Tu fais du roller depuis que tu as 4 ans, mais, à la base, c’était plutôt le patinage artistique qui t’attirait. Pourquoi avoir choisi le roller finalement ?
Tout simplement parce que la patinoire était trop loin de chez mes parents ! On habite dans la campagne bordelaise et le club de patinage était dans le centre-ville. Autant de trajet pour du baby patinage, ça n’a pas emballé mes parents.
Pour le roller, c’était plus pratique, il y avait un club à cinq-cents mètres de notre maison.
Est-ce que tu te souviens de tes premiers pas dans la discipline, c’était au sein d’un club de roller ? Comment ça s’est passé ?
Ça me semble déjà très loin, mais je peux faire le parallèle avec les jeunes que j’entraîne aujourd’hui. Les débutants vont d’abord à l’école de patinage, pour apprendre les bases. C’est aussi ce que j’ai fait quand j’ai commencé. On a appris l’équilibre sur les rollers, comment se retourner, freiner, tourner…
Ensuite, mon club étant spécialisé dans le freestyle, j’ai vite intégré la section loisir freestyle pour me former à cette discipline. La section compétition a rapidement suivi.
C’est en roller freestyle que tu performes aujourd’hui et particulièrement dans les catégories enchaînement en musique et vitesse. À quel moment ces deux spécialités t’ont plus attirée que les autres ?
Quand j’ai commencé, j’ai touché à tout. Ces deux catégories en effet, mais aussi le saut, les figures et tout le reste. Mais c’est en vitesse et en enchaînement en musique que j’ai le plus vite progressé.
Je voulais faire du patinage, je faisais de la danse aussi à ce moment-là, donc retrouver ce côté artistique en roller m’a tout de suite plu.
Pour la vitesse, je performais et j’aime aussi ce côté plus bourrin, quand on prend de la vitesse, qu’il y a de l’adrénaline… C’est venu assez naturellement, avec les coachs aussi qui ont repéré mes facilités dans ces épreuves.
Tu as rapidement senti que tu pouvais viser le haut-niveau en roller ?
Oui, quand j’étais en sixième, grâce à un coach, Yohan Fort, multiple champion du monde. On peut dire qu’il a un peu changé ma vie. Il a vu en moi un potentiel et il a choisi de m’entraîner en cours particuliers, en plus des entraînements en groupe.
Il pensait que j’avais les qualités pour aller très loin et c’est grâce à lui que j’ai progressé et que j’ai fait mes premiers pas dans le haut-niveau.
Tu as donc fait davantage d’entraînements, comment se sont passés les cours ? Tu as intégré des sections sportives ?
Pas du tout ! En fait, la salle de roller était juste à côté de mon collège, donc j’y allais trois fois par semaine.
Quand je m’entraînais avec Yohan Fort, c’était plutôt à l’extérieur, mon père faisait les trajets et travaillait même à distance pour pouvoir m’emmener. On a toujours trouvé les moyens de s’entraîner après les cours.
À cette époque, quand tu expliquais à tes camarades que tu faisais du roller, quelles étaient leurs réactions ?
En général, les gens rigolaient. Ça continue même encore aujourd’hui ! Pour eux, le roller c’est la balade du dimanche, c’est le sport que l’on pratique petit et qu’on arrête après.
En revanche, quand on me demande en quoi ça consiste, que je montre des vidéos, que j’explique que je suis parmi les meilleures mondiales, les gens me prennent davantage au sérieux. Mais le premier réflexe, c’est de rigoler.
Ce jugement extérieur, le fait qu’on ne te prenne pas au sérieux, ça t’a touchée ?
Au début un peu, mais maintenant, ça va. Quand j’ai rencontré mon copain, au début il s’est moqué de moi lui aussi, il a rigolé. Mais quand il a vu que j’étais top 4 mondial, il a vite pris tout ça plus au sérieux, il est même venu assister à mes entraînements.
Mais je trouve quand même dommage de devoir justifier par des résultats que le roller est bien un sport.
C’est souvent le lot des disciplines peu médiatisées. Pour autant, tu t’impliques sur les réseaux, tu fais partie de l’Agence des Influenceurs, tu as près de 15 000 abonnés sur Instagram, est-ce que c’est pour mettre en avant le roller que tu t’es lancée à fond dans sa promotion ?
Pas du tout ! C’est venu comme ça. Mon papa travaille dans la communication, il a l’habitude de faire de la photo. Et puis, j’ai eu mon premier sponsor rapidement, à 14 ans, donc il fallait prendre des photos.
Ça me faisait plaisir de poster régulièrement et puis, ça s’est finalement transformé en une mini-entreprise. Je mets en avant du contenu sur mon sport, je montre ce que je fais et ce qu’est vraiment le roller.
J’ai des messages positifs, les gens qui vont voir mon Insta comprennent ce qu’est le roller freestyle.
Aujourd’hui, tu fais des études en communication digitale, comment est-ce que tu arrives à mener de front tes cours et le roller avec, parfois, des compétitions à l’étranger ?
Je ne dors pas beaucoup ! C’est compliqué, surtout que les horaires de mes cours ne sont pas modulables. Mais mon école est assez compréhensive.
D’autant que, maintenant, le roller est reconnu comme sport de haut-niveau et que je suis sur les listes ministérielles. J‘ai alors droit à quelques modifications dans mon emploi du temps, je rattrape les cours que je loupe.
Pareil au niveau du travail. Je suis alternante, donc je m’adapte et mon entreprise fait également des efforts. Tant que mon travail est fait, je peux partir un peu plus tôt par exemple. Et quand j’ai des compétitions, je prends mes congés à ces moments-là.
Quels ont été tes premiers gros résultats en roller freestyle ?
La première compétition internationale à laquelle j’ai participé, j’ai fait un podium. Je m’étais un peu mis la pression mais c’était quand même une surprise. J’avais 14 ou 15 ans et c’était mon premier résultat à l’international.
Ça s’est bien enchaîné après, durant mes années en troisième, seconde et première, donc en catégorie junior, j’étais vraiment au top de ma forme.
Ces bons résultats, est-ce qu’ils t’ont permis d’évoluer dans le roller ? Est-ce qu’il y a des sélections nationales, des stages… ?
Alors oui, on a des sélections en équipe de France, on a des stages de préparation… Il faut rentrer dans des critères particuliers en compétition pour être sélectionné, que ce soit en catégorie espoir ou élite.
Pour ma part, j’ai été sélectionnée trois fois quand j’étais junior, puis ensuite plusieurs fois en senior.
Aujourd’hui, comment se passe une saison de roller freestyle pour toi ? A quelles compét‘ tu participes, où et quand…
Une saison commence en mars, avec des compétitions test. C’est le moment de mettre en place tout ce que l’on a travaillé à l’entraînement depuis décembre, pendant la préparation hivernale. Jusqu’en avril/mai, on fait ces compétitions test, pour arriver au top de notre forme en juin et les Championnats de France.
Ensuite, si on fait d’assez bons résultats aux Championnats de France et qu’on est donc sélectionné, toutes les compétitions internationales se déroulent entre juin et août.
Après tout ça, on fait une pause estivale fin août pour ne pas péter un plomb ! On reprend ensuite pour préparer les Championnats du Monde et les Championnats d’Europe en novembre et décembre.
On l’a dit, tu es spécialiste dans les épreuves d’enchaînement en musique et de vitesse, comment ces deux spécialités se déroulent en compétition ?
Pour la vitesse, on a douze mètres d’élan puis on doit faire un slalom entre vingt plots espacés de quatre-vingts centimètres. En général, on est seize à passer à la suite. Les huit meilleurs temps sont qualifiés et le reste de la compét’ se fait avec des un contre un, jusqu’à la finale.
Pour l’enchaînement en musique, il y a un jury qui va noter la technique, l’artistique, les pénalités… On fait un passage de deux minutes pendant lequel on doit faire huit à onze figures et obligatoirement slalomer sur trois lignes.
Enfin, il y a une chorégraphie qui se rajoute à tout ça.
Ces spécialités sont assez éloignées l’une de l’autre. Pourquoi c’est important pour toi de continuer à faire les deux ?
C’est important pour mon équilibre. Dans le roller freestyle, certains ne vont faire qu’une discipline, d’autres cinq… Chacun doit trouver son propre équilibre.
Pour moi, l’artistique est très important. J’ai énormément d’enjeux en vitesse, c’est la discipline reine du roller freestyle, mes gros objectifs sont dans cette épreuve. Mais si je n’ai rien d’autre en parallèle, je vais trop stresser par rapport à la vitesse.
L’enchaînement en musique m’apporte cet équilibre et beaucoup de plaisir également.
Tu as déjà un sacré palmarès, top 4 mondial, championne de France, médaillée européenne… Lequel de tes résultats a été le plus marquant pour toi ?
Ma victoire aux Championnats de France de 2019. Même si ce n’est pas une compétition internationale, je n’avais encore jamais gagné en vitesse de ma vie à ces championnats nationaux.
Quand j’ai gagné, c’était incroyable parce que j’avais toujours été devancée par la championne du monde de l’époque. Et puis, j’ai un beau souvenir de cette victoire parce que mon papa a pleuré.
Comment ça se passe lors d’une compétition internationale comme une Coupe du Monde ? Est-ce que tu as beaucoup de concurrentes, quels pays sont les plus présents…
La concurrence est particulièrement forte en Asie, en Russie, en Italie et en Espagne. Ce sont les nations les plus fortes avec la France.
En Coupe du Monde de vitesse, on va être vingt-cinq concurrentes. On était davantage les années précédentes mais, comme pour d’autres sports, les Russes ne peuvent plus concourir.
Il y a beaucoup d’Italiennes et d’Espagnoles. Aux championnats d’Europe, ça se jouait vraiment entre ces deux pays et la France.
Ça commence à faire pas mal de temps que tu es dans le roller freestyle. Est-ce que tu as senti, ces dernières années, un changement dans la discipline avec plus de licenciés, plus de visibilité ?
Complétement. Déjà de mon côté, j’ai beaucoup de gens qui m’écrivent par message pour me remercier de leur donner envie de faire du roller. Je leur donne aussi quelques conseils pour commencer.
La série argentine « Soy Luna » a également donné envie à pas mal de jeunes de commencer le roller. Je le vois d’autant plus que j’entraîne dans une école de patinage. Aujourd’hui, je donne des cours à vingt patineurs, c’est énorme !
Les réseaux sociaux et les médias qui montrent plus de roller, freestyle ou non, aident aussi à sa visibilité. Que ce soit sur Insta ou les autres réseaux, beaucoup de patineurs parlent du roller et incitent les gens à essayer.
Récemment, on a vu par exemple le BMX aux derniers championnats sportifs européens, on le verra aussi aux JO de Paris 2024… Est-ce que le roller peut espérer suivre une trajectoire similaire et devenir potentiellement un sport olympique ?
Ça serait incroyable, mais je pense qu’avant que le roller soit olympique, j’aurai trois enfants ! Déjà que le skate soit aux JO, c’est une énorme avancée pour notre fédération.
D’autres disciplines intégreront avant nous les JO, car elles sont plus médiatisées et mieux préparées à ça.
Le roller en est donc encore à ses débuts, qu’est-ce qui pourrait accélérer le développement de ta discipline pour qu’elle puisse par la suite tendre vers de plus gros objectifs ?
De l’argent. On a peu de budget. On a déjà passé un grand cap en intégrant les listes ministérielles, les concurrents en vitesse sont désormais considérés comme athlètes de haut-niveau. C’est un grand pas pour cette discipline du roller freestyle.
On commence aussi à avoir quelques aménagements, des suivis médicaux, des stages… Pour les athlètes, ça fait beaucoup de bien !
Mais pour aller encore plus loin, il faut plus d’argent. Et pour plus de budget, il faut plus de licenciés et plus de médailles.
En France, comment est l’ambiance dans le milieu du roller ? Familiale ?
C’est vraiment comme une famille, que ce soit en France ou à l’étranger. On se connaît tous depuis des années, on a grandi ensemble. Il y a de la concurrence, mais uniquement sur le terrain.
Par exemple, on est trois Françaises en vitesse et, forcément, on se tire la bourre en compétition. Mais en dehors de ça, c’est l’amitié qui domine. Pareil en équipe de France, on est très soudés, on se retrouve à chaque compét‘, on intègre les nouveaux…
Le roller semble encore un sport majoritairement pratiqué par les hommes…
Oui, il n’y a pas photo. On est trois filles en équipe de France en vitesse contre beaucoup plus de garçons ! Mes groupes d’entraînements ont toujours été majoritairement composés de garçons.
Est-ce que tu as été confrontée à des a priori, des remarques sexistes ?
J’ai reçu des réflexions, mais l’ambiance familiale a toujours dominé. Toutefois, c’est vrai que sur les réseaux sociaux, j’ai vu des messages du genre « T’as un corps d’homme », ou « Le freestyle, c’est pour les garçons », d’autres trucs comme ça…
Ce sont des gens qui ne comprennent rien au sport. Mais les trois-quarts du temps, il n’y a pas de problème.
De ton côté, en plus de ton investissement sur Instagram et en tant qu’athlète, tu entraînes des jeunes, tu as aussi passé ton diplôme pour être juré… Qu’est-ce qui te motive à cumuler autant d’engagements ?
J’aime ça, je le fais par passion. Je sais que ma carrière d’athlète ne va pas être éternelle, mais j’ai tout de même envie de garder un pied dans le roller toute ma vie, donc c’est pour ça aussi que je fais d’autres choses dans la discipline.
J’adore partager ma passion, donc quoi de mieux que de coacher ?
Coacher, c’est comme ça que tu imagines ton avenir dans le roller ? Tu veux faire quoi si ce n’est pas forcément en tant qu’athlète ?
Je n’y ai pas encore réellement réfléchi. Je me laisse deux à trois ans pour voir où j’en suis côté performances. Je pense avoir encore une belle marge de progression.
Après ça, j’arrêterai peut-être le haut niveau pour entraîner davantage. Mais il suffit que je fasse prochainement une médaille internationale pour que je décide de continuer la compétition cinq ans de plus !
Mais une chose est sûre, je n’arrêterai jamais le sport, et encore moins le roller.
Qu’est-ce que tu vises comme gros résultats prochainement ?
Un podium aux Championnats du monde. C’est le premier objectif dans les deux ans à venir. Pareil en Coupe du Monde, pourquoi pas aller chercher un podium ?
Mais le principal, ça reste de prendre du plaisir à patiner, rendre fiers mes coachs et être fière aussi de ce que je fais.
Si tu devais résumer : qu’est-ce que t’apporte le roller aujourd’hui ?
Un équilibre. J’ai grandi avec le roller, ça fait partie de mon mode de vie au quotidien. Dans la vie de tous les jours, je n’ai pas forcément très confiance en moi, mais quand je monte sur des rollers, c’est comme ma maison, c’est mon refuge, c’est là où je me sens le mieux.
Le roller fait partie de moi, c’est ma moitié.