À l’issue de la saison 2022-2023, la fédération française d’escrime comptait 760 clubs pour un total de 55 000 licenciés parmi lesquels 30 % de femmes et de jeunes filles. Qu’est-ce qui explique ce manque de représentation féminine chez les pratiquants ?
Je pense que les enfants qui viennent à l’escrime le font parce qu’ils ont vu Zorro, ils ont vu les Trois Mousquetaires ou des films de pirates, des spectacles qui touchent effectivement plus les garçons. Beaucoup des petites filles qui s’inscrivent dans un club d’escrime le font parce qu’elles ont essayé la discipline à l’école ou alors parce qu’elles ont vu, elles aussi, Zorro et que ça leur a parlé mais ce n’est pas la majorité.
L’escrime est et reste un sport de combat ce qui, par conséquent, attire plus les garçons que les filles et c’est la même chose pour la boxe ou le judo par exemple.
C’est le contact qui peut leur faire peur ?
J’ai donné des cours dans des écoles et les petites filles sont généralement étonnées lorsqu’elles commencent l’escrime, ça leur plaît, mais là où les choses peuvent changer c’est lorsque vous faites des matches avec des enfants : généralement le petit garçon va prendre un coup et ça ne va rien lui faire ; la petite fille, en revanche, va trouver que ça fait mal, que c’est violent, elle va venir une fois, deux fois, trois fois et elle va passer à autre chose. Les petites filles qui font de l’escrime sont souvent ce que l’on appelle des caractères, des petites filles qui n’ont peur de rien. C’est pour ces raisons qu’il y a ce rapport de 1 à 4 je pense, même si les choses commencent à changer.
Ceci dit, mis à part la gym et la danse, des sports qui sont traditionnellement associés à une pratique féminine, je pense qu’on est dans la moyenne de tous les autres sports. Ça relève du culturel : faire venir les filles au sport est compliqué, sauf à faire de la gym et de la danse. C’est quelque chose d’ancré.
La fédération d’escrime, c’est 5 disciplines : le fleuret, l’épée, le sabre, l’escrime artistique, le sabre laser. Les filles s’orientent majoritairement vers le fleuret et l’épée, elles sont très peu nombreuses en sabre et les deux dernières pratiques restent quasiment anecdotiques. Pourquoi selon vous ?
Le sabre féminin est une arme que l’on pourrait qualifier de jeune puisqu’elle existe depuis environ vingt ans. Le problème, c’est qu’il y a moins de clubs de sabre que d’épée ou de fleuret. On en trouve dans la région parisienne, dans le Sud-Ouest mais moi qui vient d’Aix-en-Provence par exemple, là-bas, on ne comptabilise que trois clubs.
Comme il y a moins de clubs, il y a mathématiquement moins de filles, ce qui n’empêche pas cependant qu’aujourd’hui nos meilleures escrimeuses sont des sabreuses avec un niveau jamais vu auparavant.
@Cercle des escrimeurs parisiens
De manière très pratique, à quel âge peut-on inscrire une petite fille à l’escrime ?
Lorsque je donnais des cours à Aix-en-Provence, on commençait l’escrime à 4 ans mais, généralement, on débute plutôt vers 6–7 ans. Durant la première année, les cours durent 1h ou 1h30. On y apprend les règles spécifiques à l’arme, les positions et toutes les valeurs que véhiculent l’escrime, à savoir, le respect, l’engagement…
Au début, la pratique est mixte…
On commence garçons et filles mélangés et on ne se sépare jamais, les filles continuent à s’entraîner avec les garçons. Une fois que l‘on a atteint un certain niveau, qu’on part du club pour rentrer dans un pôle France jeunes ou à l’INSEP, là, il va y avoir d’un côté les garçons et de l’autre des filles, mais dans les clubs, garçons et filles qui pratiquent la même arme sont mélangés.
@Cercle des escrimeurs parisiens
Pensez-vous que les Jeux Olympiques de Paris et les bons résultats des escrimeuses vont participer à combler ce fossé entre filles et garçons ?
Je reste persuadé que des compétitions comme les Jeux Olympiques font du bien à notre discipline et notamment en ce qui concerne son versant féminin. Pour discuter avec des maîtres d’arme de clubs, on s’aperçoit qu’il y a de plus en plus d’ados qui commencent l’escrime.
À une époque, on débutait vers 6-8 ans, maintenant, beaucoup de jeunes, et notamment de filles, s’y mettent à 13-14 ans ou 15 ans et pas forcément dans l’idée d’une pratique compétitive mais pour découvrir et pratiquer ce sport. Elles ont vu des images d’escrime à Paris, au Grand Palais, elles ont vu que c’était un sport très physique, très esthétique et que ça faisait travailler plein de choses.
Je ne vous dis pas qu’il va y avoir plus de filles que de garçons qui vont faire de l’escrime l’année prochaine, il faudra regarder les chiffres, mais en tout cas, il y a de plus en plus d’ados qui y viennent, à nous maintenant de les garder, ce qui est un autre problème.
Quelle va être la stratégie fédérale pour y parvenir ?
Je sais que la Fédération réfléchit à faire des blasons pour valider la progression, c’est quelque chose qui existe déjà mais que les responsables souhaiteraient développer. Le principe est simple : à la fin de votre première année de pratique, vous passez un blason de telle couleur, ce qui prouve que vous savez faire ça, ça et ça et même chose pour les années qui suivent. Il y a aussi le fait qu’aujourd’hui, à travers l’escrime, on n’est pas obligé d’être uniquement tireur, on peut aussi bien développer ses compétences pour devenir arbitre par exemple ou entraîner dans un club.
Et puis ce qui est également important à mon sens, c’est d’entretenir l’esprit qui règne dans ce sport, un esprit de famille. Je pense qu’aujourd’hui, les adolescents qui nous rejoignent sont dans cette démarche : ils viennent parce qu’ils ont des copines, des copains, parce qu’ils s’éclatent, qu’ils transpirent, qu’ils ont un cadre et ça, ça les attire bien plus que la compétition.
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