Je griffonne des mots comme des attaques et les averses de mes humeurs humectent mes idées. Je cherche ma trajectoire comme elles sur les routes détrempées. Des volcans d’Auvergne aux monts du Cantal, du gris au blanc et du vert au bleu, le pastel de l’entre Clermont-Ferrand-Mauriac s’est dévoilé aujourd’hui à nos yeux. Nichées dans le sein de la France, les grandes dames de la petite reine cherchent leur salut à l’effort sur l’étape la plus vallonnée de cette édition 2023.
Nous sommes le 24 juillet, c’est la deuxième étape du Tour de France Femmes. À l’avant-garde du peloton, les échappées tentent de se faire une part dans le gâteau des espérances.
Les visages grimacent et les bustes se contorsionnent. Elles savent se mettre à la planche, me dis-je. La machine semble véritablement lancée. Mais est-ce le tour qui a pris la route ou la route qui a pris le tour ? Leurs cœurs chaudement emmaillotés de lycra réchauffent sur leur passage les volcans froids endormis.
Si devant la lutte fait rage, derrière elle résonne en tambours étouffés. Le brouhaha du spectacle conditionne nos oreilles à regarder devant. Pourtant, c’est au loin, dans le murmure des pots d’échappements, celui-là même des voitures des directeurs sportifs, que la fable du lion et du rat s’écrit.
« Patience et longueur de temps, font plus que force ni que rage », écrivait La Fontaine. Špela Kern a payé l’addition des affres de la route au kilomètre 100 de cette étape qui s’annonçait sans répit. Une chute accompagnée de deux autres coureuses, et voilà que les 51,7 kilomètres restant pour rallier l’arrivée se transforment en épopée solitaire.
Arrivée 26 minutes après la première à avoir franchi la ligne, la jeune slovène acquit sur le chemin le concept de la patience et de la longueur du temps. Dans les tréfonds de l’âme naît la lumière et avec elle la force d’avancer. Que nous raconte cette voix intérieure lorsque les aiguilles du temps se dérèglent ?
« Un coup de pédale après l’autre, un coup de pédale après l’autre. Le mur des lamentations s’est construit devant moi à l’horizontal. Je n’ai pas peur, je sais pourquoi je suis là. Je l’ai pensé, désiré, fantasmé alors je prends à deux mains l’échelle de mon courage et je grimpe. Solide, minérale, impressionnante, la douleur qui m’habite paraît intangible et éternelle, pourtant je sais au plus profond de moi que tout est éphémère. Je regarde au loin, et si à l’intérieur l’orage gronde, je sais apercevoir à l’extérieur ce coin de ciel bleu. Car ce que j’entreprends va au-delà de moi. Seule sur mon vélo, je pédale pour toutes. Martina, Morgane, Rachel, Gabrielle, Josie, Clara. Je ne suis plus une mais un tout. La médecin de la voiture médicalisée m’a mis de l’huile dans mes rouages, maintenant seule au guidon de mon destin, je mets mon cœur à l’ouvrage. Car demain est un nouveau jour. »