Au stade olympique de Los Angeles, l’atmosphère est électrique en cette chaude fin d’après-midi estivale. Tous les regards sont tournés vers le départ du 400 mètres haies féminin, une épreuve inscrite pour la première fois aux Jeux olympiques. Nawal Al-Moutawakel, 22 ans, se tient sur la ligne de départ de la finale. Elle est sur le point de changer le cours de l’histoire du sport féminin et celui de son pays, le Maroc.
Sur la ligne 3, une silhouette menue attire l’attention. Vêtue d’un short rouge et d’un maillot vert, Nawal El Moutawakel, originaire de Casablanca, porte le dossard 272. À sa droite, dans le couloir 8, l’Américaine Judi Brown, grande favorite de la course, lui jette un regard. Rien de bien méchant, les deux coureuses sont copines depuis que Nawal a quitté Casablanca pour poursuivre ses études à l’université de l’Iowa. « On s’est souhaité bonne chance », se rappelle la Marocaine. Copines, oui, mais cette course-là est importante, la concurrence demeure : « On était de bonnes amies en dehors de la piste. Mais pas pour cette course. »
Sous le soleil éclatant de la Californie, Nawal Al-Moutawakel ressent le poids de l’attente. Tout un pays compte sur elle pour briller, elle est la seule femme de la délégation marocaine. Les spectateurs du Memorial Coliseum ne la connaissent pas vraiment et elle est déterminée à prouver sa valeur. Malgré la chaleur écrasante et l’humidité ambiante, elle se concentre sur sa course, visualisant chaque mouvement, chaque obstacle à franchir.
Depuis des mois, Nawal s’entraîne dur à l’université de l’Iowa, travaillant sans relâche sur sa technique et sa vitesse. Ses progrès sont visibles et elle se sent prête à rivaliser avec les autres athlètes sur la piste. Grâce à ses performances en constante amélioration, elle sait qu’elle a une véritable chance de remporter la médaille d’or.
À l’appel du speaker, les athlètes rejoignent les starting-blocks. Nawal El Moutawakel pense-t-elle à son père disparu dans un accident de voiture quelques mois plus tôt ? Sa présence sur cette piste, c’est aussi à lui qu’elle le doit. Ce père aimant, ex-judoka, l’a encouragée à devenir une athlète d’exception et elle confiera après l’épreuve : « Je voulais courir par amour pour la course et aussi pour mes parents, mon père qui m’avait toujours poussée et motivée. »
Un faux départ perturbe brièvement la course, mais Nawal El Moutawakel reste concentrée. Au signal du deuxième départ, elle s’élance avec détermination, franchissant les haies avec une aisance remarquable. À quelques mètres de la ligne d’arrivée, elle réalise qu’elle a pris une avance considérable sur ses adversaires. La Marocaine termine la course en 54’’61 et décroche la médaille d’or.
Épuisée, Nawal El Moutawakel manque de s’évanouir dans les bras de ses concurrentes. « À quelques mètres de la ligne, j’ai tourné la tête. J’ai vu les autres derrière. Je n’y croyais pas… », se souvient-elle au micro de la BBC. Les larmes lui montent aux yeux. Judi Brown se précipite dans ses bras pour la féliciter. Les deux amies pleurent, conscientes de l’aspect historique de cet instant. L’exploit de Nawal El Moutawakel est immense. Elle offre au Maroc son premier titre olympique et devient la première femme maghrébine, arabe, musulmane et africaine à remporter l’or aux Jeux.
Le monde entier est surpris par cette victoire. Les journalistes internationaux confondent même sa nationalité, la prenant pour une athlète monégasque. Mais pour Nawal El Moutawakel, c’est le Maroc qui triomphe ce jour-là. Au pays, la fierté est immense. Chez elle à Casablanca, où la finale est retransmise en direct à 2h du matin, la foule envahit les rues pour célébrer la victoire. Au stade, la championne célèbre son exploit en effectuant un tour d’honneur, le drapeau national sur les épaules. L’exploit est tel que le roi Hassan II décide que toutes les filles nées ce jour-là devront porter le prénom de Nawal.
C’est un hommage à une athlète qui a su briser les barrières et ouvrir la voie à toute une génération de sportives : « Mon épreuve, c’était une épreuve qui était pour les hommes. On entendait tout et n’importe quoi à l’époque. On disait que les femmes ne pouvaient pas sauter, ni lancer parce qu’elles pourraient ne plus jamais tomber enceinte, expliquait-elle en 2023 sur CNews. Ces 54 secondes m’ont fait passer de zéro à héros. Cette course a changé ma vie, je suis devenue une personne modèle pour de nombreuses jeunes filles. Je l’ai compris en rentrant au Maroc et en étant interpellée par de nombreuses femmes. Puis ensuite dans le monde. »
Nawal El Moutawakel est aujourd’hui l’une des femmes les plus influentes du sport mondial, vice-présidente du Comité international olympique (CIO).