Annabelle Caprais : « Un des risques inhérents aux quotas est qu’une fois atteints, les organisations se lavent de toute responsabilité… »

Annabelle Caprais : « Un des risques inhérents aux quotas est qu’une fois atteints, les organisations se lavent de toute responsabilité... »
Les chiffres relatifs aux dernières élections dans les fédérations sportives tombent petit à petit. Les premiers bilans laissent à penser que les quotas, imposés en 2014 par la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, sont de plus en plus respectés. Mais...

Par Annabelle Caprais, joueuse de basket, docteure en sociologie du sport*

Publié le 08 mars 2021 à 7h23, mis à jour le 18 septembre 2024 à 18h16

« Le nombre de femmes élues progresse, permettant à certains comités et bureaux directeurs d’atteindre la parité. Le chemin a néanmoins été long pour en arriver jusque-là. Il n’y a pas si longtemps, en 2013, pour l’énoncer de façon précise, les femmes ne représentaient que 26,5 % des instances de direction fédérales[1]. Force est de constater que l’application des nouveaux quotas précités, coïncide avec cette augmentation et que ces derniers restent, selon l’expression consacrée, un « mal nécessaire[2] ».

En effet, s’ils font aujourd’hui leurs preuves sur le plan quantitatif, les quotas ont eu du mal à s’imposer dans l’espace sportif et de nombreuses résistances subsistent encore.

Malgré la nette amélioration de la représentation des femmes, nombreux sont les dirigeants encore convaincus que le vivier de femmes n’existe pas, ou que la compétence et le mérite payent le tribut de cette nouvelle règlementation.

Un regard attentif aux candidatures et aux processus de recrutement des élus politiques dans les fédérations vient pourtant contredire l’idée que les dirigeants sont des « self-made men ».

Atteindre les plus hautes sphères de décisions, dans les fédérations, comme dans de nombreuses organisations reste un jeu collectif.

Bien souvent, cela nécessite de nouer des alliances, d’être invité à se constituer candidat puis de recevoir des conseils pour le faire. Rares sont les dirigeants qui n’ont pas bénéficié dans leur « carrière » associative d’un accompagnement, d’un mentorat informel, d’encouragements, de consignes de votes – de façon consciente ou inconsciente – pour les aider évoluer hiérarchiquement.

A cet égard, les fédérations sportives nationales qui ne parviennent pas à atteindre le quota faute de candidatures féminines, doivent reconsidérer leur fonctionnement. Si elles ne parviennent pas à « trouver » la dizaine de dirigeantes nécessaire parmi leurs milliers de licenciées, le problème est plutôt à chercher dans les rouages de l’organisation[3] plutôt que dans l’autolimitation des femmes.

Enfin, si les indicateurs quantitatifs sont au vert et que la féminisation des postes à responsabilités devient belle et bien visible, il semble un peu trop tôt pour conclure l’affaire comme étant réglée.

D’une part, si les présidentes sont de plus en plus nombreuses, elles restent très minoritaires. A l’heure actuelle seules deux femmes, Isabelle Jouin et Nathalie Péchalat président aux destinées d’une fédération olympique[4]. D’autre part, un bilan qui ne tient qu’aux chiffres affichés par les fédérations ne saurait être totalement complet et surtout fidèle à la situation observée sur le terrain.

Un des risques inhérents aux quotas est qu’une fois atteints les organisations se lavent de toute responsabilité. Or, mettre en œuvre le partage des responsabilités dans la vie tous les jours est une entreprise bien plus complexe que le respect d’une proportion de femmes à élire, et malheureusement beaucoup moins fréquente.

Partager le pouvoir, s’il fallait encore le rappeler, convient, de façon concrète, à partager les mandats et donc limiter les cumuls de fonctions (dans le temps et à l’instant T), à répartir la parole de façon équilibrée lors des réunions et les assemblées générales, à ne pas concentrer à une poignée d’individus les avantages symboliques et financiers (défraiements, salaires, médailles honorifiques etc.) qui sont liées à l’exercice des responsabilités.

Voilà nombre de challenges pour les mandats et les années à venir ! »

*Annabelle Caprais est docteure en sociologie du sport, elle a réalisé sa thèse intitulée « La place et le rôle des femmes dans la gouvernance des fédérations sportives françaises » à l’Université de Bordeaux sous la direction de Fabien Sabatier et Stéphanie Rubi.

[1] Chiffres du Ministère en charge des sports.

[2] Voir l’article « Un « mal nécessaire » ? Les hauts fonctionnaires et les quotas » de Laure Bereni et Anne Revillard (2015). Disponible à https://www.cairn.info/journal-travail-genre-et-societes-2015-2-page-163.htm

[3] Un regard peut être porté au poids électoral de chaque votant ou de chaque région par exemple.

[4] Néanmoins toutes les élections ne se sont pas encore déroulées.

Ouverture ©FFAviron

D'autres épisodes de "Dans les coulisses du sport au féminin"

Vous aimerez aussi…

5 infos sur...Clarisse Agbegnenou

5 infos sur…Clarisse Agbégnénou

Cumuler les titres de gloire, s’engager en dehors des tatamis, s’illustrer dans le judo comme dans son métier d’adjudant… Qui est Clarisse Agbégnénou, l’une des meilleures judokates mondiales ? Réponse en 5 infos clés.

Lire plus »
Pierra Menta 2022 : le bonheur est dans le trail

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une triathlète pas comme les autres, un trail grandeur nature (Pierra Menta sur notre photo), une pionnière qui chérit le ballon rond, un retour sur une finale de tennis interminable et sur des JO en noir et blanc et une portière déterminée… C’est le meilleur d’ÀBLOCK! pour bien commencer les vacances !

Lire plus »
« Savoir que l’on va laisser une empreinte dans le hand, c’est magnifique. »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une rencontre avec une (déjà) légende du handball actuellement en plein Mondial en Espagne (Allison Pineau sur notre photo), un podcast avec une nageuse qui s’est jouée des requins, cinq infos sur une championne de la peuf, la petite histoire du handball féminin et une chorégraphie engagée, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! Bonne lecture !

Lire plus »
Sarah Hauser

Sarah Hauser : « Le windsurf, c’est un mélange de peur, de chaos mais aussi de beauté. »

Ce petit bout de femme n’a pas froid aux yeux, même au creux de la vague. La windsurfeuse Sarah Hauser vient de faire une entrée fracassante dans le Guinness Book des Records après avoir dompté une vague de presque 11 mètres, la plus grosse jamais prise par une femme. Une étape plus qu’un aboutissement dans le parcours singulier de cette Néo-Calédonienne dont l’ambition est d’inspirer les filles qui n’osent pas se mouiller.

Lire plus »
Le Money Time, Cékoiça ?

Le Money Time ? Cékoiça ?

Les fans de basket comprendront ce terme, d’autres amateurs de sports collectifs aussi, mais les autres… Car même avec une traduction assez simple à obtenir, ce terme n’est pas clair. C’est quoi, à votre avis ? Les sportifs et sportives, les coachs, ont leur langage, selon les disciplines qui, elles aussi, sont régies par des codes. Place à notre petit lexique pratique, le dico « Coach Vocab ».

Lire plus »
Élodie Clouvel, une championne au destin olympique

Élodie Clouvel, une championne au destin olympique

Les Jeux arrivent à leur terme… Mais la fête n’est pas encore finie ! Élodie Clouvel, pentathlète de légende et vice-championne olympique en 2016, fait partie des prétendantes à la médaille. Ce ne sera pas simple, loin de là, mais l’expérience de la tricolore pourrait bien faire la différence…

Lire plus »
Mondiaux de para athlétisme 2024, l'heure du récap'

Mondiaux de para athlétisme 2024, l’heure du récap’

C’était l’une des dernières occasions de réviser ses gammes pour les Jeux Paralympiques de Paris 2024. Du 17 au 25 mai dernier, le para-athlétisme a pris possession de Kobe au Japon. Une édition en petit comité pour les Français, beaucoup ayant fait l’impasse sur la compet’ pour mieux préparer les JO. Décryptage.

Lire plus »
Julie Bresset 5 infos pour briller sur deux roues

Julie Bresset : 5 infos pour briller sur deux roues

Ce 16 octobre, elle signe la fin de sa carrière sportive par un jubilé dans son fief des Côtes-d’Armor. Julie Bresset, 32 ans et presque autant sur les pédales, a (presque) tout gagné et tout connu. La vététiste bretonne, championne olympique, maintes fois championne du monde, est l’une des cyclistes les plus appréciées du circuit. Victime d’un burn-out et de blessures à répétition, elle est toujours retombée sur ses roues. Retour sur une championne en 5 braquets.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner