Thomas Boury : « Le Tour de France est devenu pluriel et avec lui nos cœurs battent à l’unisson. »

Tour de France 2023 Clermont-Ferrand
Derrière la liesse populaire et fervente des amoureux de la petite reine, que se passe-t-il dans la tête des rouleuses, gladiatrices des temps modernes ? Des moments de joie à ceux de doutes, de la peur à l’excitation, de la solitude de l’effort au bonheur collectif, cette chronique vous emmène sur le porte-bagages de ces femmes hors normes.

Par Thomas Boury*, cycliste, spécialiste d'ultra-endurance

Publié le 24 juillet 2023 à 14h53, mis à jour le 29 juillet 2023 à 12h53

« Le Tour de France, c’est cet air du pays que l’on respire même à son insu », écrivait Antoine Blondin. La grande boucle ne dure plus trois semaines mais bien quatre. Dans le sillon de l’effervescence populaire qui a traversé le pays depuis le début de ce mois de juillet, le dessin d’un nouveau tour se dresse à nos yeux. Le Tour de France est devenu pluriel et avec lui nos cœurs battent à l’unisson.

Si la ferveur des bords de routes nous met en joie, elle ne doit pas nous faire oublier que le Tour est avant tout une course cycliste. L’épopée des forçats de la route se poursuit sous les coups de manivelle des forçates. 154 femmes se sont élancées le 23 juillet pour la première boucle étape, Clermont-Ferrand — Clermont-Ferrand, longue de 124 kilomètres.

Cette année, le Tour de France fête ses 120 ans et avec lui, dans le centre de Clermont-Ferrand, la statue de Vercingétorix de la place de Jaude. Le glaive haut, dressé sur un cheval cabré, la gloire triomphante avec à ses pieds ce soldat romain, Vercingétorix nous rappelle qu’il n’y a pas de célébration sans bataille, d’éclats sans sacrifice et de succès sans courage. C’est sous les yeux du chef des Avernes que les coureuses ont pris la route.

La longue attente du départ rompu, les jambes affûtées entrent en danse et se meuvent sous la houlette des voitures des directeurs sportifs. La mythologie moderne, c’est la rencontre des corps à l’effort face au progrès technique des machines, rigides et impardonnables.

Une modernité sertie de doutes lorsqu’au kilomètre 112, le pied de la côte de Durtol se présenta face aux coureuses. Répondre présent, ne pas manquer le moment, être dans le faire plutôt que dans le penser à faire.

Lotte Kopecky…©ASO/Thomas Maheux

La petite reine du jour, celle qui ira chercher le premier maillot jaune a pour nom Lotte Kopecky. La Belge ne le sait pas encore, mais elle va remporter la première étape du Tour de France Femmes, ce dimanche 23 juillet. Au prix de quels efforts ? Si on imaginait un instant ce qu’il se passe dans sa tête, dans son corps, ça donnerait peut-être ça :

« À l’abri dans les roues de la meute qui fend l’air à vive allure, tapie dans l’ombre, je me fais oublier et j’use de l’aspiration de ces louves en ordre de marche. Mes mouvements sont mesurés, sous contrôle, et la patience accompagne ma détermination. La pente s’élève sous nos roues et je sens mon cœur qui s’accélère. Je maîtrise mon art sous l’aide millimétré de mon capteur de puissance. J’ajuste ma cadence, comme celle du tourneur à musique, lorsque le papier entre et sort de la machine. Je suis un métronome, sans demi-mesure, sans temps mort, j’enroule et je déroule ma partition. Les fourmis me montent. Je l’avais dit aux filles ce matin dans le bus. La stratégie était là, couchée sur le papier. Mais je sais trop bien que l’acharnement ne trouve pas toujours récompense.

Pourtant, je sens qu’aujourd’hui est mon jour. “La tête et les jambes. La tête et les jambes.” Il reste à peine 400 mètres pour rejoindre le sommet de la côte et, en un battement, mon instinct s’empare de moi. Ma rage surgie, je m’élève sur les pédales et je ne suis plus qu’une avec mon vélo. Un mètre, deux mètres, trois mètres. L’enveloppe de la masse compacte dans mon dos s’éloigne. J’assigne un léger coup d’œil par-dessus mon épaule pour me rassurer. Penser ne suffit plus, c’est ce supplément d’âme qui parle. »

Lotte Kopecky…©ASO/Thomas Maheux

« Mes muscles brûlent, j’ai le souffle court et c’est un combat psychologique que je mène à présent. Je bascule en tête dans la descente. Je deviens la funambule de mes ambitions. Comme Philippe Petit, je sais que le chemin entre les deux tours est long : 9,4km, c’est la distance qui me sépare de ma tour d’arrivée. Je descends comme une caisse à savon et derrière moi en chasse patate fonce l’armada des équipes adverses.

Dans l’oreillette, Lars Boom, mon directeur sportif me braille “Come on Lotte, you got this”. Je me rappelle à mes souvenirs heureux du Tour des Flandres, j’y puise l’assurance de mon savoir-faire. Dans ceux du décès de mon frère Seppe, le courage de vivre à la hauteur de mes rêves. Ce soir, je suis en jaune. Je suis la première fleur de juillet. »

Lotte Kopecky écrivait sur son Insta, le 13 juillet, « Wherever life plants you, bloom with grace » (Où que la vie te plante, fleuris avec grâce).

Ouverture ©ASO/Thomas Maheux

Vous aimerez aussi…

Il était une fois le rugby…féminin

Il était une fois le rugby… féminin

Pas facile encore aujourd’hui d’être joueuse de rugby tant ce sport ne correspond en rien aux stéréotypes féminins. Pourtant, il y a eu des pionnières qui ont su transformer l’essai. Et les filles d’aujourd’hui prennent la balle au bond avec maestria. Petite histoire express du ballon ovale en mode demoiselle.

Lire plus »
Céline Dumerc : 5 infos pour briller au panier

Céline Dumerc : 5 infos pour briller au panier

Ce dimanche, Stade Pierre de Coubertin à Paris, le Match des Champions ouvrira officiellement la saison 2021-22 de la Ligue Féminine de basket. L’occasion est toute trouvée de revenir sur la carrière de l’une des meilleures basketteuses françaises, Céline Dumerc, qui, Championne de France 2021 avec Basket Landes, jouera contre le vainqueur de la Coupe de France, Lattes Montpellier. Bio rapido en 5 points.

Lire plus »
Sine Qua Non Run 2025, et c'est reparti pour le show !

Sine Qua Non Run, et c’est reparti pour le show !

Ce samedi 15 mars, la 7e édition de la Sine Qua Non Run débutera à 18 heures. La soirée appartiendra aux participantes et participants, qui seront tous là pour piétiner les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes. Le tout dans une ambiance festive, en pleine Ville Lumière.

Lire plus »
Donnons des ailes au vélo

« Donnons des Elles au vélo J-1 », ces cyclistes qui sont sur la route toute la sainte journée…

Six ans qu’elles avalent des kilomètres. Six ans à se faire les mollets sur les routes de France, les mêmes routes que celles empruntées par la Grande Boucle. Ces filles-là donnent de la voix sur deux roues pour démontrer que le sport se conjugue aussi au féminin. Cette année, ces cyclistes militantes sont treize à pédaler pour la bonne cause. Et on est ÀBLOCK! avec elles !

Lire plus »
Global 6K for Water

6 km pour de l’eau, c’est oui !

L’accès à l’eau potable, partout, tout le temps, c’est l’ambition de l’ONG World Vision. Pour ça, la Global 6K for Water, soit les 6 km pour l’eau, reprend sa course à partir du 20 mai afin de financer des projets répondants à cet enjeu. Sensibiliser, bouger et changer le monde. Courez, maintenant !

Lire plus »
Betty Robinson, la course à un train d’enfer

Betty Robinson, la course à un train d’enfer

Elle est partie de rien et revenue de tout. Cinq mois après ses débuts en athlétisme, Élisabeth « Betty » Robinson est devenue la première championne olympique du 100 mètres de l’Histoire. Sacrée à Amsterdam en 1928, elle brillera également à Berlin, sept ans après qu’un accident d’avion ait manqué de peu lui ôter la vie.

Lire plus »
Fanny Blankers-Koen

JO 1948 : Fanny Blankers-Koen, « mère indigne » devenue star de la piste

On la surnommait « La ménagère volante ». Spécialiste du sprint, elle est la seule à avoir décroché quatre médailles d’or en une seule édition. Un palmarès d’autant plus bluffant à une époque où les femmes n’étaient pas les bienvenues dans les compétitions, encore moins les mères de famille. Récit d’une femme au foyer devenue femme médaillée.

Lire plus »
Muchova pour un nouvel exploit ?

Muchova pour un nouvel exploit ?

Terminée la passe compliquée. Karolina Muchova, en délicatesse depuis l’US Open 2021, a créé la surprise en s’invitant en finale du tournoi de Roland-Garros après une remontée spectaculaire face à la Biélorusse Aryna Sabalenka, N°2 mondiale. La Tchèque devra réitérer l’exploit ce samedi face à la patronne du circuit Iga Swiatek.

Lire plus »
La question qui tue Un apéro après mon sport, ça peut pas faire de mal, si ?

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une arbitre qui refuse qu’on la mette sur la touche, une question qui tue sur le sport et l’alcool (notre photo), un 5 infos sur l’une des meilleures karatekas au monde, l’histoire du skateboard féminin, deux événements sportifs inédits à venir et un mouvement d’haltérophilie décrypté, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! pour cette semaine. Enjoy !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner