Cet après-midi, un équipage 100 % féminin, le Richard Mille Racing team, prendra le départ des 24 Heures du Mans en LMP2, catégorie réservée aux équipes privées. Peut-on y voir une démarche féministe ?
Je ne dirais pas ça. Le terme « féministe » peut parfois être synonyme d’extrémisme, je préfère parler de conviction.
Les femmes ne sont pas forcément meilleures que les hommes, mais si on leur en donne les moyens, elles ont tout autant de raisons de réussir qu’eux. Nous n’avons pas les mêmes atouts, mais nous en avons d’autres – la réflexion, la stratégie, à défaut de la puissance physique, nous permettent de démontrer que nous sommes tout aussi performantes.
Les femmes Richard Mille, ce sont ces femmes qui savent ce qu’elles veulent et ce qu’elles valent. L’idée est pour nous de les mettre en lumière.
Richard Mille s’est toujours intéressé à l’automobile, cette fois, il s’intéresse aux femmes dans l’automobile, pourquoi ?
Mon père est un passionné, s’il avait pu vivre dans une voiture, il l’aurait fait ! Il est président du comité Endurance de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA). Il s’est toujours dit que c’était fou qu’il n’y ait pas plus de femmes dans ce milieu, d’où son soutien à l’ancienne pilote Michèle Mouton qui, elle, est à la tête de la Commission FIA Women In Motorsport.
Cet univers encore machiste ne donne pas forcément toutes les chances aux femmes, ou alors des chances « de seconde zone » qui leur laisse peu d’occasions de démontrer leur art derrière un volant. Mon père s’est donc mis en tête de lancer un équipage 100 % féminin, mais avec les meilleures équipes techniques du moment : nos pilotes Sophia Floersch, Tatiana Calderón et Beitske Visser bénéficient du savoir-faire de l’équipe Signatech dirigée par Philippe Sinault, championne en titre de la catégorie LMP2 du WEC FIA.
Vous parlez d’univers machiste : les préjugés, les clichés, sont donc toujours aussi présents dans le sport automobile ?
Soyons honnêtes, les mentalités n’évoluent pas très vite ! Les rares femmes pilotes sont habituées à se battre pour se faire une place, elles ont souvent peur de se plaindre, de réclamer. Parce qu’on leur dit : « Tais-toi, ne me dis pas ce que je dois faire, tu ne sais pas de quoi tu parles. » En gros : « Ne fais pas ta fille ! », comprenez : « Tu as déjà de la chance d’être assise là ! ». Mais malgré ces phrases machistes, elles ont encore envie d’en être.
Pour autant, vous dites que ça leur demande beaucoup de travail…
Oui, ces femmes qui sont en place aujourd’hui doivent faire attention à leur image.
C’est triste, mais un jeune pilote qui se met torse nu sur les réseaux sociaux, on ne voit là qu’un beau jeune homme alors qu’une fille qui s’affiche trop « féminine » est tout de suite épinglée et peu prise au sérieux. Elles se donnent deux fois plus pour performer afin de ne pas coller aux clichés féminins.
Doivent-elles alors se comporter comme des hommes ?
Non, pas du tout. Et c’est ce que j’aime chez elles, elles restent des femmes. Certaines se maquillent lorsqu’elles courent, elles ont envie de demeurer fidèles à elles-mêmes. Pour autant, elles veulent prouver qu’elles ne sont pas des pilotes femmes mais des pilotes tout court.
Vos ambitions pour les 24 Heures du Mans, c’est juste lancer une équipe 100 % féminine ou faire en sorte qu’elle gagne ?
Elles ont énormément de potentiel pour réussir à finir la course, et si c’est le cas, on en sera déjà très fier.
Cette discipline demande beaucoup d’implication, de la concentration. Sur ce circuit, il y a beaucoup de trafic, entre les catégories LMP1, LMP2 et GT, c’est compliqué à gérer. Mais en tant que femme, on est capable de faire plusieurs choses à la fois, n’est-ce pas ? Donc on s’y retrouve !
Plus sérieusement, elles ont la gagne, et c’est satisfaisant de se dire qu’on innove, qu’on leur donne leur chance.
L’une de vos pilotes, Katherine Legge, a dû être remplacée pour cause de blessure. Au vu du nombre peu élevé de femmes pilotes, ça a dû être compliqué de trouver une remplaçante au pied levé !
Cela n’a pas été facile, effectivement ! Il y a eu des doutes. Il fallait trouver une pilote physiquement préparée pour l’endurance, une pilote qui n’avait pas d’obligations au moment de la course.
La sélection est cruciale et on est ravi d’avoir pu engager Beitske Visser qui accompagnera donc Sophia Floersch et Tatiana Calderón au volant de l’Oreca 07-Gibson, #50.
Elles seront les seules femmes sur le circuit en LMP2, et elles ont un peu la pression, nous n’allons pas le nier.
Pour autant, même si on leur offre ce tremplin, elles ont déjà gagné leur place car ce sont des pros.
Pensez-vous que cet équipage 100 % féminin inspirera les filles à se lancer dans le sport automobile ?
En étant pionnier, nous montrons que c’est possible. Avec l’espoir de prouver aux filles qui ont cette envie qu’elles ont raison d’y croire.
Mais il faut avoir du caractère pour vivre dans cet univers. Il me semble que c’est une histoire d’incompréhension entre les sexes, souvent lié à l’éducation.
Lorsqu’on élèvera une fille en lui ouvrant tous les champs des possibles et les garçons en leur disant qu’elles peuvent aussi être intéressées par les sports mécaniques et être performantes, les choses évolueront.
À quel moment, pourrez-vous dire chez Richard Mille que votre mission de féminisation sur les circuits est terminée ?
Lorsqu’on aura des circuits mixtes. Ce n’est pas une question de pourcentage, de 50/50, mais de réelles opportunités offertes aux femmes de concourir.
Nous écrivons une histoire, nous ne sommes pas là pour faire un one shot. Nous sommes le seul partenaire sponsor de ce véhicule et nous sommes ambitieux sur le sujet.
Donc, ce sera terminé lorsque les femmes qui veulent devenir pilote pourront le faire sans obstacles et, c’est le cas de le dire, sans bâtons dans les roues.
- Ouverture : Sophia Flörsch, ©Francois Flamand/DPPI
Sur le circuit… 3 drôles de dames
Elles s’appellent Tatiana Calderón, Sophia Flörsch et Beitske Visse. La première est Colombienne, la deuxième Allemande, la troisième Néerlandaise.
Elles sont toutes les trois sur la grille de départ des 24 Heures du Mans et signent ainsi une première : un équipage 100 % féminin en LMP2, une catégorie de voitures de compétition de la famille des sports prototypes, soit les voitures les plus rapides sur circuit. Inédit !
À 27 ans, Tatiana Calderón s’y connait en premières fois : première pilote féminine à avoir remporté un titre de champion national dans son pays, première à rafler le même titre aux États-Unis, en karting, première à mener une course lors du championnat d’Europe de Formule 3, première pilote féminine de l’écurie britannique Arden International pour courir en GP3 Séries, première femme à monter sur le podium en Formule V8 3.5 Series…
Sophia Flörsch est, elle, une résiliente. En 2018, la pilote de 19 ans était victime d’un grave accident au Grand Prix de Macao, se fracturant une vertèbre. Quatre mois après son accident, elle remontait dans une monoplace et enchaînait les tours sur le circuit de Monza.
En février dernier, soit deux ans plus tard, elle recevait le Prix Laureus du meilleur come-back de l’année. Welcome dans les paddocks, Sophia !
Enfin, Beitske Visse, 25 ans au compteur, remplace Katherine Legge, blessée.
Elle s’est d’abord fait remarquer en karting (elle a recu le premier CIK-FIA Women and Motor Sport Commission Award, qui récompense la meilleure pilote féminine de Karting) puis en GT, remportant les WSK Masters Séries, avant de faire ses débuts, en 2012, en monoplace.
Elle s’est illustrée dans de nombreuses séries, en ADAC Formel Masters, Formule Renault 3.5 Series, GP3 Series, en GT4 et elle est vice-championne en titre de la W Series.
Bref, un trio gagnant pour mettre le feu à la piste qui roulera aussi pour donner de la visibilité à l’Institut du Cerveau. Son logo sera en effet en bonne place sur la voiture, à côté de celui de Richard Mille…
A noter, qu’outre cet équipage Calderón-Flörsch-Visser sur l’Oreca 07 #50 du Richard Mille Racing Team qui s’aligne en LMP2, un autre trio prendra la route : l’italienne Manuela Gostner, la Danoise Michelle Gatting et la Suissesse Rahel Frey sur la Ferrari 488 GTE EVO #85 d’Iron Lynx, en LM GTE Am (réservé aux amateurs).
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