Anne Saouter : « Des filles peuvent-elles être l’avenir du rugby ? »

anne saouter anthropologue

Par Anne Saouter, anthropologue*

Publié le 29 janvier 2020 à 16h33, mis à jour le 13 avril 2023 à 16h29

A la fin de l’année 2018, les craintes de la Fédération Française de Rugby ont été confirmées par la raison du chiffre : le nombre total de licenciés continue à décliner. Son président, Bernard Laporte, l’annonçait ainsi avec regret. S’ensuivaient dans son discours des espoirs de reconquête nourris par la ferveur que suscitera la coupe du monde de rugby 2023, accueillie par la France, et par des actions de promotion en milieu scolaire visant à susciter l’émulation pour le ballon ovale.


Une augmentation de 13% des filles dans les écoles de rugby, chiffre validant pour sa part une tendance à la hausse depuis longtemps amorcée, ne remplit-elle pas déjà une partie de l’objectif ? Ce qui pourrait être une belle promesse d’avenir semble loin de satisfaire les sphères dirigeantes. Là où s’expriment le pouvoir et l’autorité -que l’opinion se rassure- le modèle de référence ne saurait fonctionner sans certifier la suprématie du masculin. Le rugby, c’est d’abord un sport d’hommes…

Pourtant, les femmes sont de plus en plus nombreuses à chausser les crampons et à prouver leur maitrise du jeu. Les supporters apprécient leur technique, leur jeu collectif qui fait « vivre » le ballon, leur enthousiasme et leur esprit sportif. Certains disent retrouver chez elles le jeu originel dont ils se souviennent avec nostalgie. Il en est même qui ne regardent plus qu’elles, trop déçus par le jeu des hommes. Longtemps absentes des écrans, les joueuses sont visibles aujourd’hui aux yeux du plus grand nombre, avec quelques transmissions de matchs aux heures de grande audience.

Sortir de l’ombre

Leur indéniable ascension ne doit cependant pas faire croire à une modernité sans faille, à l’impossibilité de retours en arrière. Si on se penche sur leur véritable histoire, non tronquée par la doxa journalistique, la plus communément partagée, on constate à quel point le parcours fût long pour enfin sortir de l’ombre. Beaucoup s’imagine que les femmes ont intégré depuis peu le rugby à son plus haut niveau de compétition. Leur premier match international a pourtant eu lieu le 3 juin 1982 , il y a presque quarante ans.

Une des plus anciennes équipes, les « bûchettes » de La Teste, furent championnes de France à quatre reprises (entre 1983 et 1988), et certaines de ses joueuses furent sélectionnées, plusieurs années d’affilée, pour la compétition internationale. Sur les murs du club house de la Teste-de-Buch, parmi les clichés et trophées d’équipes masculines, ne figure pourtant aucune trace de ces instants de gloire.

C’est ce même oubli que dénoncent de leur côté les footballeuses allemandes dans un clip promotionnel réalisé pour la coupe du monde 2019 : qui sait, y compris dans leur pays, qu’elles ont été championnes d’Europe à huit reprises ? Qui connaît leur nom, elles qui ont joué pour leur nation ? Elles, se souviennent en revanche du trophée de leur première victoire, un service à café…

Volonté d’exister

Cette interpellation ironique de l’histoire montre combien leur désir de conquête (du droit de jouer, du droit d’accéder aux installations sportives, du droit d’intégrer la fédération nationale, etc.) motive une tâche sans cesse remise sur le métier. Non dans un souci de perfection, mais simplement pour confirmer une vérité.

C’est comme si les joueuses étaient de perpétuelles pionnières, devant régulièrement réaffirmer la réalité de leur compétences et leur volonté d’exister.

Car, en observant l’histoire, on ne peut faire que l’amer constat d’une légitimité précaire. Les sportives, comme les femmes en général, ont souvent été dissuadées quand elles s’aventuraient en dehors du pré carré prévu à l’expression formatée de leur féminité.

Et quand tel n’était pas le cas, les aventurières ne bousculaient pas pour autant, de façon définitive (ou révolutionnaire), le cours d’une histoire décidée depuis toujours au masculin.

*Anne Saouter est anthropologue et s’intéresse à la question de la production des corps sexués dans les pratiques sportives. Auteure de « Des femmes et du sport » (éd.Payot).

Vous aimerez aussi…

8 mars : l’égalité des sexes au menu du CIO

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, ce 8 mars, le Comité international olympique a annoncé le nom des 6 lauréat.e.s de ses trophées « Femme et Sport » 2020. Des lauréat.e.s « défenseurs » de l’égalité des sexes. Le monde bouge dans l’olympisme.

Lire plus »
Florence Arthaud Cette insatiable louve des mers

Florence Arthaud, cette insatiable louve des mers

Le 9 mars 2015, il y a tout juste six ans, l’aventurière perdait la vie dans un crash d’hélico. Avec elle, le mot marin s’était conjugué au féminin. À 33 ans, en 1990, l’intrépide à la crinière bouclée et au teint halé devenait la première femme à remporter la mythique Route du Rhum. Une entrée fracassante au sein du milieu testostéroné des « vieux » loups de mer. Une grande dame qui tracera la voie pour les autres navigatrices. Portrait-hommage d’une fille qui avait tant besoin de prendre le large…

Lire plus »
Celia Martinez : « Dès que je suis sur mes skis, j’ai l’impression de vivre vraiment. »

Célia Martinez : « Quand je suis sur des skis, j’ai l’impression de vivre vraiment. »

Elle aurait dû participer aux Championnats du monde de Kilomètre Lancé (KL) qui débutent à Vars dans les Hautes-Alpes. Mais, enceinte, Célia Martinez passera son tour cette saison. Avant de revenir en force dès 2023 avec, pour ambition, de battre le record de France de ski de vitesse et, pourquoi pas, le record du monde. Conversation avec l’une des filles les plus rapides de la planète qui, pour une fois, a décidé de prendre son temps.

Lire plus »
Anne-Caroline Chausson : « Personne n’est imbattable, malgré mon palmarès en BMX et VTT, j’avais des failles moi aussi. »

Anne-Caroline Chausson : « Personne n’est imbattable, malgré mon palmarès en BMX et VTT, j’avais des failles moi aussi. »

Elle est considérée comme la plus grande descendeuse de tous les temps. Pendant des années, Anne-Caroline Chausson a cumulé les titres de championne du monde en VTT et BMX, jusqu’à l’or olympique à Pékin en 2008. Seize ans plus tard, la Dijonnaise, en rémission d’un cancer des ovaires, continue de faire du vélo, sa bouffée d’oxygène.

Lire plus »
Karine Joly et Greg Crozier : « Arriver au sommet du freefly en couple, c'est juste une chance incroyable. »

Karine Joly et Greg Crozier : « Arriver au sommet du freefly en couple, c’est une chance incroyable. »

Seize ans qu’elle fait équipe avec Gregory Crozier, son compagnon à la ville. Karine Joly, 43 ans, a tout plaqué pour vivre sa passion pour le parachute en général, et le freefly en particulier. Un pari couronné de succès puisque le couple collectionne titres et records. Dans leur viseur désormais, un rendez-vous avec l’Everest et une tentative de record du monde mixte aux États-Unis. Rencontre avec un duo qui aime s’envoyer en l’air.

Lire plus »
Sophia Popov

Sophia Popov, la golfeuse qui rêve en green

Affaiblie par la maladie de Lyme et à deux doigts de ranger ses clubs à jamais, elle a finalement gagné son tout premier Grand Chelem cet été. La golfeuse américano-allemande est un exemple de persévérance. Son conte de fées ou plutôt de « tees » (puisqu’on parle de golf…) entre illico dans la belle histoire du sport !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner