À 16 ans, on se trouve trop grosse. À 18 ans, ce sont les seins qui ne sont pas assez galbés. À 22 ans, on aimerait être plus souple. À 35 ans, on scrute ces nouvelles lignes apparues au coin des yeux. À 38 ans, c’est une histoire de fermeté. À 45 ans, de cellulite. À 54 ans, de graisse abdominale.
À 68 ans, ce sont les bras qui semblent trop mous. À 77 ans, c’est la hanche. À 85 ans, c’est le pancréas. Notre corps ! Trop mou, trop musclé, trop raide, trop souple… Allons-nous un jour nous entendre ?
Tantôt détesté, abîmé, contrarié, fragilisé, maltraité, abandonné, purifié, abusé, ignoré, etc. Notre corps est le réceptacle de tous nos chaos, de toutes nos peurs et de tout ce que porte notre lignée.
Combien d’injonctions lui infligeons-nous chaque jour ?
Si l’aliénation de la femme passe par le corps, affirmait l’anthropologue Françoise Héritier, alors la libération doit aussi passer par là. Oui, mais comment faire ? Que faire de cette rage lorsque notre corps ne répond pas à nos fantasmes de minceur, de force, de fermeté ? Que faire quand il ne cesse d’être commenté par la société, en témoigne l’interview fascinante de Tjiki sur ÀBLOCK! ?
L’anthropologue Françoise Héritier nous alerte avec ces mots : « Ce qui est inculqué à l’enfant, dès sa petite enfance, sur la représentation qu’il a de son corps va le poursuivre toute sa vie. Changer ces représentations est une œuvre collective qui ne peut passer que par l’action. La seule manière d’y arriver c’est de faire prendre conscience ».
Prendre conscience ! C’est autre chose que de donner l’illusion d’une forme de tolérance. C’est transformer nos paroles et nos regards, ceux que nous nous adressons, ceux que nous adressons aux autres, et plus encore ceux que nous adressons aux enfants. C’est être capable de prendre la mesure de cette chair qui nous porte, de ce prodigieux amas de cellules et de sang qui nous permet de vivre. C’est l’écouter suffisamment pour enfin répondre à ses besoins et non aux représentations digitales. C’est l’honorer avec le respect et la déférence qu’il mérite. Comme une cathédrale qui pourrait elle aussi s’effondrer.
Les sportives de haut-niveau jouent à ce titre un rôle fondamental, à savoir nous offrir image de la puissance féminine. Leur musculature participe à notre changement de mentalité. L’enjeu est immense.
Françoise Héritier ajoute : « Depuis la préhistoire, les hommes se sont réservé les protéines, la viande, les graisses, tout ce qui était nécessaire pour fabriquer les os. Alors que les femmes recevaient les féculents et les bouillies qui donnaient les rondeurs. C’est cette discordance dans l’alimentation – encore observée dans la plus grande partie de l’humanité – qui a abouti, au fil des millénaires, à une diminution de la taille des femmes tandis que celle des hommes augmentait. Encore une différence qui passe pour naturelle alors qu’elle est culturellement acquise ».
Déconstruire notre regard, c’est permettre aux jeunes filles de demain d’écouter leur corps à la hauteur du miracle qu’il représente. Merci aux sportives de nous apprendre à aimer le plus précieux des édifices.