Anne-Andréa Vilerio : « Sportives, ne nous voilons pas la face… »

Sport femme voilée
L’exclusion définitive du port de signes religieux pour les arbitres sportifs a été actée par la fédé de handball, ce qui n'est pas le cas pour ses joueuses. Forcément, ça fait débat. Au-delà des convictions de chacun, que dit la loi ?

Par Anne-Andréa Vilerio, avocate au barreau de Paris*

Publié le 24 mai 2023 à 13h28, mis à jour le 26 février 2025 à 17h53

À une époque où le port de signes religieux ne cesse de faire débat, l’histoire de deux jeunes arbitres de la fédération française de handball voilées (FFHB), ayant récemment annoncé l’arrêt brutal de leur parcours vers le haut niveau, démontre que le sujet est loin d’être clos.

Cette fin de carrière prématurée est intervenue à la suite d’un communiqué de la FFHB, les rappelant à la réglementation concernant la tenue d’arbitre ainsi que sur l’interdiction du port du voile.

Diffusée sur les réseaux sociaux, cette nouvelle interroge, quand on sait que la FFHB autorise le port de signes religieux ou confessionnels pour ses joueuses ; contrairement à la fédération française de football qui, par exemple, l’interdit.

En tout état de cause, le statut d’arbitre sportif semble permettre un exercice différencié de la liberté de conscience et de religion, au sein d’une même fédération.

Sarah et Sabrina Boukherouk, arbitres de la Ligue Centre-Val de Loire de Handball, ont mis fin à leur parcours d’arbitrage vers le haut niveau suite au communiqué de la Fédération Française de Handball.

  • Quel statut pour l’arbitre sportif en France ? 

 

D’ores et déjà, il convient de préciser qu’en matière sportive, il existe une très grande diversité de catégories d’arbitres, notamment du fait de la multiplicité des disciplines et règles du jeu applicables.

Juges, juges-arbitres, commissaires, notateurs, évaluateurs, responsables de jury, chronométreurs, officiels, commissaires, principaux ou assistants, juges de chaise, juges de côté, juges de ligne, juges de touche, juges de mêlée…la multitude des dénominations témoignent de l’identité plurielle de l’arbitre sportif.

Parfois au cœur de l’action, il se confond dans certains sports avec les athlètes de la partie ; parfois à l’extérieur du terrain, il peut être interdit de tout déplacement.

Ses décisions peuvent intervenir en cours d’action, ou a posteriori, par l’attribution de notes. Il contrôle l’application des règles du jeu, jusqu’à leur interprétation, érigeant une véritable jurisprudence qui régule sa discipline.

Ainsi, c’est seulement en 2006, par la loi n° 2006-1294 du 23 octobre 2006 portant diverses dispositions relatives aux arbitres, que l’Etat est intervenu pour tenter de définir les contours de son statut.

L’autre raison qui explique cette tardiveté législative vient aussi du fait que l’activité arbitrale est foncièrement paradoxale.

En effet, d’une part, il existe un lien de subordination entre l’arbitre sportif et sa fédération de rattachement, notamment car c’est la fédération, elle-même délégataire d’un service public, qui désigne les arbitres pour officier à l’occasion d’une compétition.

D’autre part, l’arbitrage nécessite une certaine autonomie, corollaire de l’impartialité, absolument nécessaire à l’exercice de sa fonction.

En outre, l’arbitre sportif bénéficie d’une protection pénale accordées aux personnes chargées d’une mission de service public. La reconnaissance d’un tel statut permet notamment d’aggraver les peines encourues pour les principales infractions d’atteintes auxdites personnes.

C’est dans ce cadre que l’article 223-2 du code du sport reconnaît aujourd’hui l’arbitre sportif comme chargé d’une mission de service public.

©Shutterstock

  • Quelles conséquences sur sa liberté de conscience et de religion ? 

 

La reconnaissance d’une telle mission de service public à l’égard de l’arbitre sportif entraîne de nombreuses conséquences sur ses droits et obligations.

Parmi elles, la restriction de la liberté de conscience et de religion, commise par l’ingérence étatique, trouvant sa source dans le principe de laïcité et de neutralité des services publics.

Pour rappel, c’est la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, qui fonde ledit principe de neutralité de l’Etat en matière religieuse. Aussi, la laïcité et l’exigence de neutralité de l’Etat sont consacrées à l’article 1er de la Constitution de 1958.

Une telle limitation pesant sur la liberté des personnes incarnant le service public est riche de lois et de jurisprudences. Les juges du Palais-Royal sont d’ailleurs déjà allés jusqu’à s’intéresser à la question de la pilosité faciale d’un agent, dont l’absence de soin suggérait à sa hiérarchie l’appartenance de l’intéressé à la mouvance islamiste (CE, 12 février 2020, Monsieur B, n°418299).

Ainsi, c’est l’interprétation singulière du principe de laïcité à la française, axée sur la protection de la liberté de conscience et de l’égalité des usagers, qui constitue un tel vivier d’interdictions.

La France n’a pas fait le choix de favoriser l’universalisme et le respect de la culture des arbitres sportifs, contrairement à la position du CIO, ou plus largement, aux valeurs que le sport est censé véhiculer.

Dès lors, il convient de reconnaître que le monde du sport est, lui aussi, susceptible de constituer un vecteur de discriminations.

*Anne-Andréa Vilerio est avocate en droit public au barreau de Paris, avec un intérêt particulier pour le monde du sport. Membre de l’association Femix’ qui s’engage pour la valorisation du sport féminin, elle propose, dans ses chroniques pour ÀBLOCK!, un éclairage juridique sur l’actualité et la place des femmes dans l’univers sportif.

Ouverture ©Shutterstock

Vous aimerez aussi…

boxeuses au mozambique

Boxeuses au Mozambique – Sur le ring pour sortir du K-O

Dans leur pays, la boxe est un sport mineur, où on a longtemps considéré que les filles n’avaient pas leur place. Mais c’était avant qu’elles ne montrent les poings et ne rapportent des médailles. Le photographe français Stéphane Bouquet a shooté les exploits de cette équipe féminine du Mozambique désormais connue comme Les Puissantes.

Lire plus »
Monica Pereira

Monica Pereira, le sport pour sortir de l’ombre

Une jeunesse dans les quartiers difficiles, un parcours chaotique et…le sport. Monica est une survivante. Et c’est parce qu’elle s’est bougée, dans tous les sens du terme, qu’elle est aujourd’hui, à 43 ans, en phase avec elle-même. Depuis un an, elle épouse sa reconversion de coache sportive avec jubilation. Pas peu fière. Elle nous raconte ce qui la raccroche à la (belle) vie. Témoignage précieux.

Lire plus »
Glissez jeunesse !

Glissez jeunesse !

Ce sera Gangwon ! Le CIO a validé l’organisation des Jeux Olympiques de la Jeunesse 2024 dans cette province de Corée du Sud. Les meilleur.e.s jeunes athlètes des sports d’hiver s’y rencontreront du 19 janvier au 1er février 2024.

Lire plus »
Laura Marino

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

De l’histoire de la gym féminine à celle d’une plongeuse de haut vol qui a pris la tangente pour ne pas se noyer (Laura Marino sur notre photo), en passant par une sportive écolo, une marathonienne hors-norme et une course parisienne, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! de la semaine. Bonne lecture !

Lire plus »
Béryl Gastaldello, 5 infos sur une sirène qui rêve grand

Béryl Gastaldello, 5 infos sur une sirène qui rêve grand

Exigeante, elle semble ne jamais se satisfaire de ses réussites. Béryl Gastaldello est une torpille fragile, qui attend sans doute trop d’elle-même. Mais sa présence aux Jeux Olympiques de Paris 2024 atteste bel et bien de son talent. Retour en 5 infos sur le parcours de cette olympienne dans l’âme.

Lire plus »
Stacey Allaster

Stacey Allaster, la boss de choc de l’US Open

Elle est la première femme à avoir pris les rênes du tournoi américain. Responsable de la Fédération américaine de tennis, la Canadienne qui a présidé aux destinés de l’US Open pendant cinq ans, tout en conservant ses prérogatives au sein de la fédé, s’apprête à tourner la page, mais sans tout à fait quitter le tennis. Portrait d’une pionnière audacieuse.

Lire plus »

8 mars : l’égalité des sexes au menu du CIO

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, ce 8 mars, le Comité international olympique a annoncé le nom des 6 lauréat.e.s de ses trophées « Femme et Sport » 2020. Des lauréat.e.s « défenseurs » de l’égalité des sexes. Le monde bouge dans l’olympisme.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner