À celle qui vit le Tour, il offre le privilège de rêver éveillée « avec mes yeux grands ouverts », comme s’exclamait la jeune rouleuse Jade Weil.
La quatrième étape Cahors-Rodez fut l’exergue de cette édition 2023 du Tour de France Femmes : 177,5 kilomètres qui font exception car 17 kilomètres de plus que la limite habituellement octroyée lors des courses à étapes. Au sortir de trois journées menées tambours battant, la clameur de la foule jonchée de part et d’autre de la ligne d’arrivée, dissimule à nos yeux la fatigue des organismes.
Pourtant, à peine le rideau de la course descendu, les assistants arrivent à toute berzingue agitant avec vigueur des bidons aux contenus intrigants. Les néophytes de la course cycliste se demandent quelle mouche les a piqués pour déployer autant d’énergie face à de si petits contenants. Poudre protéinée, apport glucidique ajusté, chaussettes de contention… Derrière la cuirasse du justaucorps technique, nos héroïnes éphémères, le temps d’une métaphore, redeviennent par essence elles-mêmes.
« Dans les méandres de la postmodernité, le sportif est devenu la figure ultime du héros. Les récits, le plus souvent romancés, magnifiés, laissent transparaître un discours univoque ; celui de l’extrapolation des ressources humaines et du don de soi », écrivait le psychologue clinicien Stéphane Proia dans son ouvrage « La face obscure de l’élitisme sportif ». Suis-je alors un amoureux du sport ou bien un prosélytiste ?
Sous les rayons du soleil du Lot et de l’Aveyron, je cherche le contraste de ces corps en mouvement face à la réalité de nos quotidiens. Le Tour est l’affaire de tous. Il réveille nos campagnes et rapproche nos villes. Lorsque l’on embarque à bord du train de juillet, c’est la France qui défile. Le sifflet de la locomotive-peloton chante sous les cris des provinces amassées le long de la route. Saluons ces efforts car les mécaniques de notre temps sont devenues les amis du silence. Seules les respirations haletantes de ces esthètes de la bicyclette nous laissent imaginer la générosité nécessaire pour filer le bitume.
Cette quatrième étape, de Cahors à Rodez aurait pu être une ode à la France de la table. Il est vrai que cette journée fut comme un plat qui mijote à feu doux. Le gras du peloton s’égraina lentement, avec délicatesse, et derrière lui les effluves du mythe sportif venaient chatouiller nos narines. Derrière les vapeurs de nos enthousiasmes, la rudesse de la grande course ne faiblit pas.
Audrey Cordon-Ragot l’a vécu. Partie en échappée avec treize autres coureuses, la Française qui fréquente les pelotons depuis plus de dix ans connaît le métier. À coups de relances et de tentatives audacieuses, la leader du team Human Powered Health n’a pas été avare d’efforts, pourtant elle ne trouva pas le chemin de la victoire. Elle terminera 16e de l’étape à 1,16min de la vainqueure Yara Kastelijn, avec qui elle tenta de s’extraire du groupe d’échappée. Qu’est-ce que nous ruminons quand nos efforts ne rencontrent pas leur récompense ?
« Suis-je vraiment faite pour cela ? Ai-je encore la flamme suffisamment vive pour raviver les braises de la victoire ? Hardie, impertinente, audacieuse, j’aurais tout tenté. J’ai la peau dure, moi la dure au mal. Je me suis relevée de mon AVC, je suis plus forte que ça. Et puis quoi ? C’est que du vélo. Oui mais ça me prend aux tripes, j’ai la rage au cœur, j’ai la rage dans le cœur. J’ai mal à mon ambition mais je ne vais pas lâcher. Après les bas de ces derniers mois, jouer devant est déjà une victoire. Le courage, c’est de faire ce qu’on dit. Alors je vais me battre et voir où mes jambes me mènent. La route du Tour est encore longue. Et puis, c’est ça l’optimisme sportif, c’est la révélation de soi-même à soi-même. Tu le sais si bien, fais-toi confiance. Si aujourd’hui était une expérience, demain devient une possibilité. Alors va et deviens ce que tu es, une championne. »