Tu as seulement 16 ans et tu viens de disputer ton troisième Championnat du monde de hockey-sur-glace avec l’équipe de France U18 féminine. Comment ça s’est passé ?
On a eu trois-quatre jours de préparation en Autriche et puis ça a été direction la Hongrie, à Budapest, du 5 au 11 janvier 2025. Lors de mon premier championnat, on avait fini troisièmes puis cinquièmes l’an dernier et là on visait l’or… mais on est arrivées cinquièmes. On pensait faire beaucoup mieux : on avait quand même gagné tous nos matchs de la saison ! On n’a pas eu de chance à ce championnat parce qu’on a vraiment joué notre jeu, mais les équipes adverses étaient très fortes, notamment la Hongrie qui est devenue Championne du monde.
Même si on est forcément déçues, on en a conclu que ce n’était pas si mal parce qu’on s’est maintenues en D1A. Ce qui permettra, l’an prochain, d’essayer d’aller chercher une médaille dans cette même poule. Et puis, c’est la première fois que l’équipe reste quatre ans dans la même poule, donc les entraîneurs nous ont dit que c’était bien. On est maintenant la treizième nation mondiale !
De mon côté, je suis plutôt contente de moi parce que j’ai réussi à jouer et à m’investir tout en étant blessée à l’épaule. Ce dont je me souviendrais longtemps ? Notre très belle victoire contre les Allemandes : on perdait 2-0 au début et on a gagné 4-3 !
©Equipes de France de hockey
Tu vis loin de tes proches , c’est compliqué pour toi ?
Je suis originaire de Haute-Savoie et je m’entraîne au Pôle France Féminin, qui est situé à Cergy. J’y suis entrée l’an dernier quand j’étais en seconde, suite à des sélections. Et j’y resterai jusqu’en terminale. C’est vrai que je suis loin de mes proches, j’ai donc profité des fêtes de fin d’année pour faire une pause et les voir, ça faisait trois mois que je n’y étais pas retourné.
Comment tout a commencé pour toi ? Pourquoi ce sport confidentiel plutôt que le ski par exemple, auquel on pense illico pour une haute-savoyarde ?
Bien sûr, j’ai été sur les skis dès l’âge de 2 ans ! Je viens d’une famille de sportifs. Donc, le sport, eh bien, il fallait en faire absolument ! J’en ai pratiqué beaucoup : un an de basket, un an de judo, cinq ans de triathlon. Tout ça jusqu’à mes 7 ans. Et puis, le hockey-sur-glace est arrivé un peu par hasard sur mon chemin. J’ai découvert ce sport pendant la fête de mon école : un ami de mes parents, qui était dans le club de D1 Mont-Blanc, animait un stand autour du hockey-sur-glace. Ça m’a donné envie d’essayer.
J’ai tout de suite adoré. Alors, mes parents m’ont inscrite en club à Saint-Gervais, ma ville d’origine. Notamment pendant mes années collège, j’ai été au HC 74 (entente des clubs de hockey sur glace de Chamonix, Megève, Morzine et St Gervais, ndlr).
Qu’est-ce qui a fait que tu as tout de suite adoré : la discipline qui se joue sur patinoire, le sport en lui-même ?
La première chose qui m’a motivée, c’est le fait que le hockey-sur-glace est un sport d’équipe. Mais c’était aussi parce qu’il était peu connu, et ça, ça m’intriguait. C’est pour ça que j’ai voulu entrer dans le game. Les trois premières années, c’est génial, parce que tu découvres tout : on apprend à savoir patiner, à savoir tenir sa crosse correctement, à shooter, à faire des passes, à faire de la marche avant, des virages, de la marche arrière et aussi à freiner. Ce qui est très difficile au début ! Quand tu progresses, ça donne envie de rester sur le terrain. Moi, c’est vrai que j’ai appris tout ça super vite.
Tu débutes très jeune sur la glace, vers l’âge de 7 ans. As-tu été rapidement repérée comme étant une joueuse prometteuse ?
Je ne sais pas, mais en tout cas, on m’a sélectionnée dès l’âge de 9 ans pour participer à des stages. À cette époque-là, je jouais en mixte, avec des garçons.
Et ça se passait comment ? Parce que c’est un sport encore majoritairement masculin aujourd’hui…
Ça dépend. Moi, la chance que j’ai eue, c’est que lorsque j’ai commencé, je n’étais pas la seule fille. On était deux dans l’équipe, ça nous a aidées à nous intégrer. Au collège, j’occupais mon meilleur poste au sein de l’équipe. Donc, tout allait bien ! Mais c’est vrai qu’en général les filles ne sont pas forcément bien accueillies dans ce sport parce que c’est un sport de contacts. J’ai souvent entendu les pères des garçons de l’équipe dire que les filles ne devaient pas pratiquer ce sport parce qu’il était violent. Ce genre de commentaires, quoi.
Ça castagne vraiment sur le terrain ?
En fait, il y a toute une partie dans le jeu où il faut mettre de l’impact sur la glace, comme on dit. C’est une manière de montrer à l’adversaire qu’on est là. D’ailleurs, quand on va sur la glace, on dit qu’on va à la guerre ! Parce qu’on sait qu’on va avoir mal. On va devoir rester devant la cage, là où l’adversaire va vouloir nous pousser. On se prend facilement des crosses dans le dos, par exemple. On est protégées de partout mais on peut se prendre la balustrade dans la tête aussi. Il y a beaucoup de commotions dans notre sport.
Moi, j’ai toujours dit aux garçons « Je m’en fiche, vous pouvez y aller ! ». Il n’y avait pas de différences quand j’étais plus jeune et pas de différences de niveau non plus, je trouvais ça très bien ! Mais, en grandissant, les choses changent, forcément. Ils ont leur croissance et toi, en tant que fille, tu vois la différence.
Avec ça en tête, tu n’as jamais eu peur de revenir sur la patinoire ?
Je crois que c’est ce que j’aime, le fait de vraiment se donner, de tout donner pour son sport. Il faut assurer sur la partie stratégique et sur la partie physique, ne pas avoir peur de faire des sacrifices. L‘engagement que tu mets sur la glace, je trouve ça important. Ce qui fait partie de cette intention pour moi, c’est bien-sûr l’engagement physique en ayant de la vitesse. Mon point fort, c’est un bon cardio et en plus, j’aime vraiment ça patiner. Donc je glisse à 100 %, voire à 150 % sur la glace.
Et puis, il y a aussi l’engagement stratégique : parfois, on doit s’interposer entre le palet de l’adversaire et notre cage, histoire de prendre le palet sur nous et éviter l’inscription d’un but pour l’équipe adverse. Le truc, c’est que notre cerveau n’a pas l’habitude de laisser faire ce genre de choses donc il faut gérer le mental. Moi, j’aime beaucoup faire ça, mais bon, ça vole et ça va hyper vite un palet, donc ça fait mal !
Tu es une vraie warrior qui descend au combat dans l’arène en fait… Quels sont tes autres points forts pour ce jeu ?
Je dirais : ma vitesse sur la glace. Les filles me disent tout le temps que je suis la plus rapide dans l’équipe. J’aime prendre de la vitesse pour aller à la cage, j’aime créer des chances de marquer pour mon équipe, c’est mon truc, j’adore ça ! Aujourd’hui, je suis au poste d’attaquante au centre et leader. On est 22 filles dans l’équipe et 5 sont sélectionnées pour « leader » : la capitaine, les deux assistantes et deux autres dont je fais partie.
Comment tu te sens intérieurement quand tu fonces pour un match ?
Je ressens un plaisir fou et énormément d’émotions parce qu’il faut savoir que dans un match de hockey-sur-glace, il y a sans cesse des hauts et des bas, même à l’entraînement. C’est ce bouquet d’émotions que je recherche aussi un peu je pense.
Tu pourrais nous faire entrer dans un match de hockey-sur-glace qu’on puisse vivre ces montagnes russes par procuration ?
L’un des matchs qui a été le plus important pour moi, c’était cette année, le Tournoi des 4 Nations Féminin. Il y avait donc 4 équipes. On a disputé trois matchs en cinq jours. Pour notre deuxième match, on tombe contre la Hongrie, une équipe de notre niveau mais qui se trouve être très forte en duels. Au bout d’à peine dix minutes, on se prend un but. On comprend que ça ne va pas être une partie de plaisir et c‘est dur de se re-mobiliser. C’est ce qu’on appelle un temps faible : on n’avait pas forcément trop le palet, on était beaucoup dans notre zone, on défendait énormément, on perdait nos duels… Bref, c’était difficile de rebondir face à de telles situations.
Pourtant, on y parvient enfin, on marque un but en deuxième période. Je ne sais plus si c’est celui-ci que je marque ou un autre mais je marque un but dans le match ! Les Hongroises remarquent un but. On est à 2-1 pour elles. On se dit qu’on est à nouveau en temps faible. Finalement, on marque à nouveau. Et c’est les prolongations. Mon entraîneur me dit : « Clémence, tu y vas ». Donc je commence à faire le 3 contre 3. J‘ai deux occasions de marquer et je rate mon tir les deux fois. Et là, je me dis « Mais non, c’est pas possible, t’as pas le droit ». Du coup, après, quand je remonte sur la glace, je marque ! C’était trop cool. Le meilleur match de ma vie.
Tu as l’air d’avoir une tête bien faite. Tu gères comment ton mental ?
Au Pôle France, on a un coach mental, mais c’est tout nouveau. Mais sinon, on ne travaille pas forcément cette partie-là surtout quand on est jeune. Mais je dirais que je travaille mon mental tous les jours, en fait, quand je suis face à des épreuves en entraînements ou en match ou même face aux autres. On est vingt-deux dans l’équipe donc si mentalement t’es pas ouf, tu auras du mal à être dans le groupe. C’est au fil des années et en habitant avec les filles que le mental se forge. D’ailleurs, l’équipe est vraiment devenue ma famille !
Tu as une routine good vibes d’avant match ?
J’ai toute une routine, oui, qui me met en confiance : j’écoute de la musique, je parle souvent avec les filles pour décompresser, je m’équipe toujours dans le même ordre – ça, c’est vraiment mon petit truc – et quand j’ai mis mon maillot, je regarde le ciel, je pense à mon papi là-haut, et c’est parti… Parce qu’on se met pas mal la pression quand on est jeune. Je me souviens de mon premier match : avant de monter sur la glace, j’avais les mains qui tremblaient.
C’est quoi ton projet, après la fin du Pôle France ?
Après ma terminale, je veux partir à l’étranger. Et puis aussi, le but, c’est d’intégrer l’Équipe de France. Mais c’est en bonne voie parce que j’ai commencé à avoir mes premières convocations en senior, en tant que remplaçante. Mon but, c’est d’aider l’Équipe de France féminine à se montrer au monde. On n’est pas du tout connue comme équipe à l’international. On doit être 13e mondial. Et on n’a jamais fait les JO, par exemple. Pour toutes les filles qui sont avec moi en U18, c’est un peu notre but.
D’ailleurs, tu as fait les JO de la Jeunesse à Gangwon, en Corée du Sud, du 19 janvier au 1er février 2024, en U16…
Je ne savais même pas que ça existait. Et j’étais sur la liste des joueuses sélectionnées. J’ai fait « OK, super ! » J‘ai eu énormément de chance, parce qu’ils prenaient les 2008 et 2009. Je suis de 2008 donc, c’est bien tombé. Super !
Ça a été une super découverte. C’était impressionnant de voir toutes les nations réunies au même endroit, c’était incroyable. Ça m’a donné encore plus envie d’aller aux Jeux Olympiques. Je crois que c’était une de mes plus belles expériences avec mon sport. On a perdu nos trois matchs mais ce n’était pas le plus important. Ce n’était pas le but ultime. On voulait déjà en retirer une expérience. Car c’était tellement nouveau !
Quels apprentissages en as-tu retiré ?
J’ai vu qu’il nous restait encore énormément à faire en tant qu’équipe de France pour pouvoir accrocher les meilleurs au monde. Elles sont super fortes par rapport à nous. Les Canadiennes, les Américaines, mais aussi les Slovaques, les Finlandaises, les Suédoises… tous les pays nordiques en fait.
Si tu devais te retourner sur ton jeune parcours, tu dirais que le hockey-sur-glace t’a apporté quoi ?
Je me suis réellement construite autour du sport. C’est toute ma vie. Je ne sais pas ce que je ferais sans le sport. J’adore la notion de partage que véhicule ce sport collectif. J’ai vécu des moments fabuleux grâce au hockey-sur-glace, rencontré tellement de personnes et déjà beaucoup voyagé pour mon jeune âge.
Mon rêve ultime est de participer aux JO avec mon sport et de vivre de mon sport ! Ce n’est pas impossible, mais en France c’est très difficile. Pour ça, il faut que j’intègre une équipe au Canada, aux États-Unis ou en Suisse. Ma priorité, c’est le hockey, mais sinon je m’orienterais vers le métier de kinésithérapeute.
- Le palmarès de Clémence Boudin : 2022 – 5e au World select en U14 – 5e à l’European Cup en U16, 2023 – 3e aux Championnats du monde D1A en U18 – 4e à l’European cup enU16 – Vice-Championne de France avec le Club HC74 enU15, 2024 – 5e aux Championnats du monde D1A en U18 – 5e aux JOJ en U16 – 5e à l’European cup en U16 – 1ère aux Tournoi des 4 nations en U18.