Florence Griffith-Joyner alias « Flo-Jo »La sprinteuse venue d’une autre planète
Elle a marqué sa discipline comme personne avant elle. Vingt-trois ans après sa disparition prématurée, Florence Griffith-Joyner continue de régner sans partage sur le sprint mondial. Une longévité exceptionnelle pour l’Américaine controversée après des soupçons de dopage, mais dont les records du monde sur 100m et 200m tiennent désormais depuis plus de trente ans.
Par Sophie Danger
Publié le 06 septembre 2021 à 11h20, mis à jour le 13 septembre 2021 à 12h50
Il lui a fallu un peu de temps pour se décider. Et tout recommencer.
Nous sommes en 1987, trois ans ont passé depuis sa médaille d’argent sur 200 mètres aux Jeux Olympiques de Los Angeles de 1984 et Florence Griffith-Joyner a plus ou moins tiré un trait sur sa carrière d’athlète de haut niveau.
La Californienne, qui travaille désormais dans une banque, n’enfile plus ses pointes qu’en de – très – rares occasions. Au total, trois sorties estivales en deux saisons, autant dire…rien. La compétition ne semble plus, pour elle, qu’un lointain souvenir et ses incursions sur piste n’ont d’autre but que de garder la ligne, c’est tout.
Il va falloir tout le talent de persuasion de Bob Kersee, son entraîneur et mentor, pour qu’elle accepte de reprendre du service.
Il faut dire que Florence Griffith-Joyner alias « Flo-Jo » et Bob, c’est une vieille histoire. Tous les deux se connaissent depuis plus de six ans déjà. Ils se sont rencontrés en 1978 à la California State University.
Lui officiait comme coach de l’équipe d’athlétisme, elle était une élève assidue et une sportive prometteuse. Lorsqu’elle avait été contrainte, l’année suivante, de mettre un terme à ses études pour venir en aide financièrement à sa famille, il ne l’avait pas lâchée. Mieux encore, convaincu par son talent, il avait bataillé pour lui trouver une bourse.
Quelques mois plus tard, le duo se reformait à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), plus soudé que jamais.
Repartir en campagne à ses côtés est tentant. D’autant plus tentant, d’ailleurs, que les Jeux de Séoul se profilent à l’horizon. Alors, au printemps 1987, Florence Griffith-Joyner replonge.
Après quelques semaines de remise en forme, elle s’aligne sur le 200 mètres de Walnut, en Californie, et s’invite dans le trio de tête avec un chrono de 22’’82. Flo-Jo est de nouveau dans la place et gagne, dans la foulée, son ticket pour les Championnats du monde de Rome programmés en septembre.
Engagée sur demi-tour de piste dans la capitale italienne, elle y surclasse ses compatriotes Pam Marshall et Gwen Torrence en s’adjugeant la deuxième place en 21’’96, deuxième meilleure performance mondiale de la saison.
Un retour gagnant pour l’Américaine qui peine néanmoins à s’en satisfaire. Elle qui ne rêve que de victoires et de gloire est lassée des places d’honneur. Déterminée à jouer les premiers rôles, Florence Griffith-Joyner repense sa préparation.
Les mois qui suivent sont intenses. Elle augmente sa charge de travail et enchaîne les entraînements – jusqu’à trois par jours – sous l’œil attentif de Bob Kersee et de son champion olympique de mari, Al Joyner, spécialiste du triple saut.
En juillet 1988, lorsqu’elle se présente aux sélections olympiques américaines d’Indianapolis, Florence Griffith-Joyner est métamorphosée.
« La panthère », habituée à faire parler d’elle pour ses tenues extravagantes et ses ongles interminables, marque cette fois les esprits moins pour ses excentricités que pour son impressionnante prise de masse musculaire.
Son entrée en lice sur 100 mètres est prévue pour le 16 juillet. Victorieuse de sa série en 10’’60, elle va pulvériser la concurrence au tour suivant. 10’’49 sur ligne droite en quarts de finale !
Elle qui n’avait jamais fait mieux qu’un 10’’96 gagne presque une demi-seconde sur la distance et améliore de 27 centièmes le record du monde détenu jusqu’alors par l’Américaine Evelyn Ashford.
La performance est gigantesque et malgré des doutes concernant un dysfonctionnement possible de l’anémomètre – le vent aurait été trop favorable mais mesuré nul – rien n’y fait : Flo-Jo règne désormais en solitaire sur le sprint mondial.
Juillet 1988, Florence Griffith-Joyner lors des sélections olympiques américaines d’Indianapolis
Reste à confirmer son nouveau statut. Une formalité. Le 25 septembre, à Séoul, après avoir survolé séries, quarts et demies, elle éclipse ses rivales et s’offre l’or olympique en 10’’54, reléguant Ashford à 29 centièmes et l’Est-Allemande Heike Drechsler à 31 centièmes.
Une véritable démonstration qu’elle va porter à son paroxysme, quatre jours plus tard, sur 200 mètres. Intouchable lors des deux premiers tours, Florence Griffith-Joyner s’offre le record du monde en demie (21’’56) avant d’atomiser littéralement ses poursuivantes, moins de deux heures plus tard, en finale. 21’’34, un chrono stratosphérique !
Plus de 60 centièmes de gagnés en une saison, 38 centièmes de mieux que la Jamaïcaine Grace Jackson, sa dauphine, et 61 centièmes plus vite que Drechsler, jusqu’alors femme la plus rapide sur demi-tour de piste !
Jeux Olympiques, 1988, Séoul. Florence Griffith-Joyner remporte les deux médailles d’or pour le 100m et le 200m, mais également l’or avec l’équipe américaine dans le 4 x 100m
La progression est fulgurante, les performances extraterrestres et la polémique enfle avant même que Florence Griffith-Joyner n’ait eu le temps de grimper sur le podium : l’Américaine serait dopée aux hormones de croissance.
L’annonce de l’arrêt, définitif, de sa carrière à la fin de l’été n’arrange rien. Les déclarations de Darrell Robinson non plus. Interrogé par la presse allemande, le spécialiste US du 400 mètres avoue avoir vendu à « Flo-Jo » pour 2000 dollars de substances prohibées.
Sauf que, sans preuves, il n’est pas d’accusation qui tienne. Souvent contrôlée, la reine des distances courtes n’a, qui plus est, jamais été prise en défaut.
Les soupçons vont pourtant repartir de plus belle en 1996. La championne olympique est victime d’une attaque cardiaque et certains n’hésitent pas à (re)mettre en cause les anabolisants. Il en sera de même deux ans plus tard lorsqu’elle décède prématurément d’une crise d’épilepsie dans sa maison californienne de Mission Viejo.
À 38 ans, Flo-Jo n’est plus, mais le doute demeure. Ses records, eux, restent.
Intouchables depuis plus de trente ans, ils ont longtemps été considérés comme imbattables. Jusqu’à ce que la tornade Elaine Thompson-Herah n’entre en piste cet été.
Créditée d’un 10’’54 sur 100 mètres à Eugene, aux États-Unis, et d’un 21’’53 sur 200 mètres aux JO de Tokyo 2021, au Japon, la Jamaïcaine, désormais deuxième meilleure performeuse mondiale de tous les temps, pourrait bien, sous peu, s’adjuger les couronnes les plus convoitées de l’athlétisme.
En venant bousculer, pulvériser, les records de la grande Florence Griffith-Joyner.
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