En ce dernier samedi de juillet sur le Tour de France Femmes, le ciel capricieux des Pyrénées n’aura pas altéré la liesse populaire de prendre forme le long des flancs verdoyants, de celui que l’on nomme le Juge de Paix. Sur les pentes du Tourmalet, la bonne humeur criée en soufflet par ces hommes et ces femmes harmonieusement rangés le long de la route, renvoyaient à nos cœurs la douce chaleur de l’été.
Teintée de brouillard, dans une ambiance mystique, la transhumance du peloton s’est poursuivie sur les terres Occitanes. De Lannemazan, au sommet du Tourmalet, l’intrigue de ce deuxième Tour de France Femmes 2023 s’est dénouée pour voir apparaître la très probable future vainqueure du Tour, Demi Vollering qui s’imposa aujourd’hui, « avec une écrasante facilité », écriraient les commentateurs sportifs.
Le long héritage de ce col mythique nous rappelle à l’héroïsme, tour à tour héros misérables ou héroïques, des cyclistes qui se sont adjugés ses pentes. Certains disent que la montagne rend aux Hommes leur liberté. Il est vrai qu’aux bonheurs durement acquis dans les travers de la pente, la sincérité du chemin nous laisse souvent à penser que tout devient possible une fois arrivé au sommet.
J’en ai moi-même gravi quelques-uns de sommets, pourtant alors que j’écris ces lignes, je sens la fragilité de ma plume face à la rugosité de la montagne. La condition de coureuse à bicyclette à ça de commun à l’écriture qu’elle affiche au premier abord une étrangère simplicité. Pourtant c’est quand la pente s’accentue que la complexité trouve sa forme.
On entendra par moments à l’attention de ceux qui écrivent « vous autres vous savez trouver les mots » à celles qui pédalent « vous autres grimpez comme des cabris ». Mais n’est-ce pas là la plus belle des impostures de faire croire à l’observateur que le geste est simple, aisé et instinctif ? Les visages impassibles de ces athlètes nous laissent souvent seuls face à nos imaginaires pour entrevoir les portes de l’effort et c’est alors que le couperet de « l’écrasante facilité » tombe.
Derrière les masques de la kermesse cycliste, balayés par les brumes, la solitude de l’effort rugit aux oreilles de toutes. Mêlées de doutes, d’espoirs, d’états d’âme et de convictions, les lames de ces discours intérieurs ventilent des mots en pagaille :
« Encore, encore. Tu peux le faire. Pense à ceux que tu aimes, ceux qui te soutiennent. C’est ok d’avoir mal. Tu as le droit d’avoir mal, tu as le droit de vouloir abandonner. Tu es humaine après tout. Qu’ils sont beaux leurs sourires. C’est incroyable tous ces gens amassés pour nous voir. Reste concentrée. J’ai mal aux fesses, j’ai mal aux jambes. J’ai le cœur en feu. Quelle poésie ce temps en purée de pois. Je vais y arriver. Je sais pourquoi je suis là. Je suis ce que je fais et je fais ce que je suis. Vivement le petit canon de ce soir. À quoi joue-t-elle ? Elle bluffe. Je vais la faire sauter. 250 watts ce n’est pas sorcier, tu l’as fait à l’entraînement. Qu’il va être bon ce massage. Reste concentrée. Plus que trois virages, tu les connais. Rappelle-toi du soleil d’été. Ce n’est que de la pluie. Demain tout sera fini. »