« Moi, j’aurais voulu être danseuse comme dans le film Fame, mais je me suis mise à l’athlétisme par mimétisme, comme ma sœur (Maryse Ewanjé-Epée, record de France du saut en hauteur de 1983 à 2007, Ndlr). J’ai fait les deux sports en parallèle à partir de mes 11-12 ans jusqu’à mes 21 ans. À un moment donné, il a fallu que je fasse un choix. Comme l’athlé me forgeait un certain corps et qu’en plus, j’étais très grande, je mesure 1,76m, j’ai vite vu mes limites en danse. L’athlétisme, je démarre donc au même âge que la danse, en club. Et… ça marche. Tout de suite. Il faut dire que je cavalais hyper bien. Je suis rentrée dans le club de Montpellier Université Club où était ma sœur Maryse, avec son entraîneur Dominique Biau. Je faisais de l’heptathlon et du saut en hauteur.
Quand j’ai démarré sur la piste, je ne me suis pas dit que je serai championne du monde ou quoi. Jamais. Les choses se sont faites comme ça. Et même, à l’inverse, je n’y croyais pas : je me souviens avoir pleuré après avoir assisté à mon premier meeting d’athlétisme où Maryse sautait. J’avais eu cette sensation que, moi, je ne serai jamais dans l’arène. Ce n’était pas que je me sentais nulle. C’est que je trouvais ça tellement beau que ça me paraissait inatteignable.
Tout en m’entraînant en club, je donnais des cours de danse et je faisais mes études. Parce qu’on avait un deal avec mon entraîneur Dominique, qui était aussi prof de maths : je devais réussir mon bac et surtout l’épreuve de maths ! Évidemment, j’avais l’examen l’année des Championnats d’Europe Junior, en 1985. J’avais 18 ans.
Cette année-là, il y a eu beaucoup de choses : ma progression et mon record de France junior donc, en quelque sorte, je savais que ça allait rouler pour les Championnats d’Europe Junior. Mais il y avait quand même les pays de l’Est qui dominaient. Pourtant, j’ai apparemment fait sensation sur le 100m haies en gagnant devant une Allemande de l’Est et en battant le record d’Europe. J’obtiens alors ma première médaille internationale avec le titre de championne d’Europe en 1985 en 13,10s. C’est un super souvenir parce que le public a été derrière moi du début à la fin et notamment sur les épreuves d’heptathlon. Ils m’ont portée sur les 800 m de l’hepta que je voulais abandonner parce qu’après trois courses de 100m haies et un heptathlon, t’es un peu cassée…
À ce moment-là, quand je cours, je suis heureuse, je suis un petit papillon, je m’amuse. L’athlétisme me permet de partir à droite à gauche, je fais des stages dans chaque discipline, j’ai des amis, je peux aller voir mon chéri de l’époque. Je me sens vivante. Mais il était hors de question que je m’entraîne tous les jours, deux fois par jour. J’avais mes études, je gardais mon mode de vie. En 1987, je suis montée à Paris où j’y ai retrouvé ma meilleure amie qui dansait au Paradis Latin et au Lido. Je l’attendais à la fin de ses représentations et on allait faire la fête. Malgré ça, j’allais en cours et j’allais m’entraîner au stade.
C’est en regardant les Championnats du monde d’athlé à la télé cette même année que j’ai compris qu’il allait falloir doser… Parce que j’avais peut-être oublié un détail : j’étais montée à Paris pour progresser et pas pour faire la fête plus que je ne le faisais déjà ! Il n’y avait cependant aucune ingérence de la part de mes entraîneurs sur ma façon de vivre : c’était « Tu es intelligente ou tu l’es pas ». Mais, finalement, la plus dure concession que j’ai eue à faire en carrière de haut niveau, ça a été de quitter mon soleil.
Entre 1988 et 1990, les choses s’accélèrent un peu : 88, je me dis que ça serait chouette d’aller aux Jeux Olympiques et j’y vais ; 89, je suis championne du monde universitaire au 100m haies ; 90, c’est l’année des championnats d’Europe. Pour les Jeux de 1988, c’était mes premiers, mais j’étais plutôt cool à part pour la sélection qui s’est faite ric-rac. Sur le « terrain », je regardais mes adversaires, un peu impressionnée quand même, c’étaient des « monstres » de l’athlé. Mais, moi, à l’époque, j’étais encore complètement rêveuse, je me disais qu’il y avait toujours une surprise aux Jeux et que ce serait moi. Je rêvais un peu… Mais bon, je n’avais rien à perdre. C’était déjà bien d’être en finale. Ça ne m’a pas démoralisé de terminer septième parce que je me suis dit « Oh, je ne suis pas dernière » !
À partir de là, je sens qu’il y a un intérêt qui se réveille autour de mes performances, notamment après mon titre de championne du monde universitaire. Je prends conscience de ça par le biais des autres athlètes, de mon entraîneur, des journalistes. Et j’ai grandi aussi. Là, autour de 1990, mon parcours sportif prend un peu plus de maturité, j’ai un début d’objectif. J’avais commencé en suivant ma sœur, continué parce que ça me plaisait et que je faisais des résultats, décidé d’arrêter l’heptathlon et d’aller sur le 100m haies… jusqu’à me dire finalement que je voulais être championne olympique ! Et ça, ça passait par le titre européen que je pouvais tenter en 1990.
J’ai décidé d’arrêter l’heptathlon parce qu’à l’époque j’avais autre chose dans ma vie que l’athlé. J’étais bonne, je faisais des résultats et je n’avais pas peur de m’entraîner plus. Je ne peux pas dire que je mangeais, vivais ou dormais athlé. J’étais athlète, quand j’étais à l’athlétisme, donc je faisais quand même des concessions horaires, voire des concessions sur la nourriture. Mais je voulais profiter de mes amis, de ma famille, de mes activités et autres passions. Et puis, j’appartenais à cette génération coachée par des entraîneurs-formateurs dans le sens où ils exigeaient que leurs athlètes fassent des études ou aient un job à côté. Pour la simple et bonne raison que si on se blessait, on avait au moins un plan B.
En 1990, techniquement, je suis pas mal du tout. J’ai eu le temps de m’approprier la technique, et, en même temps, je bénéficie de mes atouts naturels pour l’athlé. À ce moment-là, je connais ma partition par cœur et je sens les choses et les gens. Je m’amusais souvent à prendre un chrono et annoncer le temps que j’allais faire au 100m haies. J’étais rarement loin. Je me sens puissante à cette époque. Dans le sens où je sais prendre le dessus sur l’autre, j’arrive à ne pas faire de fautes mais à pousser mes adversaires à la faute. Il y a un peu un côté jouissif à faire ce que tu as à faire tout en regardant les autres faire des conneries !
Je décroche le titre de championne d’Europe du 100m haies à Split, en Croatie, en 1990, puis je suis à nouveau championne de France du 100m haies (après 1989) en 1990 et 1991 et je fais le record de France du 100 m haies en 1989 puis en 1990 en 12,56s, un record !. Il a tenu jusqu’à l’année dernière (nouveau record détenu par Cyréna Samba-Mayela depuis le 8 juin 2024 avec 12,31s 31, Ndlr).
Les déconvenues sont arrivées ensuite : avec les Championnats du monde de Tokyo en 1991 où je me suis retrouvée 4e et mon accident de voiture survenu juste avant les Jeux Olympiques de Barcelone en 1992. Je m’en sors indemne, mais j’ai une sorte de sciatique qui ne se règle pas. Je vais quand même aux Jeux en espérant un miracle, mais ça n’existe pas : je me fais sortir en séries. Là, c’est le drame. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps pendant des jours. Mais j’ai bien compris que j’avais utilisé mon facteur chance pour des lustres. Cet accident m’a appris à relativiser. Le sport de haut niveau n’était qu’une partie de ma vie. J’étais debout, vivante, même si je n’étais pas championne olympique.
Suite à cette grosse déception, je décide donc de raccrocher après les Jeux Olympiques d’été de Barcelone, en 1992. Mais aussi parce que je voulais avoir un enfant et, pour moi, ça signifiait « arrêt ». Et puis, j’avais un ras-le-bol de la vie parisienne, de la grisaille, une inadéquation de mon état d’esprit avec les méthodes d’entraînement – je ne voulais pas qu’on me gueule dessus pour courir plus vite, etc. Ça a été un mélange de tout ça.
Je n’ai repris ensuite que parce que mon premier entraîneur, Dominique Biau, qui a toujours fait partie de ma famille, m’a dit qu’il reprenait. Je l’ai fait par jeu et sans réfléchir. C’était à l’été 1993, après avoir eu ma fille. Après ce changement de vie, je reprends vraiment pour jouer comme j’avais commencé, en fait. Et puis, c’est marrant, c’est avec mon entraîneur du départ. Il faut savoir que je suis aussi quasiment à nouveau débutante. Je ne mets plus un pied devant l’autre, j’ai un boulot, j’ai un enfant. Pour ma première course sur un 200m en avril 1994, je fais du surplace…
Mais le mental de la sportive de haut niveau revient assez vite. À l’été, je suis aux Championnats d’Europe en Suède. En 1996, je fais troisième au championnat d’Europe en salle en 60m haies. C’est ma dernière médaille même si je vais jusqu’aux JO d’Atlanta, à l’été 1996. Là-bas, je ne m’amuse plus : courir derrière les autres, c’est pas drôle. Coubertin, il est mignon quand il dit que l’important c’est de participer…moi, je n’ai donc plus envie de faire de l’athlé. Et je décide d’arrêter. En plus, je suis à nouveau enceinte et je souffre d’une blessure, une première car j’ai été très peu blessée au cours de ma carrière.
L’athlé ne m’a pas manqué tout de suite parce que j’ai retrouvé l’adrénaline que je recherchais dans le sport de haut niveau en manageant des artistes. Dans le sport, si j’avais pas cette sensation de trouille mêlée d’envie, je pouvais aller me rhabiller. Il me fallait cet état-là pour l’après. Je l’ai eu en développant les projets des musiciens et en vivant la scène avec eux par procuration. Si je dois résumer, mon talent à moi, c’est que j’avais naturellement des pratiques pour me monter en énergie, me calmer, me concentrer, visualiser. C’est venu tout seul. Et puis, c’est aussi d’avoir gardé le plaisir d’un bout à l’autre et d’avoir arrêté quand je l’ai perdu.
J’avais la sensation de n’avoir fait face à aucune barrière dans le milieu sportif en tant que femme mais au final j’ai perdu mes sponsors quand j’ai annoncé que j’étais enceinte la première fois. À l’époque, c’était presque normal, entre guillemets. Donc, j’ai fait avec les moyens du bord. Je me suis débrouillée.
Je n’étais pas forcément fan d’athlètes en particulier même si ça me faisait quelque chose de croiser les stars de la discipline dans les stades. Je sais que j’admirais un sauteur, Dwight Stones. C’était le seul poster que j’avais dans ma chambre. Il était atypique – il portait un maillot avec un dessin de Mickey, ça me plaisait, j’aimais sa manière de sauter et je trouvais qu’il ressemblait à David Bowie que j’adorais. Côté inspiration, j’ai Wilma Rudolph (athlète américaine triple médaille d’or des Jeux Olympiques d’été de 1960 sur 100, 200m et relais 4X100m, Ndlr) qui me revient ; je l’avais découverte dans une bible de l’histoire de l’athlétisme qu’on m’avait offerte vers mes 13 ans. Je l’avais lue de A à Z. C’était un peu mon livre de chevet sans pour autant que je me dise que je voulais faire ça. Assez fou comme coïncidence !
Le sport de haut niveau m’a tout apporté. Des rencontres incroyables, du dépassement, une forme de rigueur. J’étais une petite fille timide, très maigre, très malade, la dernière de quatre filles. Je regardais mes grandes sœurs comme des icônes. Ce parcours sportif m’a révélée à moi-même, en tant que personne, que femme et que femme de couleur. Ça a été plus dur en-dehors du sport sur cette question. Je me souviens d’un article de presse après les championnats d’Europe. J’étais en une sous le titre « France : tes immigrés ont du talent ».
Moi, je ne courais pas après les sponsors, je trouvais que plus tu en avais, plus tu devais rendre des comptes. Et ce n’était rien par rapport à aujourd’hui ! Ça peut être très lourd côté mental pour les sportifs aujourd’hui parce qu’autour de l’objectif sportif il y a le fait d’être en permanence en interaction sur les réseaux sociaux pour leurs sponsors ou leurs followers. Et c’est pareil côté médias. Moi, j’étais terrible et je le paye sûrement aujourd’hui. Je suis sortie complètement des radars. C’était ma façon de me préserver et c’était nécessaire. Cette année, ça se voyait gros comme une maison les athlètes qui allaient se planter…
Aujourd’hui, je suis coach et énergéticienne. J’accompagne mes clients et clientes à améliorer leur estime d’eux-mêmes, leur confiance et à retrouver l’envie. Je les aide à se transformer. Mon rôle est de mettre les gens sur le bon chemin. J’utilise l’énergétique dans mes accompagnements mais ça reste un peu « barré » pour certains. J’accompagne aussi beaucoup de sportifs et de sportives. Je suis très intéressée par la santé mentale des sportifs de haut niveau. Celui qui gère très bien les impératifs de l’époque et sa performance, c’est Kevin Mayer. Il sait s’entourer pour être protégé.
À mon époque, on ne parlait pas beaucoup du mental des athlètes. C’était juste le début. C’était la sophrologie qui arrivait. On ne les appelait pas « préparateurs mentaux » mais plutôt sophrologues. Moi, j’avoue avoir dit lors d’une interview que si on doit se préparer mentalement, c’est qu’on n’est pas fait pour la compétition. Ce n’est plus ce que je pense aujourd’hui.
Ce que je conseillerais à celles qui veulent être sportive de haut niveau, c’est de se faire plaisir d’abord, d’avoir un objectif ensuite et enfin de savoir bien s’entourer. L’important est de se poser cette question : « À qui d’autre que mes proches devrais-je confier mon mental, mon porte-monnaie et mon image ? ». »
- Son Palmarès : Médaille d’or aux Championnats d’Europe junior en 1985 / Médaille d’or du 100 m haies aux Jeux de la Francophonie en 1989 / Championne d’Europe du 100 m haies en 1990 / Championne de France du 100 m haies en 1989, 1990 et 1991 / Championne de France du 60 m haies en salle en 1991 et 1992 / Troisième au championnat d’Europe en salle du 60 m haies en 1996 / Record de France du 100 m haies en 1989 en 12 s 65 et en 1990 en 12 s 56
- Pour suivre Monique et se faire coacher par cette force de la nature : @moewanjeepee
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