Tu as récemment participé au semi-marathon du Ventoux, tu as terminé 10e du classement féminin. Pourtant, tu as bien failli ne pas prendre le départ, tu as une fille de trois mois, Léonie, que tu allaites. Comment est-ce que tu es parvenue à concilier course et enfant ?
Il se trouve que Bertrand, l’organisateur de la course nous avait invités avec mon conjoint Nico (Dalmasso, Ndlr), je ne voulais pas m’engager si c’était pour lui mettre un vent le jour de la course en sachant que je n’avais aucune idée, à l’époque, de comment j’allais être au niveau de la récup’ post-accouchement. La seule chose dont j’étais certaine c’était que, quoi qu’il arrive, je serais sur place parce que Nico courait. Pour le reste, je ne m’étais mis aucune pression, je savais que Bertrand acceptait que je me décide jusqu’à la veille du départ. Ce n’est qu’une fois sur place que j’ai pris ma décision : je me sentais frustrée de ne pas courir, d’autant plus que je savais que j’allais aller au sommet pour voir l’arrivée de Nico. J’ai demandé à Bertrand s’il était toujours ok pour que je prenne le départ et il m’a dit oui.
Tu te sentais capable de te mesurer de nouveau à une épreuve longue, trois mois après ton accouchement ?
Oui, je me sentais capable de le faire, mais sans forcément d’objectif de performance ou autre. La seule chose qui m’importait, c’était de trouver comment gérer Léonie. L’année dernière, j’avais mis 2h pile. Là, je me doutais que je mettrais entre 2h10 et 2h15 or, les tétées de Léonie sont programmées toutes les trois heures. Je l’ai allaitée à 7h45, juste avant le départ et je savais que si je courais en 2h10, en ajoutant les 15 minutes avant le départ, plus les 10-15 minutes à l’arrivée, ça ferait pile trois heures et qu’elle ne s’apercevrait de rien.
Tu n’avais pas d’objectif sportif en soi, mais tu en avais finalement un plus exigeant encore, celui de nourrir ta fille dans les temps !
Oui, je savais que moins je mettrais de temps, plus j’allais pouvoir la retrouver vite à l’arrivée sans qu’elle n’ait faim. Il ne fallait pas que je mette 3h10 ! Ce n’était pas de la pression ni un objectif en soi, mais plutôt un challenge pour que ma fille puisse manger dans les temps dès la ligne d’arrivée franchie.
Au moment du Ventoux, tu avais repris le sport depuis combien de temps ?
J’ai repris le sport cinq semaines après l’accouchement avec de la marche-course, je n’ai pas repris tout de suite par des footings de cinquante minutes ! Je faisais une minute de course-une minute de marche, en montant progressivement la durée de course au fil des semaines jusqu’au moment où j’ai senti que je pouvais faire vingt minutes d’affilée sans marcher. Peu à peu, j’ai pu remonter sur des footings jusqu’à 13 kilomètres, j’ai également refait un 10 kilomètres avec un dossard trois semaines avant le Ventoux en remettant un peu de rythme, d’intensité. Il est vrai néanmoins que je n’avais jamais refait un semi et poussé jusqu’à 2h10 d’efforts sauf en vélo où j’ai pu monter jusqu’à 3h-3h30 avec Nico qui me suivait en voiture pour que je puisse allaiter notre fille. Je me disais que si j’étais capable de refaire des efforts sur la durée en vélo, je serais capable de les faire en course.
Tu as toujours été sportive ? Elle représente quoi la pratique au quotidien pour toi ?
J’ai commencé tôt, au collège, avec le sport scolaire et le sport m’a permis de rencontrer beaucoup de monde. C’est un lien social hyper important pour moi. Et puis il y a aussi la compétition dans laquelle j’ai rapidement plongé avec l’envie de toujours aller un peu plus vite en termes de chrono. Je suis inscrite au Zoom Volt Runner, un petit club sur Paris. On s’entraîne ensemble tous les mardis et tous les dimanches, on part en vacances ensemble et cette convivialité est quelque chose de très important dans ma vie. C’est pour cela que j’avais envie d’être maman, mais sans mettre entre parenthèses cet aspect de ma vie dans lequel je m’épanouie à travers le sport, dans lequel je rencontre des gens, je participe à des compétitions, je découvre de nouvelles régions, de nouveaux pays… Je ne voulais pas dire stop à tout cela, ça me faisait peur et ça a probablement pu m’inciter à retarder le fait d’avoir un enfant.
Il y avait ces neuf mois de grossesse avec un corps différent à appréhender et il y avait aussi le après avec la peur de ne pas pouvoir refaire du sport rapidement. Finalement, ma grossesse s’est bien déroulée, l’accouchement s’est bien passé, mon corps a bien récupéré, j’ai pu reprendre plus vite que ce que j’imaginais et trouver l’équilibre entre ce nouveau chapitre de ma vie qui demande plus d’organisation et ma pratique sportive.
Outre l’arrêt de la pratique, est-ce que tu projetais des idées, des fantasmes sur le sport et la maternité ?
Ma première peur était de devoir être alitée et de ne rien pouvoir faire pendant ces neuf mois. Je n’avais ni besoin ni envie d’une pause à ce moment-là de ma vie, j’avais envie d’avoir un enfant mais que ma vie continue normalement. Il est évident que la grossesse a un impact sur ta pratique, il y a des choses que tu peux moins faire ou que tu ne peux plus faire mais ce qui est certain pour moi, avant de tomber enceinte, c’est que je voulais continuer le sport et à courir le plus longtemps possible, même avec des allures diminuées, même sans l’aspect performance. C’était important pour mon équilibre, même mental : j’avais besoin de ce moment dans la journée où je partais courir, où je déconnectais, je respirais un autre air.
Quels ajustements as-tu été obligée de mettre en place ?
Je prenais les jours les uns après les autres, les footings les uns après les autres. À chaque fois que je terminais une sortie, j’étais contente tout en étant consciente que ça pouvait s’arrêter n’importe quand. J’avais également rendez-vous chez mon gynéco tous les mois et lui me disait si je pouvais continuer ou non. Outre l’avis médical, j’ai fait attention, je me suis écoutée. J’ai fait pas mal de renfo, de plate-forme d’équilibre pour préserver mes genoux, travailler mon centre de gravité qui change quand tu es enceinte. J’ai essayé de mettre en place tout ce qui était en mon pouvoir pour continuer à faire du sport le plus longtemps possible.
Tu as été guidée dans l’élaboration de ce programme ?
Non, j’ai mis en place des choses qui me semblaient être de bon sens sur le moment. Peut-être que ça ne servait à rien mais ça me rassurait. Je voulais essayer de faire en sorte de muscler la zone du bas du corps qui est celle qui prend le plus quand on court. En revanche, certains m’ont dit qu’on pouvait faire des abdos, du gainage pendant la grossesse, mais c’est un truc que je ne me sentais pas du tout de faire. L’idée était de faire comme je le sentais, de la manière la plus intelligente possible par rapport à moi, à mon ressenti, à mon corps. Ce que je ne voulais pas, c’était subir et me dire, à quatre mois de grossesse, que je ne pouvais déjà plus rien faire parce que je n’avais pas mis en place ce qu’il aurait fallu avant alors que deux séances de renfo dans la semaine pouvait peut-être me permettre de courir jusqu’à huit mois de grossesse.
Tu as levé le pied sur la compétition, mais tu t’es autorisée quelques sorties en début de grossesse, notamment une sur le marathon de New York durant ton quatrième mois. C’était un rendez-vous programmé depuis longtemps que tu t’es sentie apte à honorer ?
Oui, on avait les dossards avec Nico avant que je ne tombe enceinte. Au début, j’ai pensé que je ne pourrais pas courir. J’ai fonctionné comme ça durant toute ma grossesse : je me projetais dans l’issue la moins favorable en me disant que, peut-être, je ne pourrais pas le faire mais que j’allais malgré tout essayer. Je ne voulais pas me projeter dans le positif et être déçue, je préférais l’inverse. On est donc partis du principe que je verrais une fois sur place. Avant cela, j’ai essayé de courir toutes les semaines, j’ai même essayé quelques sorties longues et, une fois à New York, je me suis sentie capable de prendre le départ. J’avais un peu de ventre, mais ce n’était pas encore énorme. Il y avait juste quelques changements physiologiques avec lesquels il me fallait composer comme les ligaments utéro-sacrés qui commençaient à me tirer depuis deux-trois semaines au niveau du bas du ventre, mon rythme cardiaque qui était plus haut. Il y a également un aspect que je n’avais pas du tout anticipé, celui des gels que tu prends pendant les marathons. J’aurais dû en prendre plus : on était deux, Léonie puisait elle aussi de l’énergie et j’ai senti qu’à la fin de la course, j’étais un peu en hypoglycémie.
Il a fallu adapter ton nouveau quotidien à ta pratique sportive mais est-ce que, a contrario, le sport t’a aussi aidée à bien vivre ces neuf mois de grossesse en diminuant, par exemple, certains symptômes comme les nausées ?
Durant le premier trimestre, alors que j’étais très fatiguée et que les nausées étaient vraiment importantes, je restais au lit, j’avais du mal, je me disais que je ne pouvais rien faire et puis je me suis un peu poussée à aller courir et, quand je rentrais, je n’avais plus ces nausées, je n’avais plus cette grosse fatigue. Mais là où j’ai vraiment ressenti des bénéfices, c’est plus au niveau du corps et des mouvements. Durant ma grossesse, je n’ai jamais eu l’impression d’être bloquée et d’avoir des difficultés à me mouvoir, je n’ai pas eu de douleurs de dos atroces et je pense que le fait d’être en mouvement durant ces neuf mois a fait que mon corps s’est mieux adapté aux changements de poids, aux ligaments qui tirent un peu à droite à gauche…
À mesure que mon corps changeait, la pratique du sport me permettait de m’adapter à ces changements, à la prise de poids. Si j’avais arrêté trois semaines, je pense en revanche que je n’aurais pas pu reprendre car le corps change tellement vite en fin de grossesse qu’il m’aurait été impossible de combler l’écart, il fallait être régulière pour ne pas être surprise.
Quel rôle a joué Nico, ton compagnon, dans la poursuite de ta pratique sportive ?
Nico est très sportif aussi et lui et moi, on comprend le besoin de l’autre de se ménager un moment dans la journée pour aller en courir ou faire du vélo… Quand on a su que j’étais enceinte, il était très important pour moi qu’il valide mon envie de continuer à courir même si j’étais convaincue que je pouvais le faire. Ce bébé, c’était le nôtre à tous les deux et je voulais que la décision soit commune. Jamais il ne m’a freinée, il m’a toujours fait confiance et dit de faire comme je le sentais. Il était d’accord et content pour moi que je puisse continuer, ce qui est d’ailleurs encore le cas maintenant que Léonie est avec nous. Il me donne la priorité dans la journée pour aller courir parce que je l’allaite, je me lève la nuit pour la nourrir et je suis un peu fatiguée. Je ne sais pas si c’est de la chance ou si c’est normal, mais nous sommes sur la même longueur d’ondes.
Tu évoquais aussi le suivi médical avec une visite chez ton gynéco tous les mois. C’était important d’avoir un médecin à tes côtés ?
J’étais enceinte pour la première fois et il est vrai qu’on entend souvent plein de choses à propos de la grossesse et du sport. J’avais un peu peur, il faut le dire, et j’avais aussi peur de culpabiliser. Je savais que si jamais je rencontrais un problème pendant la grossesse ou à l’accouchement, on aurait dit que c’était parce que j’avais trop couru ou trop longtemps, même si ça n’était pas avéré. Je voulais l’aval de mon gynéco et je lui demandais tous les mois si je pouvais continuer. Il était au courant pour le marathon de New York, il était au courant pour le semi auquel j’ai participé en Guadeloupe un mois après et il m’a d’ailleurs dit, texto, que ce serait mentir que de me dire que courir pouvait s’avérer dangereux pour mon bébé. Il ne m’a pas pour autant poussée à courir, mais il se trouve que j’ai des copines sage-femmes qui m’ont dressé une liste des bienfaits du sport pendant la grossesse et ils sont nombreux. Lui, ce qui lui importait avant tout, c’était le col de l’utérus, l’ouverture, la longueur et la position du placenta. Si mon col était fermé, je pouvais continuer à courir. En revanche, s’il était un tout petit peu ouvert, il aurait fallu stopper.
Est-ce que le soutien de ton compagnon et l’aval médical t’ont permis de te libérer de ce regard des autres qui te faisait culpabiliser ?
Je pensais, avant ma grossesse, que tout cela me passerait au-dessus de la tête mais finalement non. Tu prends les remarques, tu prends les regards aussi et ça, je ne pensais pas. Quand j’allais courir dans le bois de Vincennes, je me sentais un peu déshabillée. Les gens que je croisais regardaient systématiquement mon ventre et j’avais du mal avec ça. Et puis il y a les remarques, surtout quand tu ne demandes rien. Nico était ok, mon gynéco aussi, les sage-femmes, pareil, je n’avais pas besoin de plus, mais les gens te donnent quand même leur avis et, même si j’ai des copines qui m’ont dit que c’était bien, que c’était inspirant, on retient plus les remarques négatives et elles restent, tu y penses en courant.
Est-ce qu’il existe du matériel spécifique pour accompagner la pratique des femmes enceintes ?
Quand je commençais à avoir un ventre un peu trop lourd, mon gynéco m’a effectivement conseillé une ceinture de maintien mais je ne l’ai pas mise. Des sage-femmes m’avaient expliqué qu’il ne fallait pas la mettre au quotidien parce que ça remplace un peu le périnée qui pouvait, de fait, moins travailler et être plus relâche. Je ne l’ai pas mise, mais la ceinture était là en cas de besoin.
Comment est-ce que tu te projetais dans l’après-grossesse ?
J’ai fait la même chose que pour la grossesse, j’avais un idéal mais je savais que tout dépendrait de l’accouchement, de la récupération… Je ne voulais pas trop me projeter pour ne pas être déçue ou me mettre trop de pression. Finalement, l’accouchement s’est super bien déroulé, la récup a suivi ce qui fait que, même s’il y a toujours un peu de douleurs de l’accouchement, j’ai vite pu remonter sur un vélo d’appartement. J’ai commencé par 15 minutes pour faire tourner les jambes et couper un peu parce que, même si tu te sens prête, tu ne l’es jamais totalement pour cette nouvelle vie qui commence. Et puis ça me permettait de retrouver cette sensation de transpiration et de cardio qui monte. Par la suite, j’ai repris un peu de renfo tranquillement pour bouger et que mon corps soit en mouvement et, comme on habite au cinquième étage, j’ai fait quelques montées d’escaliers pour faire travailler les jambes avant de reprendre la course, sans partir trop loin de Léonie.
Tu as repris la course quand ?
Quand j’ai senti que c’était le bon moment ! Ça s’est fait au bout de cinq semaines et de manière progressive. Encore maintenant, c’est comme je le sens et en fonction de mes envies avec zéro pression, pas de plan d’entraînement et pas de chrono à tenir, juste du plaisir et l’envie de sortir pour s’aérer un peu.
Tu sens une différence entre ton corps d’avant et d’après grossesse ? Certaines athlètes évoquent cette sensation d’avoir plus de force ?
Au stade où j’en suis, je sens que ça me tire un peu dans le bas du ventre et je dois voir la sage-femme pour cela. Quand ça arrive, je m’arrête mais j’aimerais bien que ça soit réglé. Il y a aussi ce surplus de poids qui est encore un peu là, je suis moins musclée et ma poitrine est bien plus importante. Pour le reste, il est vrai que l’on m’a dit que quand je reprendrais, je serais meilleure qu’avant ma grossesse, que je pourrais battre tous mes records. Je ne sais pas si cette force dont on parle est plutôt physique ou plutôt mentale parce que, une fois que ton bébé est là, tu sais encore plus pourquoi tu vas courir, tu sais que tu as une heure devant et tu es peut-être encore plus déterminée. En tout cas, en ce qui me concerne, physiquement, je n’ai pas la sensation d’un changement mais, mentalement, je sais que l’envie est là.
Tu évoquais, au début de ta grossesse, la possibilité de reprendre la compétition à l’occasion du marathon de Valence qui aura lieu début décembre. Est-ce que c’est toujours d’actualité ou est-ce que tu continues à prendre les choses comme elles viennent, en te décidant sur le moment en fonction de ton ressenti ?
J’ai envie de prendre le départ mais, il y a trois jours, je me suis dit que ce serait trop tôt, exactement comme je l’avais dit pour New York. Je vais malgré tout essayer de faire en sorte d’être sur la ligne de départ. La seule chose qui change avec Valence, c’est que j’ai envie d’être compétitive et donc performante. Je suis quand même loin de ce que je faisais avant, ce qui est normal, mais, pour courir un marathon, il faut refaire des sorties longues et retrouver l’allure et ça, ça peut être compliqué. On verra, je vais faire en sorte d’y être et si ce n’est pas possible, ce n’est pas grave, je ne veux pas brûler les étapes, je ne veux pas me blesser.
Cette expérience sportive durant la grossesse a été avant tout personnelle, mais elle peut néanmoins servir à d’autres. Si tu avais un conseil – ou plusieurs – à donner aux femmes qui veulent vivre de façon sereine ces neuf mois tout en continuant à avoir une pratique sportive, tu leur dirais quoi ?
Ce qui m’a vraiment aidée, c’est le fait de me faire confiance et d’avoir confiance en mon corps. Après le Ventoux, il y a une vidéo qui me montre allaitant Léonie et qui a été beaucoup commentée (voir plus haut, Ndlr). Il y a beaucoup de réactions positives, mais il y en a aussi qui sont négatives et je me dis qu’heureusement que je me suis fait confiance parce que, si j’avais écouté tout le monde, j’aurais été empêchée de plein de choses. Il est possible que ce que je vais dire m’attire les foudres mais, parfois, il y a peut-être un peu trop de prévention, trop de précautions, notamment en ce qui concerne la grossesse, alors que le corps s’adapte. Je pense que c’est un sujet dont on parle de plus en plus mais ce n’est pas encore assez, il faut continuer. Il y a de nombreuses questions à ce propos, des femmes qui n’osent pas faire du sport, par culpabilité ou par peur alors que pendant la grossesse, le sport est très enrichissant, que ce soit d’un point de vue physique ou mental et que les études montrent que si tout va bien, il n’y a pas de freins qui empêchent de pratiquer pendant sa grossesse. On se pose parfois trop de questions pour des choses qui, finalement, sont simples et relèvent un peu de l’animalité.
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