Tu as découvert l’aviron à 14 ans, ce fut tout de suite un coup de cœur ?
Un coup de cœur, oui, mais plutôt pour l’ambiance ! J’étais au collège, j’avais testé pas mal de sport, de la danse, du tennis, du basket…je me cherchais.
Une copine m’a conseillé de tenter l’aviron, je ne savais pas du tout ce que c’était. Je suis allée à la journée « Portes ouvertes » à Grenoble. Là, je me souviens, il y avait une bande de filles de mon âge en plein entraînement, elles avaient l’air de s’entendre super bien, elles kiffaient ça et j’ai tout de suite eu envie d’aller avec elles. Cette émulation me plaisait.
Et puis, j’ai adoré l’idée de pratiquer un sport en extérieur, dans un cadre magnifique.
Ton premier souvenir sur un bateau, tu t’en souviens ?
Je n’arrivais pas à coordonner mes bras, je n’avançais pas. Après deux heures d’initiation, j’avais fait 4 kilomètres et demi. J’ai demandé à la bande de filles : « Et vous ? ». Elles m’ont répondu : « Nous ? 20 kilomètres. » Je me suis demandé comment c’était possible !
Ça m’a plutôt motivée et je me suis inscrite tout de suite. J’ai commencé en cadette, je pratiquais trois à quatre fois par semaine, je faisais des stages pendant les vacances scolaires.
Au lycée, je me suis imposé une discipline, de la rigueur, je m’entraînais tous les soirs et tous les matins avant les cours.
“ Parfois, je n’ai pas envie d’aller me faire mal à l’entraînement. Il faut contourner ça, garder en tête son objectif. ”
Lorsque j’ai entamé mon IUT en carrière juridique, les entraînements étaient encore plus soutenus. C’était devenu une passion.
Qu’est-ce qui te plaît tant dans l’aviron ?
Ce sentiment de plénitude quand tu es sur l’eau, l’osmose avec les éléments, sentir le bateau glisser sous tes fesses, la vitesse, le silence.
On est dans une bulle, on a l’impression de planer. On recherche toujours ça : être alignée.
Tu parles de plénitude, mais l’aviron est un sport intense…
Oui, c’est vrai, et s’entraîner tous les jours, c’est dur. Mais j’aime me dépasser. Je ne me pose pas trente-six questions : il y a des jours où je n’ai pas une envie folle d’aller me faire mal à l’entraînement, il faut contourner ça.
Depuis toujours, je fonctionne aux objectifs, c’est ce qui me motive. Rapidement après mes débuts dans l’aviron, j’ai été intégrée à un groupe de compétition ; lors de ma deuxième année de pratique, j’ai été Championne de France.
Ressentir l’émotion d’un podium avec les copines, c’est assez dingue !
Les victoires, tu en parles avec beaucoup d’ardeur !
La joie à l’arrivée, quand tu gagnes ! Cette joie d’enfant, une sorte d’insouciance, un rêve en mode les yeux qui pétillent.
L’apothéose, ce fut de gagner les championnats en individuel en 2018. J’ai ressenti une énorme fierté.
Tu as donc toujours eu le projet d’être championne ?
En tout cas d’être une sportive de haut niveau. Et d’intégrer l’équipe de France. Je ne pensais pas encore aux Jeux Olympiques…
Mais il me fallait aussi réussir dans mes études. Mes parents me soutenaient à condition que j’apprenne un métier. L’aviron, on ne peut pas en vivre. Une carrière sportive… on ne sait pas ce qu’il peut se passer demain.
Clairement, l’idée était d’aller plus loin que Bac +1. En 2015, après l’IUT, j’ai intégré une école de commerce à Grenoble. Elle avait un cursus sportif, c’était plus facile, ça a matché.
Et tu as commencé à multiplier les médailles…
J’ai fait deux podiums en Championnat du Monde de moins de 23 ans, c’est ce qui m’a fait prendre conscience que je pouvais encore aller plus loin.
En 2017, catégorie Elite, j’étais associée avec Claire Bové. Nous sommes arrivées neuvième aux Mondiaux de Sarasota.
Un an après, en individuel, je décroche l’argent au Championnat d’Europe puis l’or au Championnat du Monde.
L’an dernier, de nouveau avec Claire en deux de couple, on devient vice-championnes d’Europe…
“ Quand tu constates que t’es dans les meilleures mondiales, tu te dis que tu peux aller jouer dans la cour des grands. ”
Petit à petit, tu commences à penser aux JO, ça murit dans ta tête. Je n’y croyais pas avant, je n’avais pas assez confiance en moi, pas de plan de carrière.
Mais quand tu constates que t’es dans les meilleures mondiales, tu te dis que tu peux aller jouer dans la cour des grands.
Claire Bové est ton binôme, il faut sacrément bien s’entendre pour parvenir à se supporter jour après jour à l’entraînement…
Il faut faire en sorte de bien s’entendre. On ne choisit pas sa coéquipière : les couples sont formés automatiquement avec les meilleures Françaises en individuel.
On a de la chance, on est aujourd’hui plus amies que simples coéquipières. Nous sommes différentes de caractère. Sur l’eau, je suis plus puissante, elle est plus technique. La complémentarité est notre force.
On s’entraîne dur toutes les deux, avec le même objectif en tête : gagner. Notre relation a une bonne base : un respect et une confiance mutuels énormes. On sait pouvoir se reposer l’une sur l’autre.
Pour autant, dans un couple, il existe toujours des moments de tension, non ?
Ça se règle par la communication. On est ensemble H24, un peu comme des sœurs, on ne peut pas s’entendre tout le temps. On s’autorise à s’engueuler de temps en temps, on ne se cache jamais nos faiblesses.
“ Parfois avec Claire, je joue les mamans. Je peux être limite excessive. Je dois apprendre à la lâcher un peu. ”
Claire a quatre ans de moins que moi, elle doit encore apprendre à gérer son corps, la fatigue. Claire fonce, moi je tempère. Nous sommes dans le même bateau !
Tu fais un peu office de grande sœur…
Ou de maman, parfois ! Mais j’essaye de prendre de la distance. Suite à la dernière blessure de Claire, j’ai eu envie de la protéger. Je peux être limite excessive, faire plus attention à elle qu’à moi. Je n’ai pourtant pas trop de légitimité, elle a beaucoup de maturité.
J’essaye de la lâcher un peu. On doit aussi se donner de l’espace pour que notre binôme fonctionne bien.
Tu t’entraînes dur pour les prochains Jo de Tokyo, mais tu as un boulot aussi. Comment on gère le sport de haut niveau et une carrière professionnelle ?
C’est agréable d’avoir un projet professionnel, je trouve mon équilibre entre mon métier et mon sport.
J’ai intégré la SNCF, je suis en temps aménagé. Je m’entraîne le soir et le matin avant le boulot.
Je devais être détachée à 100% pour les Jeux Olympiques, mais avec la crise sanitaire et le report des JO l’an prochain, j’ai repris le travail.
Je me rends compte que je n’ai pas besoin de m’inquiéter pour l’avenir, ça fait toute la différence : je prépare ma reconversion alors que je suis tout au début de ma carrière !
Si demain je me blesse ça peut être fini, il faut être capable de rebondir. J’ai l’esprit serein pour m’entraîner parce que j’ai un CDI.
Les JO de Tokyo reportés, c’est difficile à digérer ?
C’est très compliqué dans ma tête ! Quand ça a été annoncé, j’y croyais pas ! Tu t’entraînes vingt-cinq heures par semaine pour un objectif, t’es à trois ou quatre mois de l’échéance, c’est une grosse claque. Mais je relativise. Ça reste du sport, il faut s’intéresser à ce qui se passe dans le monde.
Avec le recul, c’est une bonne affaire pour Claire et moi, on progresse d’année en année. J’étais blessée l’hiver dernier, je récupère, ça me laisse du temps.
A contrario, on doit recommencer de plus belle, se ré-entraîner cet hiver, et quand il fait froid, c’est pas le plus facile.
Le sport de haut niveau, ça t’apporte quoi dans le fond, à part le bonheur de la victoire ?
On apprend tant de choses sur soi, sur les autres ! C’est hyper enrichissant.
Quand je repense à mes cours de tennis ou de danse que je prenais à l’époque, ce n’était qu’une fois par semaine et je n’avais pas envie d’y aller, la flemme !
Et aujourd’hui, je rame tous les jours et j’adore ça. J’ai trouvé le bon sport, clairement.
Le milieu de l’aviron est-il aussi « masculin » qu’on l’imagine ?
On n’a pas vraiment de problèmes avec les équipes masculines. On s’entraîne de la même façon. On fait des stages en commun et ce sont les meilleurs. C’est vraiment sympa d’être en mixte, on s’enrichit les uns les autres.
“ On rame parfois avec les garçons. Ils sont au taquet, nous on est plus cérébrales ; ils ont la puissance, on a la fluidité. ”
L’ambiance est bonne, on se serre les coudes. Certains sont davantage des amis que des rameurs de l’équipe de France, il n’y a pas de compétition d’égos, pas de problème d’argent.
On peut être concurrents et co-équipiers dans une même saison. Vraiment, on s’entend bien.
Parce qu’il y a des compétitions en mixte…
Oui, on rame parfois avec les garçons. Lors des courses en Championnat de France sprint on peut mixer, en 8 ou en 4, c’est bien car c’est différent : les hommes sont au taquet, nous on est plus cérébrales ; ils ne se posent pas mille questions, ils ont la puissance, on a la fluidité.
C’est cool, avec eux, on a moins à faire : ils rament pour nous !