danseuse. Elle se produit désormais dans des cabarets. Sa notoriété grandit et son portefeuille se remplit.
La demoiselle Delangle profite de sa bonne fortune pour faire, définitivement, sa mue. Elle change son nom pour le pseudonyme d’Hellé Nice – la légende veut qu’elle ait aimé la ville éponyme et/ou que des spectateurs américains lui aient répété qu’ils la trouvaient « nice » – passe son permis de conduire et s’achète une voiture.
C’est à cette époque qu’Henry Gérard de Courcelles entre dans sa vie. Le comte, ancien aviateur, est également un pilote chevronné et un sportif accompli. Il l’embarque avec lui sur les circuits automobiles et l’initie aux joies de la vitesse.
Il faudra néanmoins attendre 1929 pour qu’Hellé lance sa carrière de pilote.
Victime d’un accident de ski qui lui laisse le genou en miettes, elle est contrainte de renoncer à son métier de danseuse. Touchée mais pas coulée, elle se fait prêter une Omega 6 et s’entraîne comme une acharnée avec, dans un coin de la tête, l’idée de participer au Grand Prix féminin de Montlhéry.
Le 2 juin, l’élégante, coiffée d’un béret blanc, prend place sur la ligne de départ. Opposée à des pointures de l’acabit d’une Violette Gouraud-Morris ou d’une Dominique Ferrand, elle enchaîne les tours à presque 100 km/heure de moyenne et passe la ligne en tête.
La renommée d’Hellé s’envole. Le grand monde la courtise et les sponsors se l’arrachent. Elle devient, entre autres, le visage de la marque de cigarettes Lucky Stricke. Le succès la grise mais pas autant que la vitesse.
Sept mois plus tard, elle fait de nouveau parler d’elle. De retour sur l’autodrome francilien au volant d’une Bugatti Type 35 C – bolide mis à disposition par Jean Bugatti lui-même – elle tente de franchir la barre des 200 km/heure.
Elle devra finalement se « contenter » d’une vitesse de pointe de 197.7 km/heure et de 194 km/heure de vitesse moyenne sur dix tours. Un double exploit qui la propulse, officieusement, femme la plus rapide qui monde.
En juin 1930, elle se teste en endurance à l’occasion du Grand Prix Bugatti organisé au Mans. Malgré des conditions météo dantesques, elle s’offre une superbe troisième place.
Riche, belle et célèbre, la demoiselle Nice, réputée pour être la meilleure conductrice de la planète, est invitée à se rendre aux États-Unis.
Commence alors une tournée épuisante de quatre mois à sillonner les circuits d’Est en Ouest pour honorer un planning de plus de… soixante-dix courses !
Forte de ses succès, Hellé mène grand train jusqu’en 1936, date à laquelle sa vie bascule.
Conviée à prendre part à deux courses au Brésil, elle se rend d’abord à Rio de Janeiro puis à Sao Paulo. Troisième à l’entame du dernier tour, l’intrépide tente de doubler Manuel de Teffe. L’idole du cru, peu encline à se laisser faire, lui barre la route. Pour éviter la collision, Hellé fait une brusque embardée. Sa voiture bute sur une botte de paille à 160 km/heure et vient terminer sa course au milieu des spectateurs.
Bilan : une trentaine de blessés et quatre morts. Ejectée de l’habitacle, la Française atterrit sur un soldat tué sous le coup de l’impact. Transportée en urgence vers l’hôpital de Santa Catarina, elle est plongée dans un coma profond.
Elle en sortira miraculeusement au bout de trois jours mais ne quittera l’établissement de soin que trois mois plus tard. Sa vie ne sera cependant plus jamais comme avant. Hellé a des séquelles, notamment neurologiques, et est hantée par l’accident. Elle ne se remettra en piste qu’en mai 1937.
©Paris Soir, 14 juillet 1936
C’est à Montlhéry, une fois encore, que tout va se passer. Yacco, une société qui fabrique de l’huile pour moteur, organise une course d’endurance féminine. Pour l’occasion, Hellé est associée à Simone des Forest, Odette Siko et Claire Descollas.
À quatre, elles roulent durant dix jours et dix nuits et s’adjugent pas moins de dix records du monde. Une prouesse certes mais un coup d’éclat insuffisant pour que l’ex-égérie des circuits renoue avec le prestige des Grands Prix.
Faute de mieux, elle se contente de rallyes et de courses de côte. Quand la guerre éclate, Hellé rejoint Paris avec Arnaldo Binelli, son amant. Ils quitteront la Capitale pour s’installer dans une belle villa à Nice fin 1943, prêtant ainsi le flanc à la rumeur – d’où vient l’argent ?
La paix revenue, Hellé se remet en quête d’un volant. Mais à 45 ans, son pouvoir d’attraction a perdu en intensité et les propositions sont rares. Début 1949, elle parvient malgré tout à s’inscrire au rallye du Monte-Carlo.
La veille, lors d’une cérémonie organisée en l’honneur des pilotes, Louis Chiron, sommité du sport automobile, l’accuse haut et fort d’avoir été un agent de la Gestapo. Bien qu’aucune preuve n’ait été avancée pour justifier de telles accusations*, s’en est fini de sa réputation.
Mise au ban, on ne la reverra jamais en course.
Lâchée par ses sponsors, ses amis, sa famille, Hellé se retrouve sans soutien et sans le sous après que Binelli, son compagnon, ait dilapidé sa fortune. Pendant quelques années, tous deux vont vivre d’expédients, aidés par « La Roue Tourne », une association qui vient en aide aux artistes démunis.
Il la quittera finalement en 1960 pour une autre, la laissant définitivement seule. Hellé Nice, la flamboyante, s’éteindra dans le dénuement le plus total vingt-quatre ans plus tard, à l’âge de 84 ans.
« La Roue Tourne » prendra en charge sa crémation et enverra ses cendres à sa sœur Solange, avec laquelle elle a toujours entretenu des rapports complexes.
Cette dernière, peu encline à lui faire une fleur, même post mortem, refusera d’inscrire son nom sur la tombe familiale.
*Miranda Seymour, auteure de la seule biographie consacrée à Hellé Nice – « The Bugatti Queen »– a enquêté dans les archives, y compris celles de la Gestapo à Berlin, sans trouver aucun indice prouvant qu’Hellé ait collaboré avec les Allemands. Selon elle, Louis Chiron se serait vengé pour des raisons plus personnelles.
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