Héloïse Pégourié « Avec mon kite, dès que je me mets sur l’eau, je me déconnecte du monde. »

Héloïse Pégourié
Elle surfe sur la vague avec une pêche et une glisse d’enfer. Héloïse Pégourié, 16 ans, Championne de France junior U20 en Foil, classée dans le Top 15 des meilleures rideuses européennes, sait prendre le vent avec la fougue de la jeunesse et la sagesse de l’athlète de haut-niveau. Rencontre avec une jeune kitesurfeuse ébouriffante.

Par Claire Bonnot

Publié le 23 novembre 2020 à 12h41, mis à jour le 13 janvier 2025 à 17h31

Tu viens de décrocher le titre de championne de France junior U20 en Foil et en Twin Tip Racing à tout juste 16 ans… Ça a débuté comment ton histoire avec le kitesurf ?

Avant de me mettre au kitesurf, j’ai chaussé des patins à glace. J’ai commencé vers l’âge de 8 ans et un an et demi plus tard j’étais championne régionale et championne de ligue. J’ai dû arrêter à 12 ans…ma patinoire fermait. Ça a été un épisode un peu traumatisant pour moi, mais heureusement je me suis jetée à corps perdu dans le kitesurf !

Héloïse Pégourié
©DR

Tu n’as pas eu peur de te » jeter à l’eau », si jeune, avec le kitesurf, un sport plutôt extrême ?

En fait, au début, tu apprends par étapes. D’abord, avec la voile séparée de la planche pour arriver à la tenir en l’air. Ensuite, on met la planche derrière qui nous tire, ça s’appelle du wake. Ça permet d’apprendre à monter sur la planche. Quand on sait faire les deux séparément, on apprend alors à gérer les deux en même temps. J’ai eu très vite des facilités.

Et j’ai eu la chance de faire un stage avec Sébastien Garat (champion du monde, d’Europe et de France de kitesurf, ndlr) qui m’a “détectée”. C’est ainsi que j’ai été invitée à participer aux Championnats du monde de Freestyle junior, en 2018. Je suis arrivée à la sixième place mondiale !

Héloïse Pégourié
©Arlindo Ramos

Glisser sur la vague pour toi, c’est comment ?

Dans le foil, tu es à un mètre au-dessus de l’eau et il ne faut pas tomber. Avec la vitesse – moi, j’atteins les 60 km/h, d’autres vont jusqu’à 75 km/h -, ça peut faire peur, mais c’est justement pour ça qu’il faut y aller pour ne pas perdre l’équilibre ! C’est là où il faut savoir piloter… Le foil est un sport de finesse autant que de bourrin !

Quand tu commences, c’est dur le kitesurf parce que tu dois gérer la voile, puis la planche… Il n’y a jamais un truc qui va… et puis, au bout d’un moment on parvient à monter sur la planche et on glisse sur l’eau ! C’est franchement un moment magique ! Tous ces efforts récompensés… C’est une sensation merveilleuse.

Héloïse Pégourié
©Didier Hillaire

Tu es passée du Freestyle au Foil, pourquoi ce changement de discipline ?

Oui, je faisais du Freestyle – des figures à réaliser dans les airs – sauf que, sur une compétition, je me suis cassé le pied. Je ne pouvais donc plus faire de sport dans lequel il y avait un impact sur le pied et, vu que dans le Free, on saute puis on atterrit de nouveau sur l’eau…

Avec le foil – une régate avec un parcours à effectuer le plus rapidement possible pour gagner – il n’y a aucun impact, tu voles sur l’eau en quelque sorte parce que l’aileron fixé sous ta planche de kite te permet de rider à près d’un mètre au-dessus des vagues.

Ça m’a permis de continuer à exercer ma passion en 2019 et j’ai eu un coup de cœur pour cette discipline. En fait, c’est comme si on revenait au début de l’apprentissage du kite. Il faut apprendre à monter sur le foil, à le faire voler tout en gérant l’aile… Mais comme cette fois-ci, au lieu de glisser sur l’eau, tu glisses dans les airs, la sensation est meilleure, surtout quand tu vas vite ! Et puis, aspect non négligeable, quand tu rentres sur la plage, tu es sec, à l’inverse du freestyle !

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Est-ce un rêve de gosse qui se réalise : voler ? Que t’apportes personnellement ce sport incroyable ?

En freestyle, les compétitions, c’est chacun son tour, alors qu’en foil, on se tire la bourre ensemble, c’est top !

Tu te bats contre les autres, mais aussi contre toi-même, tu repousses tes limites pour aller encore plus vite, pour être la première à la bouée puis pour redescendre et être la première à la ligne d’arrivée…

Ce que j’aime aussi, c’est que cette discipline demande de la tactique, de mettre en place une vraie stratégie. Il faut savoir si tu vas prendre à gauche ou à droite, comment se placer par rapport à ses adversaires et ce sont des décisions difficiles à prendre parce qu’on ne sait pas toujours si c’est la bonne solution.

On s’aide en ça de l’étude des vents, des nuages, des reliefs sur la terre et la mer, de la marée, de la houle, du plan d’eau si c’est dans de l’eau douce ou de l’eau de mer… Notre matériel joue aussi dans la prise de décisions.

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Et tu as rapidement tutoyé les nuages en kitesurf…

En 2018, j’ai intégré le Pôle Espoir de Hyères avec Ariane Imbert pour coach, qui est vice-championne du monde de kitesurf. Je me suis orientée vers le foil en 2019 et au championnat du monde, je me suis classée 25e sur trente-trois filles (4e junior). Je suis entrée alors au Pôle France de La Grande Motte ainsi qu’au CREPS de Montpellier en septembre 2020.

J’ai ensuite été sélectionnée par Antoine Weiss dans l’équipe « Elles de kite » qui permet à un groupe de kite féminin de rattraper le niveau masculin avec l’objectif de se préparer pour les Jeux Olympiques 2024.

Héloïse Pégourié

Quelles compétences physiques te demande ce sport ?

Tout d’abord, de la proprioception parce qu’on est en équilibre sur la planche et qu’en même temps, on doit gérer notre voile donc on n’a pas vraiment le temps de s’occuper de la planche. Le meilleur entraînement pour ça, c’est de faire des squats en milieu instable comme avec une planche posée sur un rouleau.

Ensuite, on fait beaucoup de gainage parce que le lien qui unit notre voile à notre planche, c’est nous ! Il faut vraiment être gainée pour que la transmission entre le foil et le kite soit la plus parfaite possible.

On s’entraîne aussi beaucoup sur les jambes, le niveau inférieur du corps, avec les fessiers, les cuisses et les chevilles parce qu’on pousse sur notre foil pour acquérir de la vitesse. Même travail sur les épaules pour apprendre à tenir voile dans la plus haute plage de vent. Car plus le vent est fort, plus on doit être capable de tenir la voile et de ne pas s’envoler !

On fait aussi beaucoup de cardio parce qu’il faut savoir que les compétitions durent une semaine et de 8h le matin à 18h le soir ! On peut enchaîner d’affilée jusqu’à huit courses dans une journée…

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Et sur le plan du mental, comment gères-tu le fait d’être une sportive de haut-niveau ?

Je suis toute récente dans le sport de haut-niveau donc, très franchement, au début, j’étais dans la gagne à tout prix, je donnais tout pour avancer et aller plus vite… Ça m’a coûté mon premier Championnat du monde…

Ça ne marche pas comme ça parce qu’en voulant aller le plus vite possible, on va se planter, on va tomber et perdre des places, le temps de se relever, de repartir… C’est une grosse perte de temps.

Au kite, il faut oublier les autres, être dans sa bulle, parce qu’on pourra aller aussi vite qu’on veut, plus on prend de risques, plus on a de chances de tomber. Pour enlever ce pourcentage de risques, il faut s’entraîner à prendre de la vitesse tout en gérant la pression quand on a une autre rideuse tout prêt, par exemple.

Forcément, on va tout faire pour aller prendre la meilleure place et on se met une grosse pression. Mais il ne faut pas lâcher, tout se joue au mental ! Il faut rester concentrée sur ses appuis, sentir sa voile, ne pas perdre l’équilibre…

En entrant au Pôle France, le coach mental m’a aidée à trouver cette stabilité mentale et donc physique.

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Comment s’est passée ton intégration dans un milieu sportif encore très masculin ?

C’est vrai que, pour l’instant, dans le foil, il y a plus de garçons que de filles mais, ça y est, elles arrivent et ont de plus en plus le niveau. Et j’en fais partie !

Je suis actuellement la plus jeune Française sur le circuit, la plus novice. Les garçons réclament plus de filles, c’est un milieu où on ride ensemble, où on se mesure aux autres avec le même amour du sport.

Quand j’ai débuté, les compétitions étaient mixtes, on n’était que trois filles à concourir et j’étais la seule junior fille en foil donc je me bagarrais directement avec les garçons de mon âge et de mon niveau. Ça ne m’a pas mis un frein ou tétanisée, au contraire, je me suis dit : « 0k, ils sont plus forts donc on va essayer d’aller les rattraper ». C’était rigolo de jouer à rester tout près d’eux et à ne pas se faire distancer.

Il faut savoir que ce qui permet de progresser en kite, c’est de naviguer avec les autres. Donc même si on n’a pas le même niveau, on apprend toujours des uns et des autres.

Le kite est un sport jeune. Même si les garçons ont, la plupart du temps pour l’instant, un meilleur niveau que les filles qui arrivent tout juste dans la course, ils se feront peut-être distancer par les filles dans dix ans… Nous, les filles, sommes en train de prendre la même courbe de progression que les garçons.

Je pense qu’un garçon restera toujours plus fort qu’une fille – ce sont les aptitudes physiques, ça – mais les filles auront de plus en plus la capacité d’aller taquiner les garçons tout près. À la fin, ce sont, de toute façon, les mêmes efforts et la même récompense !

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Est-ce que tu te souviens d’un moment où tu t’es sentie voler (symboliquement et sur l’eau !) et un moment où tu as cru sombrer mais où tu t’es relevée…

C’était lors d’un entraînement. Je commençais tout juste le foil donc il fallait que j’apprenne à tourner, à passer de tribord à bâbord mais je n’y arrivais pas. J’étais sur le Lac de Serre-Ponçon dans les Alpes de Haute-Provence : l’eau y était tellement douce et lisse, le paysage si magnifique que c’était un moment magique… Là où je navigue d’habitude, les conditions sont moins idylliques : il y a du mistral, du clapot, l’eau est salée, quand on tombe, ça entre directement des les sinus et le nez brûle !

Ici, j’avais vraiment l’impression de glisser sur un toboggan et j’ai donc réussi toutes mes manœuvres. C’est vraiment l’un des plus beaux endroits où j’ai eu la chance de faire du Kite.

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Quant aux coups durs, je me souviens de deux événements plutôt marquants. Le premier, c’était lors de mes premiers Championnats du monde et première compétition en foil au Lac de Garde, en Italie. Je ne passais pas encore mes manœuvres…

Au début, je voyais que je doublais pas mal de gens mais quand il a fallu tourner, je suis tombée à l’eau et je me suis fait distancer. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi dur, que le rythme soit si difficile à suivre : je n’avais que deux mois d’apprentissage de foil dans les jambes et quand ma voile est tombée, je me suis empêtrée dans les nœuds à démêler, les bateaux sont venus me chercher… Je l’ai très mal vécu sur le premier jour de la compétition, j’ai craqué, j’ai pleuré toute la nuit.

Le lendemain, mon partenaire en élite m’a coachée. Il m’a dit «  Tu oublies, tu te concentres, c’est un nouveau jour. Profite de ta glisse, assure tes manches et tes manœuvres ». Et le reste de la compétition s’est très bien passée. Même si ça ne s’était pas passé comme je le souhaitais le premier jour, je me suis rendu compte qu’une fois sur l’eau, j’oubliais tout.

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Le deuxième moment difficile, c’était à mes débuts. Lorsque j’ai commencé le foil en Pôle Espoir, je m’entraînais toute seule, j’étais débutante et personne ne voulait de moi. J’ai dû apprendre seule pendant un an et demi.

J’allais sur l’eau tous les jours, je tombais dans l’eau glacée, je faisais des gammes de manœuvre, mais je ne prenais aucun plaisir, je ne progressais pas. Un jour, j’ai eu le déclic, j’ai réussi à faire mes manœuvres.

Ce qui est rigolo, c’est que lorsque je suis rentrée sur la plage, j’ai montré mes cheveux secs à ma mère en lui disant « Je ne suis pas tombée une seule fois, regarde ! » J’étais fière de moi.

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Qu’est-ce qui te pousse à toujours continuer à glisser ?

Même si j’ai pu être malheureuse suite à un échec, dès que je me mets sur l’eau, je me déconnecte du monde, je suis dans ma bulle ! Ça c’est génial !

Tu recherches actuellement des sponsors pour te soutenir dans ton ascension sportive prometteuse ?

Oui, le kite et son matos, ça coûte très cher… Une voile, c’est de l’ordre de 2000/3000 euros, mon foil coûte 3000/4000 euros, ma planche 1000 euros… Il faut aussi compter les combinaisons d’hiver, du printemps et de l’été, le harnais, le gilet et le casque, sans compter les déplacements et les logements pour les compétitions sachant qu’un billet d’entrée est à 200/400 euros. Je ne peux donc pas participer à toutes les compétitions…

Au kite, on n’est pas encore rémunéré comme des sportifs professionnels. Le seul moyen d’en vivre est soit d’être professeur de kite, mais ce pas mon objectif car je veux vraiment avoir une carrière de sportive, soit d’avoir des sponsors.

Actuellement, je suis encore au lycée, en première, et je souhaite être ingénieure dans le génie maritime. Le problème, c’est que je n’ai aucun horaires aménagés avec le lycée, je dois donc clairement sécher les cours pour m’entraîner, certains profs comprennent, d’autres beaucoup moins…

Ce sont les années les plus dures à passer pour de jeunes kitesurfeuses comme moi. En études supérieures, tout est organisé pour les sportifs de haut-niveau !

Héloïse Pégourié
©Héloïse Pégourié/DR

Quel est ton plus grand rêve sportif ?

Je suis actuellement dans le TOP 15 des meilleures rideuses de foil depuis les Championnats d’Europe. Pour intégrer l’Équipe de France, je dois être dans le Top 6 aux Championnats du monde.

Et mon rêve, c’est d’aller aux JO 2024 de Paris ! J’ai toujours voulu faire les JO avant même que le kite y soit représenté ! (ce sera le cas à partir de 2024, ndlr).

Je suis vraiment motivée pour y arriver, je m’entraîne sans cesse et j’ai le mental pour gagner !

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