L’affaire Lia Thomas : un révélateur des obstacles à l’inclusion des athlètes transgenres dans le sport ? En mars 2022, la championne de natation Lia Thomas a remporté l’épreuve du 500 yards nage libre lors des championnats universitaires américains. Assignée homme à la naissance, la nageuse avait initialement concouru dans la catégorie masculine avant d’entreprendre une transition de genre et de rejoindre les compétitions féminines. La victoire de l’athlète a suscité une vive controverse, poussant la Fédération internationale de natation (FINA) à adopter, le 19 juin 2022, une politique plus restrictive concernant la participation des athlètes transgenres.
Cette nouvelle réglementation exclut les athlètes transgenres des compétitions féminines, à l’exception de celles ayant entamé leur transition avant la puberté masculine. Dans le but de pallier les exclusions à venir, la FINA a envisagé la création d’une épreuve dite « ouverte », pour les athlètes ne satisfaisant pas le critère précité. Cette catégorie peine toutefois à prouver sa pertinence, comme l’a illustré de manière flagrante la Coupe de Berlin en octobre 2023, où les épreuves de 50 et 100 mètres “ouvertes” ont dû être annulées faute de participants. Face à cette situation, Lia Thomas a porté son cas devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) en janvier 2024.
Cette bataille judiciaire autour de la question du genre rappelle celle de Caster Semenya, l’athlète sud-africaine assignée femme à la naissance et compétitrice dans la catégorie féminine.
Exclue des compétitions en raison d’un taux de testostérone jugé trop élevé, Semenya a échoué devant le TAS et en appel, avant d’obtenir gain de cause en juillet 2023 devant la Cour EDH, qui a reconnu une atteinte à ses droits fondamentaux (Caster Semenya c. Suisse, 21 juillet 2023).
Tout comme Semenya, Lia Thomas pourrait, après épuisement des voies de recours, saisir la Cour EDH. Dans un tel contentieux relatif à la question trans, la Cour serait amenée à examiner, comme elle l’a fait pour Semenya, si l’exclusion des athlètes transgenres, perçue comme discriminatoire et portant atteinte à leur droit à la vie privée, repose sur des justifications objectives et raisonnables. En particulier, il s’agirait d’évaluer si un éventuel avantage physique attribué à ces athlètes pourrait légitimement justifier une telle exclusion.
La question de savoir si les personnes transgenres disposent d’un réel avantage dans certaines disciplines sportives est complexe et controversée, car elle ne peut être abordée de manière uniforme. Cette problématique s’inscrit dans la notion de « variabilité » propre aux disciplines sportives, chaque pratique reposant sur des exigences physiologiques et techniques spécifiques. Ainsi, l’évaluation d’un éventuel avantage ne peut être généralisée, mais doit tenir compte des particularités de chaque discipline.
Par ailleurs, les données biologiques et les analyses scientifiques sur la performance des athlètes transgenres demeurent extrêmement limitées. En réalité, à ce jour, aucune étude prospective ne s’est penchée sur l’évolution de la performance athlétique transgenre après une transition hormonale. De plus, de nombreuses études établissent « une fausse équivalence biologique entre le rôle de la testostérone dans le dopage et son rôle à l’égard des populations transgenres, notamment des femmes transgenres ». (« Athlètes transgenres féminines et sport d’élite : examen scientifique », E. Alliance Centre de recherche pour l’équité des genres en sport, 2021)
Les constats socioculturels doivent également être pris en compte. En effet, le sport féminin est généralement moins valorisé et bénéficie de ressources plus limitées par rapport au sport masculin. De surcroît, les femmes transgenres sont souvent confrontées à des conditions de vie marquées par une mobilité sociale descendante et des discriminations, notamment un accès restreint à certains espaces ou des expériences de marginalisation dans ces mêmes environnements (« Athlètes transgenres féminines et sport d’élite : examen scientifique », E. Alliance Centre de recherche pour l’équité des genres en sport, 2021).
Ces inégalités structurelles viennent accentuer la complexité des débats autour de la performance sportive, où la génétique n’est qu’un élément parmi d’autres. L’entraînement, la motivation et la maîtrise technique jouent également un rôle déterminant, chacun contribuant à compléter ce puzzle multifactoriel.
Si Valentina Petrillo, première athlète transgenre à participer aux Jeux Paralympiques de Paris en 2024, et Laurel Hubbard, haltérophile ayant concouru aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, incarnent des avancées symboliques pour l’inclusion des athlètes transgenres dans le sport international, ces exemples restent rares. Cette situation s’explique, d’une part, par les restrictions imposées par la majorité des fédérations sportives qui, comme mentionné précédemment, excluent souvent les athlètes transgenres des compétitions de haut niveau. D’autre part, elle s’explique par leur très faible représentation dans la population mondiale, estimée entre 0,1 % et 2 %, limitant leur présence sur la scène sportive internationale.
Ironiquement, les performances de ces athlètes trans, bien loin des podiums, tendent à calmer les craintes de ceux qui invoquent un prétendu « avantage compétitif » pour justifier leur exclusion.
Contrairement à de nombreuses fédérations internationales, celle de surf a opté pour une approche plus inclusive envers les athlètes transgenres. Désormais, les surfeuses assignées homme à la naissance peuvent participer aux compétitions féminines, à condition de respecter certains critères stricts. La principale exigence consiste à maintenir un taux de testostérone inférieur à 5 nmol/L pendant les 12 mois précédant la compétition. Cette politique a ainsi permis à Sasha Jane Lowerson de rejoindre officiellement les épreuves féminines
La problématique de l’inclusion des personnes transgenres dépasse le cadre strictement sportif et reflète les tensions sociétales entourant les identités de genre. Elle illustre les défis auxquels fait face une société encore attachée à des catégories traditionnelles et rigides, souvent considérées comme immuables, face à l’évolution vers une conception plus souple et inclusive des identités.
Ce débat s’inscrit dans un contexte global de polarisation, marqué par la montée des mouvements anti-trans, particulièrement exacerbée depuis la réélection de Donald Trump aux États-Unis. Dans ce contexte, le potentiel du sport à favoriser la démarginalisation demeure limité par des discriminations alimentées par des stéréotypes persistants sur les capacités physiques des personnes transgenres.