Elina Giallurachis « Avec le 400m, je suis de nouveau en mode guerrière. »

Elina Giallurachis : « Avec le 400m, je suis de nouveau en mode guerrière. »
Elle a lâché la perche pour la piste. Elina Giallurachis, championne de France Elite en 2021 au saut à la perche, a décidé d’opérer un virage radical en se positionnant désormais sur le 400 m. À 23 ans, cette fille de judokas repart ainsi à l’assaut de la victoire en privilégiant une discipline qui la rend heureuse. Rencontre avec une boule d'énergie qui sait rebondir.

Par Claire Bonnot

Publié le 31 mars 2025 à 16h25

La petite Elina mettait-elle déjà la barre haut dans tout ce qu’elle faisait et notamment dans le sport ?

Ah oui, j’étais très sérieuse dans tout ce que j’entreprenais. À 5 ans, je pratiquais le patin à glace puis, à 6 ou 7 ans, je suis rentrée en classe départementale de gymnastique, j’étais vraiment pas grande et, en plus, j’avais un an d’avance. À ce moment-là, je m’entraînais vingt heures par semaine. Mes études étaient donc adaptées en fonction de mes heures de gym. Mes deux parents étaient sportifs, des judokas. Mon père était en équipe de France de judo. Ça m’a sûrement influencée.

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Tu arrivais à te donner autant à fond, si jeune ?

Je crois que j’étais plutôt douée pour la gym donc, forcément, quand ça marche, on a envie de continuer. Et puis, je trouvais ça joli comme sport, j’adorais regarder les grandes. Je voulais pouvoir me dire : « Tu as réussi à faire ça toi aussi ». Et avec mon éducation, j’étais du genre à écouter toutes les consignes !

Quels étaient tes points forts en gym ?

Je sais que j’étais puissante sur le haut du corps, parce que j’étais plutôt douée sur les barres et j’avais de bons repères dans l’espace.

La suite, c’est le Pôle France à l’âge de 10 ans…

Oui, c’était dans la continuité de la classe départementale. J’y ai fait ma 6e et ma 5e. On m’a fait passer plusieurs tests pour que je puisse intégrer le pôle. Honnêtement, a posteriori, je me rends compte que c’était vraiment compliqué d’y entrer. Cette intégration, c’était déjà une performance en soi.

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À ce moment-là, quel était ton objectif ?

Je voulais être sportive de haut niveau ! Même si, à un moment, j’en ai eu marre. Mes parents m’ont quand même un peu poussée à continuer, je venais de commencer. Ce qui m’a drivée, c’est encore une fois cette envie de dire « J’ai réussi à faire ça ». Alors, j’ai tout donné pour entrer en pôle.

Et pourtant, tu n’y restes que deux ans. Que se passe-t-il ?

La gym, c’est vraiment un sport difficile, exigeant, on s’entraîne au moins trente heures par semaine. Et puis, on se fait pas mal engueuler… Alors, c’est vrai qu’on a besoin qu’on nous crie un peu dessus parce que je pense que sinon on se lancerait jamais. Parce qu’il faut bien le dire, la gym, c’est un sport qui fait peur quand même.

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Tu avais peur à la gym, c’est à dire ?

Ah oui, vraiment, mais je ne le disais pas. Je voulais qu’on pense que je n’avais pas peur. En fait, pendant toutes mes années de gym, je voulais que les gens se disent « Cette fille n’a peur de rien » alors qu’au fond de moi, j’avais vraiment peur. C’est un peu bizarre comme mécanisme mais c’est ça qui me faisait avancer.

Mais ça te plaisait quand-même malgré cette peur ?

Je pense, qu’au début, ça me plaisait sinon je n’aurais pas continué. Et puis, encore une fois, je crois que je trouvais le plaisir dans la performance, dans le fait d’arriver à faire des choses que les autres n’arrivaient pas à atteindre. Et puis, j’aimais les sensations que ce sport me procurait. Mais au bout d’un moment, la rigueur était tellement énorme que je me faisais moins plaisir. Je sais qu’à la fin, j’étais malheureuse, j’allais à l’entraînement en pleurant.

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Donc, c’est au moment où tu prends conscience de cet état que tu stoppes tout ?

Franchement, ce n’est que maintenant que je me l’avoue vraiment. Sur le moment, même si la peur avait vraiment une grande place dans le fait d’arrêter, je ne voulais pas me le dire. Je me disais surtout que j’en avais assez de me faire gronder tout le temps et que je voulais avoir la vie de toutes les filles de mon âge. Quand j’étais en pôle, je n’avais que deux heures de collège et après je retournais sur les agrès. Et puis, quand je finissais le soir à 19h30, il me fallait encore une demi-heure pour rentrer chez moi…

J’arrête donc le pôle mais je continue quand même la gym pendant un an. J’avais besoin d’une transition, je ne pouvais pas arrêter d’un coup.

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Comment tu rencontres le saut à la perche ?

C’est vraiment un peu par hasard. Mon père m’avait dit qu’il connaissait un entraîneur de perche et il m’a proposé d’essayer. Mais moi, je n’arrêtais pas de lui dire que je voulais faire du sprint. Quand je suis arrivée à l’entraînement, l’entraîneur a été finaud, il m’a dit : « Oui, bien sûr, du sprint tu vas en faire ». Et c’était vrai, mais dans le cadre de ma pratique de la perche.

Malgré tout, c’est le coup de foudre avec cette discipline ?

Déjà, j’étais trop contente, parce que mon premier entraînement était dehors, évidemment, alors que j’avais passé toute ma vie dans un gymnase, enfermée. En plus, il faut imaginer Marseille au mois de mai. Ciel bleu et grand soleil. Et puis, mon premier saut, 1m80 ! C’est rien mais, pour moi, c’était énorme. J’avais réussi à passer plus haut que ma taille. Au même moment, je commençais à me rendre compte que la vie des filles de mon âge ne me plaisait pas tant que ça. J’avais voulu connaître ça et j’avais l’impression de ne rien faire de ma vie. Donc, très vite, j’ai eu cette envie de réussir dans un autre sport. Et je me disais que je ne pourrais pas avoir aussi peur qu’en gym donc j’étais tranquille. Je me suis trompée là-dessus !

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Comment trouves-tu alors l’ambiance, est-ce que vous vous entraînez en mixte ?

Il faut dire qu’à la gym, l’ambiance n’était pas terrible parce qu’on était tellement toutes dans la galère ! À la perche, on s’entraîne avec des garçons. Pendant mes cinq années à Marseille, c’était très sympa, j’étais bien intégrée. J’étais une des seules filles au départ. Puis petit à petit, d’autres sont arrivées, plus âgées, elles sont vite devenues des copines, un peu comme des grandes sœurs ! À cette époque, j’adorais aller sauter et l’entraîneur était sympa.

Tu ressentais quoi quand tu sautais, quand tu t’envolais ?

À ce moment-là, j’avais vraiment l’impression d’être libre. Mais je me souviens m’être dit : « Si un jour la perche, ça devient comme la gym, tu arrêtes ! ». C’était une promesse que je me faisais à moi-même.

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Qu’est-ce qu’on repère chez toi assez vite en saut à la perche ?

Sur l’aspect technique, c’était mon décollage de loin. Je pense que c’est même pour ça que mon entraîneur de Clermont, Philippe D’Encausse, m’a acceptée dans le groupe. Et parce que je n’avais pas peur. Je me disais « T’as fait des saltos sur une poutre, des lâchers de barre, là, il y a un tapis ! ». Mon point faible, en revanche, c’était la course.

Et tu engranges assez rapidement des victoires lors de tes premières années à Marseille.

Oui, je gagne les Championnats de France cadets en 2018, je fais une deuxième et une troisième place en junior. J’étais contente ! Mais, à un moment, je me suis dit qu’il fallait que je parte. J’étais en prépa ingé intégrée à Marseille et le stade d’entraînement était à Miramas. Tout était hyper loin. J’avais aussi envie de prendre mon envol d’une autre façon : partir de chez mes parents. Et même si mon entraîneur était super, j’avais besoin d’aller chercher à plus haut niveau.

Comment tu as trouvé ton nouveau lieu d’entraînement ?

C’est assez marrant comme histoire. Mon copain de l’époque s’entraînait à Clermont-Ferrand, avec Philippe D’Encausse, l’entraîneur de Renaud Lavillenie. C’était impensable pour lui d’entraîner à nouveau des filles. Mais quand mon copain lui a demandé qui pouvait m’entraîner à Clermont, il a dit « moi ! ». Comme je le disais, il m’avait vue en stage et je pense que c’est pour mon décollage de loin qu’il a vu du potentiel en moi. Il m’a donc récupérée en juillet 2020. C’était absolument génial parce qu’à la base il ne voulait pas de filles !

Nouvel entraîneur, nouvelle façon de s’entraîner et nouveaux lieux, tout change pour toi à ce moment-là. Mais qu’est-ce qui, vraiment, t’a fait évoluer ?

Il y avait tout un travail qui avait été fait avec mon entraîneur de Marseille, mais je crois qu’avec Philippe d’Encausse, je me sentais totalement prise en charge. J’avais une grande confiance dans tout ce qu’il disait : « Tu fais ça, ça va marcher ». Et c’était le cas. J’avais besoin que l’on s’occupe de moi, et j’ai eu tout ça. La première année, il était à fond derrière moi. Et puis, je pouvais aussi m’entraîner l’hiver, on avait une salle. Donc je progressais.

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Tu débarquais dans un groupe largement constitué de mecs, comment as-tu été accueillie ?

Dans le groupe d’entraînement, c’était rare qu’il y ait des filles. En fait, il n’y en a eu qu’une seule qui s’est entraînée avec moi. Malheureusement, ça ne s’est pas hyper bien passé entre nous parce qu’elle « se rangeait » à ce que pensaient les mecs, en mode : « Oui, on est des filles donc on est chiantes ». Il y avait un peu ce cliché de dire que la perche, c’est pas le bon sport pour les filles ! En gros, pour eux, c’était même pas le même sport : parce qu’on va moins haut, c’est un peu moins impressionnant. Et moi, je me disais « Ils ne savent pas d’où je viens, ils verront bien que je suis une coriace, que je n’ai peur de rien ! ».

Il y en a un qui m’a carrément expliqué l’entraînement et je me disais dans ma tête « Mais, lui, il a pas compris, il sait pas que j’ai cinq ans de haut niveau dans les pattes ». En plus, moi, j’ai grandi dans une famille de judokas, avec un grand frère qui avait toujours voulu avoir un petit frère, donc le côté « mec » en mode bagarre, je connais ça. Je me disais que leurs réflexions sur les filles, ça n’avait rien à voir avec moi ! Quoiqu’il en soit, l’année s’est super bien passée et, en plus, j’ai gagné le titre…

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Tu deviens Championne de France Elite en 2021. Que se passe-t-il alors en coulisses pour en arriver là…

Je ne me suis pas forcément dit « c’est le moment de ma vie » mais je sentais que je progressais. La compet’, ça été une barre après l’autre. D’abord, je bats mon propre record; ensuite, je vois que si je veux gagner – on n’était plus que deux, il faut que je passe 4’41m. L’autre fille fait zéro et moi je bats mon record. C’est extra ! Décrocher ce titre montre aussi que j’ai du mental à revendre. Je le dis un peu de façon ironique maintenant, mais c’était une manière de prendre un peu ma revanche sur les mecs qui sont d’ailleurs tous venus me féliciter !

Ce titre, c’était une manière de leur montrer que tu avais du mental ?

Oui, j’étais une fille mais j’avais quand même réussi à faire ça. En fait, en perche, on dit qu’il faut avoir du mental et du talent. Là, j’avais montré que j’avais le mental. Pour ce qui est du talent, c’est autre chose : je ne m’étais jamais dit que j’en avais à la perche. Peut-être que je m’en rends compte un peu plus maintenant. Je n’avais pas une bonne image de moi. J’essaie de travailler dessus aujourd’hui pour ne pas refaire les mêmes erreurs.

Tu étais une sportive de haut niveau, tu décroches une médaille d’or, mais tu n’avais pas confiance en toi ?

Oui, c’est ça, dans le sport comme dans la vie à côté. Le sport, je gérais un peu mieux parce que je connaissais un peu plus cette vie. En fait, je me disais que je réussissais parce que j’étais une bosseuse acharnée, une bonne élève, mais j’avais ce truc du syndrome de l’imposteur.

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Est-ce que tu avais un préparateur mental pour t’aider à dépasser ces pensées limitantes et mieux performer ?

J’ai commencé à faire du coaching mental dès 2019 grâce à mon père qui m’avait parlé de cette possibilité-là, même s’il n’avait jamais eu recours à ça. Je m’étais dit que ça pouvait être une bonne idée si ça permettait de décupler mes capacités. Et ça a dû porter ses fruits pour le championnat de 2021.

Parce qu’avant de t’élancer pour un saut, tu te disais quoi ?

Moi, j’intellectualisais beaucoup, beaucoup, beaucoup. Ce qui veut dire qu’il fallait que je ressente les sensations du saut avant de sauter. Je faisais pas mal de visualisations avec ma préparatrice mentale, ça marchait vraiment bien sur moi. Elle m’avait expliqué que le cerveau ne faisait pas la différence entre le moment où tu sautes pour de vrai et quand tu t’entraînes dans ta tête. Je me suis dit : « Génial, je vais pouvoir m’entraîner tout le temps ! ».

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Après cette médaille, tu vis un incident qui va te marquer.

À l’hiver 2022, en compétition à Rouen, je m’ouvre la bouche. Je saigne de partout. Les médecins me suivent en courant. Je veux juste savoir si j’ai des dents cassées. Quand on me dit que tout est ok, je repars sur le plateau de compétition pour sauter. J’ai trop mal, mais je reprends ma perche. Et j’arrive à sauter. Je ne passe pas la barre mais je repique et je re-saute. C’était une telle performance ! À tel point que quelqu’un m’a dit : « Un garçon n’aurait jamais fait ça ». C’était le compliment ultime !

Et côté performance, par la suite, ça va le faire avec un record à la clé.

À ce moment-là – j’étais en espoir – je bats mon record quasi tous les week-ends, de 1 cm en 1 cm, et je monte jusqu’à 4,46m. J’étais déçue des France et je ne pouvais toujours pas partir en sélection équipe de France senior, mais j’avais toujours en tête de faire les Championnats d’Europe senior l’été.
Je fais 3e aux championnats de France Elite à l’été 2022, mais je ne pique pas sur tous mes sauts… et je ne parviens pas à faire 4,50m. Donc, je ne suis pas contente. En plus, cette année-là, on a les Championnats du monde et européen coup sur coup à cause du décalage dû à la Covid. Il n’y avait que trois places et je ne pars donc pas au monde.

Mais entre-temps, je fais une petite compétition, toute seule sans mon entraîneur, vers Bordeaux et je bats mon record ! Je fais 4,51m et ça a une importance car la perchiste partie au monde avait fait 4,50m. Mais c’est tout de même elle qui part aux championnats d’Europe parce qu’il fallait avoir fait les Championnats du monde auparavant. Je vis une grosse déception tout en me disant « C’est pas grave ». Je prends mes trois semaines de vacances à l’été 2022 pour repartir à bloc à la rentrée !

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Ton objectif reste cependant les Jeux Olympiques de Paris 2024 ?

En septembre, j’avais les Championnats de la Méditerranée. En reprenant l’entraînement, je tombe sur le tapis sans me faire mal, mais je chute. Ce n’est pas que j’ai peur, c’est que je ne comprends pas ce qui se passe dans mes sensations à ce moment-là. Je fais la compétition tant bien que mal, je me classe deuxième, ce qui est correct. C’était quand même une médaille en international chez les jeunes.
Donc j’avais les crocs, je rêvais des Jeux Olympiques dans un an et demi. Mais je pense à changer de marque de perche parce que j’ai l’impression que c’est ça qui va me faire passer un cap. Mon entraîneur me dit qu’on va s’en occuper mais ça ne se fait pas pour diverses raisons et je passe avec un autre entraîneur le temps de ses vacances. Le problème, c’est que j’étais impatiente, je voulais avancer, je pensais vraiment que la perche allait tout changer. Et ça ne se faisait pas. Je sentais que j’avais optimisé tous mes curseurs et que la perche était le seul levier qui me permettrait de passer un nouveau cap. Bref, je perds de plus en plus confiance…

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Malgré cela, tu gagnes à nouveau les Jeux de la Méditerranée mais en sautant 4,35m, ce qui est pour toi une contre-performance.

oui, je gagne et je ne suis pas contente. Pour le Meeting de Paris, je n’arrive pas à piquer un saut et, ça, devant 8000 personnes. Je sais que ça ne va pas. Avec mon entraîneur, on décide alors que je ne ferai pas les Championnats de France l’hiver pour nous concentrer sur l’été. J’avais quand même toujours besoin de travailler, ça me permettait d’avoir confiance en moi : donc je tentais de visualiser dans ma tête et je m’acharnais pendant les entraînements.

Puis, on part aux États-Unis et ça se passe pas bien. Sur la fin de saison, je fais troisième aux Championnats de France Elite avec l’aide d’Anaïs, la femme de Renaud Lavillenie, qui m’accompagne dans toutes mes compétitions. Ce palmarès a été un moment hyper fort pour moi : j’ai même pleuré, alors que je ne le faisais jamais à cause de tous ces trucs de comparaison avec les garçons. 4,20m, c’est une perf’ catastrophique mais je m’en fiche, je fais troisième, et surtout, je sens que je reviens de très loin : trois semaines avant, je ne piquais pas un saut.

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C’était le mental qui bloquait ?

Les garçons me disait : « T’es une fille, tu réfléchis trop, et, en plus, t’es en école d’ingénieur » donc, en gros, c’est normal que ça ne marche pas. On me disait que c’était un tort de trop réfléchir, alors que toute ma vie, j’ai réfléchi. C’était mon monde de fonctionnement. Mais je me disais : « Ils ont peut-être raison, je dois changer pour passer un cap ». À ce moment-là, ma prépa mentale m’avait envoyé voir une psychologue. Et avec elle, à nouveau je réfléchissais, je faisais tourner mon cerveau. C’est elle qui m’a fait me rendre compte que je n’aimais pas la perche. Je me l’étais caché et je continuais :  j’ai arrêté de la voir car je ne pouvais pas me dire ça. J’avais les Jeux en tête, un rêve ! Du coup, à la rentrée, je décide de m’entraîner avec Anaïs.

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Et ça se passe mieux ?

Ça a été beaucoup de pression finalement. Je m’acharnais trop à essayer de piquer sur le sautoir, je m’épuisais. J’ai fait les Championnats de France l’hiver – une place et une perf’ pourries – mais au moins je ressentais à nouveau des trucs, je trouvais ça rassurant.
Mais, pour plusieurs raisons, l’entraînement n’a pas marché, et, surtout, j’étais dans une position où je ne me sentais plus capable de redonner l’énergie qu’il fallait pour y arriver. Je pleurais de plus en plus souvent, je n’étais plus capable de visualiser un saut réussi et je commençais à avoir peur : peur de sauter à la perche et même peur de mourir ou de devenir tétraplégique. Je me disais : « Pourvu que je revienne à la maison ce soir »….

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Tu es à la limite du burn-out.

Oui, en fait, j’explose suite à une compétition à laquelle je participais tous les ans. Car je ne parviens pas à piquer. Je fais zéro. Je dis alors que je veux arrêter. Et je pars courir. Il faut s’imaginer : Clermont-Ferrand un 20 février, à minuit et sous la pluie, c’était digne d’une scène de film !

C’est à ce moment-là que j’ai dit stop à la perche. Et je n’ai jamais repris depuis. La vie était trop courte pour continuer dans une voie qui me rendait malheureuse. Pourtant, ça voulait dire faire une croix sur beaucoup de choses : je perdais mes sponsors, ma légitimité à l’école d’ingé, etc.

Et comment l’idée de faire du 400m entre dans la course ?

D’où m’est venu cette idée ? Quand ça n’allait plus à la perche, je réfléchissais à ce que je pourrais faire dans le sport de haut niveau, à 23 ans, avec mes qualités et sans que cette discipline ne requiert trop de notions de stratégie de course. Et ça s’est fait par un heureux hasard de la vie : une fois, en bord de stade, avec une copine, on regardait une fille faire du 400m, j’ai dit que j’aimerais beaucoup être à sa place. Elle a simplement répondu : « Pourquoi tu ne pourrais pas ? » Et voilà.

Je crois à ce genre de petits signes de la vie. Je me souviens même d’une anecdote : quand j’ai arrêté le pôle gym, un entraîneur m’avait dit que ce serait une bonne idée d’essayer la course vu mes qualités. J’avais répondu que jamais je ne ferai de tours de piste…

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Et est-ce que, cette fois-ci, ça a coulé de source ?

En fait, quand je dis à Philippe que je veux arrêter, je lui parle de mon envie de m’essayer à cette nouvelle discipline. Et il me dit que c’est une bonne idée. J’ai potassé le truc, écouté des milliers de conférences, passé une semaine à faire des footings, lu des bouquins… Sa fille fait du 400m donc il me recommande un entraîneur qu’il connait à Clermont. C’est lui qui m’a récupérée, Maxime Milot.

Dès le départ, lorsqu’on débute à la mi-mars 2024, je voyais les choses en grand parce que je me disais que je n’avais pas une minute à perdre et Maxime a vraiment pris le temps de m’écouter. Je voulais faire les Championnats de France dès l’été, c’était un peu fou. J’avais même fait un pseudo-plan d’entraînement. Il n’a même pas rigolé ! Après, j’avais quand même honte d’arrêter la perche, par rapport aux mecs, tout ça. J’avais l’impression de trahir tout le monde.

Et puis, il faut savoir que ma première séance sur 400 mètres, j’ai fait des temps catastrophiques ! Mais j’étais heureuse, j’allais à l’entraînement sans avoir peur, je vivais à nouveau. J’ai juste eu besoin de retrouver mon soleil, ça joue sur le moral le temps gris. J’ai donc pu faire un stage à Montpellier avec un nouvel entraîneur, Bruno Gajer. J’avais besoin de savoir ce qu’il pensait de moi avant de signer.

Quand tu cours, tu te sens comment ?

Déjà, c’est le rêve à Montpellier parce je m’entraîne dehors, au soleil, sous les pins. Je me sens chez moi. Et sinon, je crois que je retrouve cette sensation d’être au combat, en mode guerrier, que j’ai toujours eue avec ma famille de judokas. Je me sens comme une combattante sur le 400m. Mais c’est aussi une épreuve d’humilité parce qu’on finit l’entraînement dans le mal..

Et côté santé mentale, tu te sens mieux, dans un environnement compréhensif ?

Mon cadre est hyper rassurant : mon entraîneur est super sympa, je peux lui parler de mes peurs, de mes doutes, il me tempère aussi en me disant que je dois être patiente. Et dans mon groupe d’entraînement qui est mixte, il y a la championne Rénelle Lamote qui m’aide à me sentir forte. Elle parle ouvertement de l’aspect psychologique dans nos parcours d’athlètes, elle ose nous dire qu’il lui arrive d’avoir peur. Et ça, c’est hyper rassurant. J’ai d’ailleurs recontacté ma préparatrice mentale récemment pour continuer à travailler l’aspect mental.

Tu as des objectifs précis en tête, des rêves ?

Oui, j’aimerais faire des résultats rapidement. J’aimerais faire les Championnats de France cet été. Et donc revenir sur du haut niveau avec le 400m.

Si tu devais résumer, qu’est-ce que le sport et le sport de haut niveau représentent pour toi ?

J’ai besoin d’un peu de performance et de dépassement de soi. J’ai toujours été dans une telle rigueur avec le sport depuis le plus jeune âge, je pense que ça forge ! Et avec le sport de haut niveau, ce n’est que du plus : on vit des sensations folles et on s’offre une bien meilleure image de soi-même. J’étais une petite fille qui manquait beaucoup de confiance en elle. Aujourd’hui, je n’hésite pas à oser !

Depuis peu, tu partages beaucoup tes étapes sportives et mentales sur les réseaux sociaux, ça te booste ?

Avant, j’avais honte de faire ça, surtout sur Instagram. Je préfère LinkedIn pour ça parce que je trouve qu’il y a l’espace pour aller plus en profondeur et j’ai l’impression qu’on y est moins jugé.

En tant que sportive de haut niveau – tu deviens une sorte de rôle-modèle pour les jeunes filles notamment – qu’est-ce que tu aimerais transmettre ?

Quand je faisais encore de la perche, je faisais partie des dispositifs « Ambition 2024 » au cours desquels j’ai eu la chance de rencontrer Marie-José Perec qui était un peu à l’initiative de tout ça. Et son témoignage avait été très porteur pour moi : elle nous avait dit qu’elle avait peur, qu’elle vomissait avant de faire ses courses. Je me disais : « Une telle légende ressent ça aussi ! ».

Effectivement, les discours des sportifs exposés peuvent faire bouger les choses. J’aimerais dire à toutes les filles de croire en soi et non pas dans ces discours qui nous enferment tel que : « Tu pleures donc t’as moins de mental ». Ce n’est pas vrai, on a le droit de pleurer, ce n’est pas une faiblesse, et ce n’est pas pour ça qu’on sera moins fortes.

Moi, à un moment donné, avec toutes ces mauvaises idées dans la tête, je suis même allée jusqu’à vouloir copier le comportement des garçons pour performer. Non, il ne faut surtout pas : nous sommes des filles et nous devons être fières de l’être.

  • On se met dans les pas d’Elina via son compte LinkedIn où elle partage les coulisses mouvementées de sa reconversion.
  • Son palmarès en saut à la perche : 3e championnat de France Élite 2023, 3e championnat de France Elite 2022, Championne de France FFSU 2022, 3e championnat de France Elite outdoor 2021, Championne de France Elite 2021, Double championne de France U23, 7e championnat d’Europe U23 (finaliste), Vice-championne de France U20, Sélectionnée au championnat d’Europe U20, Double championne de France U18, 10e au championnat d’Europe U18
Ouverture ©DR

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