Tanya Naville : « Des filles qui pratiquent seules des sports de montagne, ça choque encore ! »Skieuse et alpiniste, 33 ans, chargée de communication

Tanya Naville
Elle parcourt le monde à la recherche de mordues de montagne. Et trace passionnément sa voie. Tanya Naville, encadrante formatrice de groupes d’alpinisme féminins à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, prend la plume et la caméra pour médiatiser la pratique sportive de ces femmes qui respirent mieux en haute altitude. En espérant faire boule de neige.

Propos recueillis par Claire Bonnot

Publié le 16 février 2021 à 18h57, mis à jour le 29 juillet 2021 à 14h22

« J’ai autrefois pratiqué les sports de haute montagne en compétitions au niveau national, lors de coupes du monde par exemple, mais, aujourd’hui, je ne suis plus dans le haut niveau. Je continue cependant à pratiquer activement les sports de montagne, j’ai un brevet fédéral d’alpinisme et je suis très investie au sein de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM), en Haute-Savoie.

Au sein de la Fédé, j’ai l’occasion de coordonner des groupes d’alpinistes au féminin. C’est comme ça que je me suis rendu compte, en plus de ma propre expérience en tant que pratiquante, qu’il était difficile de trouver des sponsors et de médiatiser la pratique féminine.

Quand je parlais des femmes de cette discipline aux médias mainstream de montagne, on me disait : « Tant qu’elles ne font pas quelque chose d’extraordinaire, ça ne sert à rien que je tente de les contacter… »

Pourtant, de plus en plus de filles candidataient aux groupes d’alpinismes. Ça m’a donc paru le bon moment pour médiatiser cet engouement et, par là même, encourager la pratique, faire un effet boule de neige, quoi ! Là, je me suis dit : « Il faut créer un média » !

©DR

J’ai décidé d’atteindre ce nouveau sommet et j’ai lancé mon blog avec mon compagnon : « On n’est pas que des collants » en 2015. À cette époque, je faisais partie des pionnières sur la médiatisation du sport au féminin de haute montagne.

La question était : « Comment médiatiser cette pratique au féminin ? ». On a alors vite pensé à la vidéo, le support actuel le plus prisé. Le problème ? Dans les festivals de films de montagne ou dans les web séries consacrées à ces disciplines, il n’y a que des mecs !

Dans ce cadre, comment une jeune fille qui veut se lancer va-t-elle avoir l’idée ou l’envie de choisir un sport de montagne étant donné qu’ils sont toujours conjugués au masculin dans les médias ?

©DR

Comme je ne pouvais pas me mettre en avant, n’ayant pas un niveau assez élevé et n’étant pas une experte, on s’est dit qu’on allait partir à la rencontre de femmes inspirantes et ramener ainsi, en France, des histoires d’ailleurs.

Nous sommes allées à la découverte de skieuses de randonnée, en Islande, en Grèce (avec la multiple championne du monde de ski alpinisme, Laetitia Roux, qui a accepté d’être notre marraine) et au Japon. Là-bas, ces mêmes sports sont pratiqués par des femmes aux environnements sociaux différents, des femmes qui se réalisent grâce à cette pratique.

Pourquoi vouloir rapporter ces témoignages ? Pour que les femmes françaises se disent « Pourquoi pas moi ?! ». Ça a été le point de départ du « Women’s skimo project ».

L’aventure « Women’s skimo project » a débuté en Islande : « L’Islande … un pays qui fait rêver. Cette île de feu et de glace est présente dans notre imaginaire comme un espace naturel de liberté parfait pour le ski de montagne. C’est aussi le pays vers lequel tous les regards sont tournés lorsqu’il s’agit de parler d’égalité des sexes. Nous nous sommes donc rendus dans la péninsule des Trolls au nord de l’Islande pour mettre ce fantasme à l’épreuve en rencontrant Bryndis, une jeune skieuse islandaise, à la fois témoin et actrice de son temps. Elle nous guidera dans les couloirs enneigés qui se jettent dans les fjords »

Ici, l’idée n’est pas de mettre en avant seulement des championnes, mais toutes les pratiquantes : des femmes de bon niveau comme des femmes investies dans leur sport, à leur échelle. On trouvait ça très important de ne pas toujours mettre en lumière l’élite et la performance, pour que nos spectatrices s’identifient et soient inspirées à se lancer dans l’aventure des sports outdoor de montagne.

Ce qui est important pour nous aussi, c’est de toucher un public plus large que celui qui est déjà sensibilisé à la cause. Et l’avantage qu’on a avec nos films, c’est qu’en faisant découvrir le sport à l’étranger, ils offrent une vraie diversité : on va par exemple vouloir les regarder avant tout pour découvrir le ski en Grèce et, par là même, on sera sensibilisé au sport au féminin. Ça permet de faire avancer les choses, de ne plus seulement échanger entre personnes convaincues !

Tanya Naville au Japon…©DR

En 2016, le blog « On n’est pas que des collants » est devenu une association visant à porter les films sur les femmes en haute montagne. On faisait salle pleine à chaque projection !

Ce qui nous a donné l’impulsion pour créer un festival, en 2019, intitulé « Femmes en montagne », de manière à faire découvrir d’autres films « au féminin » que les nôtres.

Ce festival devrait revenir en 2021… L’appel à candidatures a débuté en novembre dernier avec notamment une catégorie « courts métrages amateurs » pour motiver les femmes à prendre la caméra ou des hommes mais, en tout cas, toujours sur des femmes !

C’est vraiment un projet qui me tient à cœur. Je l’ai monté avec mon conjoint, Léo Wattebled, qui a une thèse en sciences du sport et qui s’est formé pour cela à la prise de vidéo en montagne. On filme tous les deux et on monte tous les deux, avec l’aide d’un monteur pour rythmer le tout et on est aussi aidés pour le son.

Tanya et Léo…©DR

Concernant l’intégration des femmes dans les disciplines de haute montagne, je dirais qu’on a un peu de tout… On est moins dans du sexisme injurieux que dans un sexisme ordinaire, patriarcal.

Je suis responsable des groupes féminins Rhône-Alpes et Haute Savoie de la FFCAM, notamment des groupes du GFHM (Groupe Féminin de Haute Montagne), du comité régional FFCAM Auvergne Rhône Alpes et du GAF74 (Groupe d’Alpinisme Féminin, du comité départemental FFCAM Haute-Savoie).

Ce qui est chouette, c’est que l’idée de ces groupes féminins a rapidement plu : on a eu une page dans Le Monde rubrique sport, puis dans Libération, avant que les médias sportifs décident de grimper dans l’aventure !

Dès 2016, les sollicitations se multipliaient : s’intéresser à la pratique féminine en haute montagne était devenu à la mode !

En gros, les formations auprès des groupes féminins en club alpin rassemblent des femmes que j’encadre sur deux ans afin qu’elles deviennent autonomes. Si les groupes sont formés par des professionnels, nous, les encadrants, on s’occupe des sélections, de l’organisation, des relations avec les sponsors, d’en rechercher aussi, mais également des relations fédérales, du budget…

Ce travail permet de redonner toute leur place et leur confiance à des pratiquantes qui, souvent, et malgré leur niveau similaire, ne se sentent pas d’égal à égal avec leurs homologues masculins au sein de groupes mixtes. Mais, ça, c’est un truc sociétal !

Le premier épisode du « Women’s skimo project » a été tourné au Japon durant l’hiver 2017

Par exemple, un jour où l’un de mes groupes au féminin, accompagné de la guide et d’une journaliste, est tombé sur des gars au sommet d’une montagne, ces derniers leur ont lancé : «  Mais vous êtes toutes seules ? » avant d’ajouter « Mais c’est génial ce que vous faites ! ». Alors, c’était pas méchant mais, en gros, comme il n’y avait pas d’hommes dans cette cordée, ça leur paraissait suspect…

C’est pareil en refuge, quand les alpinistes, majoritairement masculins, ne voient que des filles débarquer, ils sont très étonnés. Ça choque encore à notre époque !

Comme lorsque j’emmène un ami en initiation. Si on croise quelqu’un, cette personne va demander les informations… à mon ami. On peut s’irriter de ces situations, mais il vaut mieux en rire et agir pour faire changer les mentalités ! »

 

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