Lunettes d’aviateur sur le front, clope au bec, veston d’homme…
Voilà Violette Morris au volant d’une voiture de course. Short, collants, débardeur, voici Violette Morris soulevant des haltères. Maillot ajusté et bonnet, revoici Violette Morris s’apprêtant à plonger… Ou les douze travaux d’Hercule réalisés par une femme en pleines Années folles !
Cette jeune bourgeoise au physique de colosse fut la « plus intrépide et la plus éclectique des sportives de notre pays » titraient les journaux de l’époque, impressionnés, n’hésitant pas à louer une « carrière sportive, extrêmement chargée et d’une extraordinaire diversité ».
À son palmarès ? Des victoires et des records français et internationaux dans plusieurs disciplines de 1912 à 1935 : football, lancer de poids, lancer de javelot, lancer de disque, haltérophilie, course automobile, natation, cyclisme…
Lors du Bol d’Or automobile, en 1927, elle a battu une vingtaine d’hommes. Tout le monde était sidéré.
Rien ne résiste à cette femme hors du commun. Et surtout pas les hommes qu’elle boxe vigoureusement sur le ring ou qu’elle bat à plates coutures lors du Bol d’Or automobile, en 1927.
« C’était un événement extraordinaire : elle a battu une vingtaine d’hommes. Tout le monde était sidéré. Évidemment, les femmes à cette époque n’étaient pas censées savoir conduire, il y avait tous les stéréotypes sur le sexe féminin, mais finalement il en a résulté une espèce de compagnonnage et une grande admiration de la part des hommes. »
Marie-Jo Bonnet est historienne et auteure d’une biographie publiée en 2011, Violette Morris, Histoire d’une scandaleuse*. Elle résume parfaitement le personnage sportif : « Elle n’a jamais été égalée dans l’histoire du sport féminin. »
Pourtant, cette figure qui a contribué à cet essor en France entre les deux guerres mondiales est encore aujourd’hui largement méconnue… Cette force de la nature avait beau avoir plusieurs cordes à son arc sportif, elle restait un « anti-modèle » pour la femme et la sportive de l’époque.
Cette brunette aux cheveux courts n’a pas la langue dans sa poche et envoie à tout va de sacrées punchlines.
Née en 1893, Violette est la fille d’un baron et passe son enfance au couvent. Brièvement mariée – de 1914 à 1923 -, elle affiche bien vite son penchant pour les femmes et ne tarde pas à porter le costume trois-pièces.
Cette brunette aux cheveux courts n’a pas la langue dans sa poche et envoie à tout va de sacrées punchlines. Elle ira même jusqu’à se faire couper les deux seins, qu’elle avait imposants, pour accroître ses performances sportives dit-on…
Plus vraisemblablement, selon Kris, auteur de la bande-dessinée, « Violette Morris. À abattre par tous moyens » ** – co-signée par Bertrand Galic et Marie-Jo Bonnet -, « La Morris » le fit pour démontrer qu’elle n’était pas socialement déterminée par sa biologie.
« Elle a tout le physique de la transgression », explique Kris. Le personnage fictif qui mène l’enquête dans sa bande-dessinée – Lucie Blumenthal – exprime bien cette particularité :
« Tu en connais beaucoup toi, des femmes de cinquante ans, bâties comme des catcheurs et qui ont volontairement subi une mastectomie intégrale ? »
Si, en un temps, Violette Morris a été un « bon client pour les médias » et a ainsi contribué à la popularisation du sport féminin, elle a vite représenté une atteinte aux bonnes mœurs pour les hommes et… les femmes.
Attitude masculine, « mauvais exemple aux jeunes filles », Violette Morris dérange, notamment pour son homosexualité.
Revirement du monde sportif et féminin envers Violette Morris : en 1927, alors « qu’elle est en pleine ascension et possession de ses moyens, on lui interdit de faire des compétitions. C’est un meurtre symbolique », analyse Marie-Jo Bonnet.
D’autant plus qu’en 1928, les femmes étaient pour la première fois autorisées à participer aux Jeux Olympiques. La Fédération féminine sportive de France lui refuse le renouvellement de sa licence.
La raison ? Son attitude masculine, le port du pantalon et son « mauvais exemple aux jeunes filles ».
Violette Morris dérange, notamment pour son homosexualité.
La parenthèse émancipatrice des Années folles se voit menacée par un retour à l’ordre moral conservateur, autant du côté masculin que féminin : le sport ne serait pas bon pour la féminité et serait antinataliste.
« L’histoire du sport féminin dans l’entre-deux-guerres est un chant du cygne et Violette Morris incarne parfaitement ce mouvement », note Kris.
La sportive magnifique cristallise en effet sur sa personne atypique toutes les tensions de l’époque.
Elle tue un homme au pistolet venu l’agresser sur la péniche qu’elle occupait avec sa compagne. Acquittée pour légitime défense, elle n’en est pas moins considérée comme dangereuse.
Elle sera « le personnage de monstre idéal, irrécupérable » continue notre auteur de BD. Alors qu’elle tue un homme au pistolet venu l’agresser sur la péniche qu’elle occupait avec sa compagne, elle est finalement acquittée pour légitime défense.
Mais elle est désormais considérée comme dangereuse, surtout lorsqu’elle se met à fréquenter le milieu collaborationniste.
Si elle a bel et bien « fricoté avec la frange collabo sans voir qu’elle franchissait la ligne rouge, sa mémoire a été assassinée », nuance Kris.
Dans les deux biographies que lui consacre Raymond Ruffin en 1989 puis 2004***, Violette Morris, qui a été abattue par la Résistance le 26 avril 1944, est en effet présentée sous les traits de « La Hyène de la Gestap ».
Marie-Jo Bonnet a rouvert le dossier en 2011 dans sa biographie, se demandant si cette femme « qui voulait vivre comme un homme » n’avait pas plutôt subi une injustice car elle représentait une certaine « anormalité ».
Lucie, le personnage de l’amie et enquêtrice fictionnelle : « Je voudrais être certaine que Violette Morris n’a pas été tuée pour ce qu’elle était : une femme comme les autres hommes, homosexuelle, d’une liberté absolue et par là même scandaleuse ».
« Elle a été un modèle pour beaucoup de femmes qui voulaient conduire ou faire autant de sports que les hommes mais ce qui est très frappant, c’est qu’elle n’a pas de conscience politique. Ce qu’elle aime, c’est la liberté et le sport. »
Marie-Jo Bonnet ne qualifierait pas Violette Morris de « féministe » tant elle n’en fait qu’à sa tête et ne se soucie absolument pas du regard des autres.
Violette disait ‘Je bats les hommes donc j’ai le droit d’avoir la liberté que les hommes ont’. Elle a montré par sa propre expérience qu’elle méritait cette liberté et ce statut viril
Elle l’est pourtant par ses exploits sur les terrains, terreau de conquête pour ses semblables : « Violette disait ‘Je bats les hommes donc j’ai le droit d’avoir la liberté que les hommes ont’. Elle a montré par sa propre expérience qu’elle méritait cette liberté et ce statut viril en quelque sorte. Voilà ce qu’elle a fait pour les femmes ! »
Et Kris d’ajouter : « Violette Morris est un modèle aujourd’hui dans le fait de s’assumer dans ce qu’on est et ce qu’on aime. Quand la BD est sortie, il y a eu des réactions fascinantes à une capsule vidéo publiée sur France Culture en janvier 2019. Il y a eu un million de vues, des milliers de partages et beaucoup de commentaires de femmes dans ce style : « Je fais moi-même de l’haltérophilie et elle m’aide à m’assumer. Je me rends compte que je ne suis pas la seule et il y a eu des femmes qui ont pratiqué ce sport bien avant moi ».
Ou le sport comme libération ultime !
La légende noire de « hyène de la Gestapo » a poursuivi Violette Morris des années 1940 à aujourd’hui
« Bien que le personnage de Violette Morris ait réellement existé, ce livre est une fiction, enquête imaginaire à la recherche de la vérité de ce personnage ».
Passionnante et très instructive, la BD « Violette Morris. À abattre par tous moyens » est une enquête fictionnelle sur la légende noire de « hyène de la Gestapo » qui a poursuivi Violette Morris des années 1940 à aujourd’hui.
Si des faits de collaboration sont avérés, les auteurs mènent l’enquête sur cette accusation d’agent de la gestapo et s’attachent à poser toutes les questions.
Ils mettent ainsi en avant les extraordinaires capacités sportives de cette femme qui pâtit sûrement de son physique, de son comportement et de sa sexualité dans une époque où les femmes se devaient de sauvegarder l’image de la féminité plutôt que de bénéficier du droit à la liberté.
Édifiant !
*Violette Morris, histoire d’une scandaleuse, Marie-Josèphe Bonnet, 2011, Perrin.
**Violette Morris. À abattre par tous moyens, Tome 1, Bertrand Galic, Kris, Javi Rey, Marie-Jo Bonnet, 2018, Futuropolis. Et Violette Morris. À abattre par tous moyens, Tome 2, Bertrand Galic, Kris, Javi Rey, Marie-Jo Bonnet, 2019, Futuropolis.
Le récit illustré se décline en deux tomes qui seront bientôt suivis d’un troisième et dernier, en 2021.
*** Raymond Ruffin, La Diablesse, éditions Pygmalion, 1989, et La Hyène de la Gestapo, éditions Le Cherche Midi, 2004.