Ce n’est pas parce que tu grandis entre des torches de raffineries et des élevages bovins que tu n’as pas le droit de te passionner pour le surf. Aussi, du haut de mes 12 ans, je cumulais un abonnement au magazine Surf Session et une fausse dent de requin achetée sur le marché.
Pour ce qui est de tenter un cut-back, j’étais franchement loin du compte puisque mon expérience se limitait à un pseudo-cours lors d’une colonie de vacances, l’été de mes 15 ans. On aurait pu en rester là si je n’avais pas été invitée à venir assister à une compétition de CrossFit. Le lien ? L’événement étant organisé dans les Landes, impossible de ne pas passer par la case « cours de Surf ».
Sûre de ma condition physique, taillée à coups de burpees et autres thrusters à raison de cinq séances par semaine, je suis plutôt sereine concernant ma capacité à convoquer la Johanne Defay qui est en moi. Malheureusement, ma planche Ouija s’avère être du toc.
D’abord, premier obstacle : il faut que je me faxe dans une combinaison. C’est comme ça que je me retrouve, les pieds dans le sable, à tenter un savoureux mélange entre danse de l’été sous LSD et gesticulations d’une larve qui suçote des fils électriques. En soi, l’exercice constitue déjà une sorte d’échauffement…
Le warm-up, le vrai, nous mène au bord de l’eau. C’est parti pour un peu de mobilité articulaire, puis l’apprentissage du take-off, c’est-à-dire, l’art de se lever sur la planche. Évidemment, sur le sable, les gestes ne sont pas sans évoquer des postures de yoga. Mais je ne me fais aucune illusion : les vagues des Landes vont foutre en l’air mes chakras.
Place à l’épreuve du feu – ou plutôt de l’eau. Pierre, notre prof, nous rassure : nous allons rester sur le bord, là où nous avons pied et prendre des mousses. Quelques minutes passent, le groupe s’éloigne et me voilà un peu isolée. Là, Pierre s’inquiète : « Tu as peur des vagues ? » Non, je suis juste la seule à avoir arrêté ma croissance à l’âge de 11 ans. Aller plus loin, c’est tenter un remake du Grand Bleu.
Au-delà de ce problème de taille – littéralement – Pierre nous aide à nous lancer, afin que nous tentions de nous redresser sur la planche. Ce que j’imaginais être une chevauchée héroïque se transforme en imitation d’un crapaud sur une boîte d’allumettes.
Engoncée dans ma combinaison, peu sûre de moi, j’ai l’impression que les ordres émis par mon cerveau ne sont pas diffusés à l’ensemble de mon corps. Telle une possédée, je tape des burpees sur ma planche. Et qu’importe si cela n’a pas grand-chose à voir avec ce que Pierre nous a appris. Je recommence encore et encore, m’obstinant, en vain. Les autres élèves parviennent à se lever. Moi, je finis dans l’eau, tête la première.
Bref, ma session de surf flirte avec le snorkeling. Frustrée, je m’agace. Jamais quatre-vingt-dix minutes ne m’ont semblé aussi longues. Évidemment, je suis trop impatiente, ça ne date pas d’hier.
Enfant, alors que je débutais l’équitation, je m’imaginais grimper sur le cheval et, deux heures plus, faire du saut d’obstacles. Certes, je n’ai plus 6 ans. Mais la patience n’est pas ma qualité première. Surtout quand, insidieusement, je me répète que je suis en forme que j’ai la condition physique pour y arriver. La condition physique, peut-être, mais pas l’état d’esprit.
Cette première session, je l’ai presque abordée comme une qualification aux JO. L’enjeu ? Réussir à me mettre debout sur ma planche. À tout prix. J’ai juste oublié l’essentiel : m’amuser. Je ne suis en compétition avec personne – hormis moi-même (et encore !), ce sont les vacances, et Rome ne s’est pas faite en un jour.
Le cours suivant, je mets mes attentes en pause : ne suis-je pas là pour profiter ? Juste profiter. Résultat ? J’ai tellement d’eau dans le nez que je suis exempte de Sterimar pendant neuf mois ! Mais le cours, contre toute attente, prend une dimension bien plus agréable. À la troisième session, j’ai l’impression de pouvoir, enfin, me laisser porter – à tous les sens du terme.
Depuis, chaque séjour dans la région est l’occasion de m’améliorer. Je ne suis toujours pas Johanne Defay et je m’en fous.