Guislaine Westelynck « En club handisport, on parvient à exposer son corps transformé, différent, amoché. »
Ancienne nageuse de haut-niveau, médaillée aux Jeux Paralympiques de Séoul en 1988, entraîneure de l’équipe de France féminine de para-natation pendant dix ans, première femme présidente de la Fédération Française Handisport... elle était à la manoeuvre pour les JP de Paris. Guislaine Westelynck qui vient de sortir son autobiographie revient pour nous sur sa vie de militante pour le handisport et sur ces Jeux 2024 mémorables.
Publié le 27 septembre 2024 à 11h57
En tant que Présidente de la Fédération Française Handisport, vice-présidente du Comité paralympique et sportif français et ancienne athlète paralympique (Séoul, 1988), vous deviez attendre avec impatience ces Jeux Paralympiques « à la maison »…
C’était magique ! Magique dans tous les sens du terme.Les Jeux Paralympiques se déroulaient au sein des mêmes infrastructures sportives que pour les Jeux Olympiques et quels lieux, quelles installations, le Grand Palais par exemple, quel cadre enchanteur !L’organisation était incroyable : le nombre de bénévoles engagés, leur gentillesse, leur disponibilité… Les tribunes étaient pleines, les supporters en très grande forme. On n’avait jamais vu ça aux Paralympiques ! Et puis, que dire, bien sûr, des performances sportives… Magiques ces JP Paris 2024, je vous dis !
Guislaine Westelynck a porté la flamme des JP 2024
D’ailleurs, où étiez-vous pendant les épreuves ?
Eh bien, je suis allée voir les miens bien sûr !À la Fédération Française Handisport, nous avions 147 athlètes qui concouraient pour ces Jeux et ils représentaient 11 disciplines sur les 22 au total. J’ai donc quasiment fait tous les sites. Là encore, c’était un rêve.
Quels sont les moments sportifs qui vous ont fait le plus vibrer, chez les femmes en particulier ?
Pour moi, l’apothéose a été le match de cécifoot, bien sûr, l’équipe de France qui décroche une médaille d’or historique en finale des Jeux Paralympiques. Sinon, celle que je place au-dessus de tout et qui représente le fait le plus marquant de ces Jeux pour moi, c’est Aurélie Aubert, une jeune femme tellement spontanée, elle a été si émouvante, j’ai eu la gorge serrée alors que je suis dure aux larmes généralement.
En plus, avec cette médaille d’or, c’était la reconnaissance d’une discipline confidentielle, la boccia, qui est un sport phare chez nous en handisport puisque c’est là où nous avons le plus de licenciés.
Concernant la place des femmes dans ces Jeux Paralympiques justement, il s’avère que la délégation tricolore paralympique comprenait 82 femmes (soit 34 %) pour 155 hommes, au contraire de l’équipe de France olympique qui a réussi à atteindre une quasi-parité avec 289 hommes pour 282 femmes. Il y a cependant une amélioration puisque la délégation paralympique française ne comptait que 27 % de femmes à Tokyo. Où en est-on dans ce combat pour la parité ?
Je crois qu’il y a plusieurs sujets. Je pense que l’un des premiers, c’est que nous manquons d’encadrement féminin au sein du mouvement handisport. Ça peut être un frein à la pratique. J’ai moi-même été entraîneure de l’équipe de France féminine de natation handisport pendant dix ans mais quand je suis partie, il n’y avait plus aucune femme à ces postes-là.
Je pense aussi que dans certaines disciplines comme la natation par exemple, il doit être plus difficile d’exposer son corps meurtri pour une femme que pour un homme. Et l’investissement que demande une telle carrière peut faire peur en ce qu’il peut être un frein à la construction d’une vie de famille.
Moi, par exemple, je n’avais de cesse de montrer que je pouvais me construire une vie comme tout le monde : j’ai commencé par avoir des enfants à partir de 18 ans et du coup j’ai arrêté la natation pendant quelques années. Et puis, ensuite, c’est le chemin compliqué de la mère de famille même si des efforts sont faits pour faciliter l’accès à la pratique quand des sportives deviennent mamans. Dans le sport de haut niveau, c’est le cas, mais il faut le développer pour les pratiquantes amatrices d’activités de loisir.
Guislaine Westelynck
Contre toute attente, les Jeux Paralympiques ont créé un très fort engouement, à l’image des Jeux Olympiques et alors même que la rentrée avait sonné… S’ils ont été retransmis de façon intégrale pour la première fois en France, contrairement aux JO, seules France 2 et France 3 diffusaient les épreuves, Eurosport et France 5 ne prenant pas part aux retransmissions. Une étude Tagaday pour Ouest-France montre aussi qu’il y a eu deux fois moins de contenus dans les médias français que pour les épreuves valides. Quel est votre ressenti à ce sujet ?
Franchement, on part de tellement loin ! Moi, j’ai été enchantée de ce qu’il s’est passé. Peu importe que certaines chaînes n’aient pas suivi. Après, il en faut pour tous les goûts : il y a des gens qui n’aiment pas le sport et d’autres que le handicap peut heurter, il fallait donc sûrement laisser des soupapes de décompression… Peu importe qu’on ait eu un peu moins d’audience, c’était tellement magnifique le retour qu’on a eu par rapport à ce qu’on connaissait !
Vous racontez d’ailleurs dans votre livre* que lors de vos premiers Jeux Paralympiques en tant qu’athlète, en 1988, à Séoul, vous étiez rentrés non pas bredouille – une médaille d’argent en individuel et une de bronze par équipeen para-natation – mais dans le plus strict anonymat à Marseille… « L’arrivée à Marseille, pour mon collègue pongiste et moi, se fit dans la plus grande discrétion : pas de foule en liesse pour nous accueillir, pas de médias. Le paralympismeétait plus que confidentiel, il n’était pas médiatisé. »L’évolution médiatique est donc énorme…
C’était le Moyen-âge, cette époque ! Je me rappelle qu’une journaliste de notre région m’avait interviewée à la piscine mais finalement sa rédaction n’avait pas été intéressée par le sujet qui n’avait pas été diffusé… On était deux Marseillais à partir aux Jeux, un pongiste et moi, on est partis et revenus dans l’anonymat le plus total là aussi. Une vraie leçon d’humilité !
Ce qui me surprend, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde me reparle de mes médailles aux Jeux Paralympiques, on ne m’en avait jamais parlé avant ! Ce gros pas en avant, c’est grâce à la médiatisation, vraiment !Par exemple, en Italie, les disciplines paralympiques sont médiatisées de façon très régulière et pas seulement pendant les Jeux. Ils ont donc énormément de personnes handicapées qui viennent à la pratique sportive. Cette médiatisation et cet engouement créés par les JP de Paris 2024 autour des disciplines paralympiques, il ne tient qu’à nous que ça ne retombe pas.
Marie-Amélie Le Fur, Présidente du Comité Paralympique et Sportif Français – dont vous êtes aussi la vice-Présidente– parle d’ailleurs d’un « avant et d’un après » les Jeux Paralympiques de Paris 2024.Vous dites à la fin de votre livre que « les JOP de Paris ont la volonté d’une société plus inclusive et d’inscrire le sport dans le mental des handis », qu’en est-il selon vous ?
Encore une fois, il ne tient qu’à nous que le soufflet ne retombe pas. Il va falloir être vigilants. Oui, on m’a laissé entendre que les temps allaient être difficiles côté budget mais je suis d’un naturel optimiste et je ne peux pas écouter ça ! Je ne peux pas imaginer qu’on puisse faire un retour en arrière. Je suis vraiment convaincue qu’on va continuer à nous accompagner.
Et puis, je le vois rien que dans le regard des gens. J’ai pris un taxi récemment et c’était tellement agréable de constater que le chauffeur savait de quoi je parlais. Il m’a dit : « Ah, c’était génial les Paralympiques ! ». Dans mon entourage aussi où je fais figure d’extraterrestre car peu sont dans le sport ou connaisseur du handisport…tout le monde m’a appelée pour les Frères Portal (médailles d’argent et de bronze sur le 400m nage libre, Ndlr). Ils étaient aussi émus que pour la prestation de Léon Marchand !C’est pas beau, ça ?
Donc, déjà les Jeux ont porté leurs fruits dans la société… Moi, je voulais aussi, outre le spectaculaire du haut niveau, que les spectateurs en situation de handicap se disent, grâce à ces Jeux, « Il y a un sport pour moi ». Je crois que de ce point de vue aussi, les Jeux ont été porteurs.
Guislaine Westelynck au côté de l’ancienne ministre des Sport alors en place lors des Jeux, Amélie Oudéa-Castéra (à sa droite)
Vous dites : « Je veux que l’on considère les handis comme des sportifs à part entière, et non entièrement à part… ». C’est très fort etça a été le discours des JP 2024 de ne pas héroïser les athlètes, de ne pas tomber dans le pathos, et de mettre en avant la performance sportive avant tout.
On ne doit pas se dire « C’est un handicapé qui fait du sport ». Non, c’est un sportif à part entière. Il n’est pas « entièrement à part » dans le sens où il n’est pas « à côté » car ce serait un « handicapé qui fait du sport ». Non, c’est un « sportif à part entière ».Il n’y a pas de différence entre un sportif valide et un sportif handisport ! Il faut regarder la performance et c’est tout, le handicap, on l’oublie. Et je crois que l’engouement du public pour les sportifs paralympiques montre bien ça.
Quel sera l’héritage de ces Jeux Paralympiques Paris 2024 selon vous ?
Ce regard nouveau sur lehandisport et le handicap, la grande médiatisation qui a permis de démystifier le handicap et de passionner les gens sur les performances sportives des athlètes paralympiques, mais aussi la volonté des collectivités territoriales d’accélérer la mise en accessibilité des infrastructures et des transports.
Quels sont, désormais, les grands chantiers à mettre en place sur cette question du handicap ?
Pour la Fédération Française Handisport, côté haut niveau, c’est déjà de commencer à préparer Los Angeles 2028, soyons clairs ! Pour le reste, c’est toujours de démocratiser la pratique du parasport, d’être à l’écoute des territoires et d’accompagner les personnes en situation de handicap qui viennent dans nos clubs territoriaux pour pratiquer une activité sportive.
Enfin, nous ne devons pas perdre de vue les promesses qui nous ont été faites en termes d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. J’ai vu, il y a peu, Valérie Pécresse (Présidente de la Région Île de France, Ndlr) en lui disant que je n’avais pas oublié ses promesses concernant la plus grande accessibilité des transports. Je ne veux pas que ce soit des paroles en l’air ! Elle m’a assuré que c’était en cours et m’a parlé notamment de la ligne 6 du métro parisien.
Quelle a été concrètement votre action et votre rôle dans la préparation de ces JP ?
À la Fédération Française Handisport, notre rôle était de préparer et d’entraîner les équipes deFrance. Il y a eu une réelle prise de conscience du gouvernement et de l’Agence Nationale du Sport (ANS) sur le fait qu’il fallait nous considérer comme une fédération sportive à part entière et non « entièrement à part » – c’est ma phrase phare, c’est très important pour moi. L’ANS a donc augmenté nos budgets car, au sein de plusieurs de nos disciplines, nous avons besoin d’accompagnement humain : les guides pour les athlètes déficients visuels notamment en triathlon, les assistants pour la boccia…
Il y a un autre rôle qui me tient très à cœur hors JP : c’est le développement de la pratique sportive, à savoir l’accès à toutes les personnes en situation de handicap à une pratique physique ou sportive. Le sport santé, qui a été une cause nationale, doit être un projet de vie de chaque citoyen, il n’y a pas de raison que les personnes en situation de handicap en soient exemptes.
À l’image des Jeux Paralympiques, votre livre-témoignage, J’ai surmonté mon handicap comme un poisson en haute mer,est un message d’espoir pour les personnes en situation de handicap voulant pratiquer ou ne connaissant pas l’impact que peut créer le sport sur leur vie. Que souhaitiez-vous passer comme message?
Je voulais dire aux personnes victimes d’un accident, de la maladie ou qui ont un handicap de naissance, que la vie peut être très belle malgré tout et parfois même – au risque de choquer !– plus belle!
Je n’ai personnellement aucun regret sur ce qui m’est arrivé – ça se sent dans le livre quand je raconte mon enfance en centre où je n’ai pas du tout été malheureuse (la petite Guislaine passe notamment deux ans allongée sur un chariot plat, plâtrée de la poitrine aux pieds, avant de passer en fauteuil, Ndlr). Je crois même que j’ai eu de la chance d’avoir eu cet accident enfant, à 9 ans. Car un enfant s’adapte à tout, fait avec, il n’a pas le temps de se lamenter et ça le forge pour toute la vie !
Ça m’a créé un sacré tempérament, celui de savoir encaisser les coups.J’ai essayé d’élever mes enfants de cette façon-là, c’est le fait de ne pas s’attendrir sur son sort. Ma mère me disait :« Souris toujours, quoi qu’il arrive, car si tu fais la tête, c’est double peine, tu seras triste et les gens s’en iront ». Et elle avait raison !
À 9 ans à peine, on vous diagnostique la maladie des os de verre suite à une chute dans la cour de l’école, et pourtant vous gardez un regard optimiste sur la vie, vous vous battez tout de suite. Un exemple admirable, un mental de championne déjà. Vous dites, dans votre livre, que le sport, la natation en particulier, a étévotre« bouée de sauvetage ».
Le sport a été, pour moi, une planche de salut. Et pour de multiples raisons. Et c’est ça que je veux transmettre. En handisport, on a des valeurs qui sont : la singularité, l’accomplissement et l’autonomie. C’est-à-dire que lorsqu’une personne en situation de handicap vient dans un club handisport, la singularité, c’est que le club s’adapte au handicap, quel qu’il soit, et à la limite, il s’en moque de votre handicap dans le sens où on n’est pas là pour s’apitoyer, on est là pour vous faire faire du sport.
En club handisport, on parvient à exposer son corps, transformé, différent, bien amoché parfois parce que personne ne regarde, chacun a sa singularité. Les clubs handi agissent comme des sas de décompression pour les personnes en situation de handicap. Il y a aussi un accomplissement car on acquiert une estime de soi en faisant du sport. Oui, je peux nager, oui, je peuxfaire du tennis de table ou de l’athlétisme et je m’éclate à le faire !
Enfin, l’autonomie, c’est de permettre à la personne qui pratique parmi ses pairs de s’apercevoir de son champ des possibilités même dans sa vie quotidienne ou intime. En fauteuil par exemple, la personne va se rendre compte qu’elle peut faire son transfert seule pour aller au bord de la piscine. J’ai eu le témoignage d’une jeune femme en fauteuil très lourdement handicapée qui me disait que grâce à son club handisport, en étant parmi ses pairs, elle avait intégré qu’elle pourrait un jour avoir des enfants et se marier. C’était une nouvelle naissance pour elle.
Moi je me bats bec et ongles pour quetoutes les disciplines parasportives soient intégrées dans les clubs ordinaires, valides. Ceci dit, que les clubs handisports existent est un réel besoin car il faut laisser le choix à la personne de pratiquer parmi ses pairs, il ne faut pas lui imposer d’aller dans un club ordinaire où elle ne se sentira pas forcément à l’aise.
Votre mandat de Présidente de la Fédération se termine en décembre 2024, allez-vous vous représenter et avec quel souffle avez-vous repris le travail suite aux JOP ?
Je vais m’arrêter en décembre, mais je continue avec mon équipe à surfer sur la vague des Paralympiques et la médiatisation qui s’en est suivie.Les Jeux étaient une parenthèse enchantée, même si le travail ne s’est jamais arrêté. Nous avons attiré nombre de partenaires et sponsors qui ont été ébahis par les Jeux Paralympiques et qui ont envie de continuer l’aventure avec nous. Cet investissement nous sert pour le développement de la pratique sportive handisport hors haut-niveau pour lequel nous sommes très aidés.Il ne faut pas lâcher cet engouement !
*J’ai surmonté mon handicap comme un poisson en haute mer, Le Courrier du Livre, 14 août 2024
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