Tu dis n’avoir jamais été sportive. Tu étais même plutôt du genre allergique au sport durant ta scolarité. Pourtant, tout va changer pour toi lorsque tu découvres le kung-fu. Comment s’est passée la rencontre ?
Au lycée, l’éducation physique est obligatoire et j’avais horreur de ça. Je refusais de mettre des baskets, je portais des Docs. Je n’aimais vraiment pas le sport.
Puis, à la fin des années lycée, est arrivée la fac. Une de mes copines avait envie de faire du sport. Elle m’a proposé d’aller au cours de kung-fu de son petit frère. Elle voulait essayer et c’est comme ça qu’elle m’a entraînée.
J’ai tout de suite beaucoup aimé le cours et le prof était mignon. Il avait une natte, comme dans le manga « Ranma ½ » et je le trouvais stylé, je trouvais qu’il avait du charisme.
Il faut bien une raison pour commencer et c’était ça la mienne : ma copine et la natte du prof !
À quoi tient un parcours sportif ! Une amie et une natte …
Toute mon histoire est le fruit du hasard. Je ne prévois rien et je rencontre des gens qui m’apportent quelque chose ou à qui j’apporte quelque chose.
Je prends des chemins qui m’en montrent d’autres et je les choisis sans faire de plans, au feeling. Je pense que c’est pour ça que j’ai réussi ce que j’ai fait : parce que je l’ai fait pour le plaisir.
Tu vas donc emprunter la voie du kung-fu. Tu vas pratiquer pendant quatre ans avant de t’orienter vers le MMA (Mixed Martial Arts). Comment en es-tu arrivée là ?
Le kung-fu a été un tremplin. Je pense que je n’aurais jamais fait du MMA si je n’avais pas commencé par ça. Mais mon club était dans le 77, le département où j’habitais, et j’ai déménagé sur Paris.
J’avais du mal à faire des allers-retours banlieue-Paris, il fallait que je me trouve un autre club. Mon petit copain de l’époque – qui est aujourd’hui mon mari – faisait du pancrace, à l’époque le MMA s’appelait comme ça.
Son club avait également une section de kung-fu. Je me suis inscrite et à force d’aller le chercher après ses entraînements, ça a piqué ma curiosité.
Tu t’y es mise tout de suite ?
Je n’ai pas voulu essayer tout de suite car je pensais que je n’étais pas encore prête. Et puis, un jour, mon copain m’a emmenée dans un cours de boxe française. J’ai testé et j’ai fait un sparring avec une fille du club qui m’a complétement dominée.
Je suis sortie de là, j’étais choquée, j’ai pleuré, je me disais que j’étais nulle. Je faisais du kung-fu, j’avais de bons résultats et j’avais le sentiment d’être prête au combat mais, en fait, pas du tout.
À ce moment-là, je me suis demandée quoi faire : continuer là où j’avais l’impression d’être forte où aller là ou je ne l’étais pas. Je me suis dit qu’il fallait que je me teste et je me suis mise au pancrace.
À l’époque, le MMA n’est pas légal en France, du moins la compétition. La discipline traîne une réputation sulfureuse. Comment tu vis tes débuts ?
J’ai vécu ça normalement. Je faisais juste un sport qui me parlait. J’ai un caractère assez libre, j’ai du mal avec les règles qui me semblent injustifiées et le MMA me permettait vraiment de m’exprimer.
Moi, je ne peux pas m’exprimer par l’écriture, le dessin, la musique… en revanche, par le corps j’arrive à sortir des choses.
Quand j’ai commencé, je venais de prendre mon indépendance. J’avais une vingtaine d’années, je découvrais la vie d’adulte, je devais me débrouiller seule. Le MMA correspondait à ce que je vivais.
Dans ce sport, tu es confrontée à toi-même. Même si tu as des entraîneurs, des compagnons de sport, tu es seule avec tes poings sur le ring et tu dois t’en sortir. C’est ça qui me motivait au début.
Le fait de savoir que tu ne pourras pas combattre n’était pas frustrant ?
C’était très frustrant, mais on fait avec ce qu’on a. En France, le MMA n’était pas légalisé, c’était confidentiel, c’était une discipline perçue comme un sport de têtes brûlées, même au sein du club.
C’était compliqué, mais je ne me suis pas dit que j’allais arrêter parce qu’il n’y avait pas de compétition. Je ne faisais pas de MMA pour ça, plutôt pour savoir jusqu’où je pouvais aller.
La grosse problématique pour toi est de trouver des partenaires à ta hauteur, au sens propre. Tu es un petit gabarit, il y a peu voire pas de filles qui pratiquent et tu n’arrives pas à te jauger…
Au tout début de mon parcours, être la seule fille me posait un problème à cause de ça, oui, du gabarit et de rien d’autre.
J’ai beaucoup évolué, maintenant je milite pour la féminisation du sport mais, à l’époque, je ne me voyais pas comme une femme dans un monde d’hommes, seulement comme… moi en train de m’entraîner.
Il reste qu’il était très pénible de tourner avec des hommes. Musculairement, ils étaient beaucoup plus forts et lourds que moi.
Moi, j’étais dans une quête de vérité, je voulais savoir ce que je valais et, quand tu t’entraînes avec des mecs, tu ne le sais pas parce que le rapport est toujours faussé.
En 2004, tu décides de t’exiler au Japon pour vivre l’expérience MMA à fond et enfin combattre. C’est aussi ça qui a motivé ta décision ?
Si je voulais me confronter, je n’avais pas le choix. Mon premier combat de pancrace en France, c’était à la campagne, dans une grange, face à une fille beaucoup plus lourde.
J’avais déjà pas mal d’années de pratique et je me suis dit que si je restais ici, je n’allais faire qu’attendre et ce n’est pas mon truc.
J’aimais beaucoup le Japon- je faisais des études de langue japonaise – j’aimais voyager, rencontrer des gens… la décision de partir là-bas n’a pas été difficile à prendre.
J’étais curieuse de savoir si je pouvais me débrouiller seule dans un pays où je ne connaissais personne, ça me faisait un challenge en plus.
Vingt ans plus tard, je me rends compte que c’était osé mais, sur le coup, je n’avais pas l’impression d’être téméraire.
Tu étais certaine de trouver un club sur place où tu es allée là-bas sans rien ?
On m’avait orientée vers un forum d’arts martiaux, et principalement de MMA. L’un des modérateurs vivait au Japon.
On m’avait dit de lui écrire pour savoir s’il connaissait des clubs, je l’ai fait et il m’en a conseillé un. C’est le premier dans lequel je suis allée et j’y suis restée.
C’est à ce moment-là que j’ai découvert la pratique du MMA avec les filles et je me suis rendue compte que ça changeait tout.
Révélation, je ne sais pas, mais j’ai vu la pratique du sport autrement. En France, j’étais la seule fille. Dans les vestiaires, tu es seule ; en déplacement, tu es seule, alors tu dois t’adapter. J’étais bien acceptée dans mon club, il n’y avait aucun souci, mais j’étais un peu l’OVNI de la section.
Quand je suis arrivée au Japon, on était toutes dans les vestiaires, sur les tatamis, il y a un échange plus complice. On se serrait les coudes, on rigolait, il y avait ce côté sororité, d’entraide, que j’essaie d’apporter avec mes cours féminins aujourd’hui.
Il y avait aussi un côté un peu plus doux, même si c’est assez cliché, quelque chose de plus simple.
Tu te souviens de ton premier combat ?
Mon départ pour le Japon s’est fait en deux temps. La première fois, je suis partie trois mois, la durée d’un visa touriste, pour voir si c’était possible d’y construire quelque chose.
Comme ça l’était et que je m’y plaisais bien, je suis rentrée en France travailler afin de pouvoir subvenir à mes besoins là-bas pendant un an. J’ai bosssé dans la restauration, quinze heures par jour, je faisais les deux services, et j’ai fini par amasser assez d’économies pour payer mon billet d’avion et mon logement. Ainsi, j’avais la base.
Mon professeur au Japon m’avait assurée que si je revenais, il me trouverait des combats. Et, effectivement, deux-trois mois après mon arrivée, j’ai combattu.
Terminé, la grange, cette fois !
Terminé, la grange ! Ce premier combat, j’étais dans les combats préliminaires, pas les combats phares. Normalement, quand une étrangère passe, c’est de la chair à canon. On ne la prend pas pour la faire monter et la faire gagner, on lui met tout de suite quelqu’un de fort.
Moi, j’ai affronté une adversaire qui, comme moi, débutait. C’était la volonté de mon prof qui me considérait, je pense, comme un membre de son équipe et j’ai eu beaucoup de chance.
Le combat avait lieu au Korakuen Hall, une salle mythique à Tokyo. Quand on m’a annoncé que je combattais là-bas, toute la pression s’est évacuée. J’étais venue combattre au Japon et j’allais le faire, qui plus est dans cette salle.
Je commençais par ce que je pensais être la fin de mon voyage. J’étais hyper heureuse, que je gagne ou pas.
J’ai gagné ! Le deuxième combat en revanche, ils ont été beaucoup moins sympas. La Ligue de Shooto avait envie de faire un premier événement féminin, le Girls Shooto, et les organisateurs m’ont choisi en main event.
Aujourd’hui, je me dis que c’était un honneur mais, sur le coup, non. Pour moi, je n’avais pas encore assez d’expérience, je ne me sentais pas prête.
J’ai expliqué ça à mon entraîneur qui a compris et l’a expliqué à son tour aux responsables qui ont dit que, si je ne combattais pas, je ne combattrai jamais chez eux, donc j’ai pris.
J’ai gagné. Mon adversaire était une fille hyper expérimentée, la combattante montante du moment. Elle faisait partir du Top 5 au Japon. Je l’ai soumise au deuxième round et c’est ce qui m’a fait connaître au Japon.
Cette victoire m’a permis d’être, à chaque fois, non plus le challenger, mais la favorite des combats auxquels je participais.
Tu deviens alors la première combattante de MMA française. C’était frustrant d’être pro, mais de ne pas être reconnue dans son pays d’origine ?
La situation est étrange mais elle n’est pas frustrante parce qu’on s’y attend. La France est un pays très conservateur. Les nouveautés ne sont pas absorbées tout de suite.
On a mis plus de vingt-cinq ans à légaliser le MMA, c’est fou ! Je n’étais pas frustrée, mais un peu désabusée dans le sens où il faut s’exiler pour vivre quelque chose et c’est dommage.
Ton dernier combat, tu le qualifies de catastrophique. Tu dis qu’à ce moment-là, tu n’as qu’une envie : partir et rentrer en France. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Quand j‘ai quitté la France, je ne me suis pas dit que j’allais m’installer au Japon, mais m’y installer un an. Je voulais combattre, voir ce que je valais, me prouver que mes entraînements n’étaient pas vains, c’était personnel.
Vivre dans ce pays a été une belle expérience mais, le Japon, c’est loin. Je ne pouvais pas revenir souvent, tous mes amis étaient en France et quand on s’entraîne très dur, il en ressort toujours plein d’émotions. J’étais fatiguée d’être seule, d’être loin.
Les entraînements demandaient beaucoup physiquement et mentalement. Quand j’ai fait ce combat, je n’avais qu’une envie, que ça s’arrête et revenir en France. Tout ce que j’avais cherché, je l’avais eu, il était temps que je rentre.
À ton retour, tu vas commencer à entraîner. Cette idée t’avait déjà effleurée ?
Quand j’étais compétitrice, la compétition, la pédagogie, ne m’intéressaient absolument pas et jamais je n’avais pensé devenir prof de MMA.
En rentrant du Japon, un club m’a proposée de donner des cours. J’ai accepté parce que ça me permettait d’avoir des revenus et de continuer à m’entraîner à côté. C’était pratique.
Puis, je me suis rendu compte que, quand tu enseignais une technique, tu la comprenais mieux que quand tu es passive et ça m’a permis de beaucoup progresser.
C’était la fin de ton parcours de combattante ou tu as continué la compétition ?
Je suis revenue et j’ai fait un enfant. Je me suis arrêtée le temps de la grossesse. J’ai de nouveau combattu, c’était deux ans après mon retour.
Mon adversaire était une Irlandaise qui, par la suite, est passée à l’UFC. J’ai perdu, mais c’était une belle expérience : c’était mon premier combat en cage car, au Japon, on combattait dans un ring.
Dans ma tête, je savais que c’était le dernier combat. Je n’étais déjà plus compétitrice. Quand tu reviens d’un pays où tout est pro, où tu es considérée, où l’entraînement est carré, c’est difficile. Combattre ne me bottait plus.
Tu enseignes d’abord dans des cours mixtes puis tu vas monter une section exclusivement féminine à Paris. Pourquoi ce choix de n’entraîner que des filles ?
À mon retour, je trouvais ça dingue qu’il n’y ait pas plus de filles qu’avant qui fassent du MMA ! Je trouvais ça fou que ça ne prenne pas. J’ai passé mes diplômes pour entraîner, j’ai cherché du boulot et j’ai demandé dans la salle où je m’entraînais si je pouvais faire une section de filles.
Au début, ce n’était que de la boxe, pas de MMA parce que je savais que ça ne prendrait pas immédiatement. Il fallait que j’aie une base de filles motivées et que je puisse, tout doucement, les orienter vers le MMA.
Quand j’ai senti le moment venu, on m’a dit qu’on ne voyait pas l’intérêt de cours de MMA 100 % féminins.
À ce moment-là, Loïc Pora, mon prof de pancrace, venait d’ouvrir sa propre salle et m’a donné carte blanche. C’est là que j’ai ouvert la section de MMA Girls.
La première année, tu as dix élèves. Tu t’attendais à ce succès ?
On ne se rend pas compte aujourd’hui parce qu’il y a plein de filles qui font du MMA, qui sont compétitrices et qui sont des rôle modèles.
Mais, il y a dix ans de cela, quand j’ai monté ma section, dix filles, c’était beaucoup plus que ce que j’aurais pu imaginer.
Ces dix filles ont créé la base de l’équipe. Il y a eu tout de suite une grosse cohésion, on était une équipe, on avait des objectifs, des choses à montrer. La deuxième année, elles étaient cinquante.
Après Paris, tu vas partir à Nantes pour faire la même chose…
Je suis partie à Nantes en plein essor de ma section, au moment où il ne faut pas partir ! L’année de mon départ, une de mes élèves est devenue championne du monde amateur. Ce jour-là, on était quatre ou cinq à l’accompagner en Angleterre dont la combattante Marie Loiseau.
Je me souviens lui avoir dit : “Il n’y a que des mecs autour de nous, nous, on est que des filles et on se suffit à nous-mêmes ! Je n’ai pas en tête un autre club qui présente une compétitrice pour un titre mondial avec un club entièrement féminin…“
J’ai dit à Marie que l’on vivait un moment historique, mais qu’on ne le saurait que plus tard.
L’histoire est en marche parce que le succès est, une fois encore, au rendez-vous…
Je vis sans pression et ça marche assez bien. Je ne me suis pas dit : “Je vais monter la première équipe féminine de Nantes, comme à Paris. “ Simplement, je connaissais une personne qui avait une salle de MMA, il m’a permis d’ouvrir ma section, mais je n’avais pas de réseau.
Finalement, ça s’est fait naturellement : il y a eu une dizaine de filles la première année. Aujourd’hui, c’est la deuxième année et on est une quarantaine avec, pour objectif, d’être ensemble, de progresser. Il y a une émulation entre nous.
Les Parisiennes viennent nous voir. Tous les deux-trois mois, certaines viennent s’entraîner avec nous, elles donnent aussi des cours, ce qui permet d’échanger, de transmettre. On n’est pas un club, on est une équipe : les MMA Girls !
Quand tu regardes ton parcours, tu te dis quoi ? Que tu as contribué à faire avancer le MMA féminin, notamment en France ?
La féminisation dans les sports de combat et dans le sport tout court, ça y est, c’est émergeant, c’est en route. On ne va pas s’arrêter là et on fait partie des filles qui permettent ça. On transmet des techniques mais l’intérêt, c’est surtout de communiquer autre chose, de révéler des talents, de montrer que les filles ont quelque chose d’exceptionnel.
Les filles ont tendance à minimiser leur talent, à ne pas gonfler le torse et moi j’ai envie que les gens se rendent compte de leur force, qu’elles soient fières de ça.
Pour ma part, j’en suis fière, fière d’être intervenue dans la vie de filles qui ont osé modifier leur parcours, je suis très heureuse de servir à quelque chose.
Tu as renoué avec tes Docs ?
Non, ça me fait mal aux pieds. Je ne mets plus que des baskets, tu vois comment c’est, la vie !
Ouverture ©Stef Pham
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