Depuis quelques mois, elle ne rêve que Japon, respire exclusivement Tokyo. Letícia Bufoni, figure incontournable du skateboard, a fait des Jeux Olympiques nippons (23 juillet–8 août 2021) sa priorité absolue.
À bientôt 28 ans – dont dix-sept de carrière – la quintuple médaillée d’or aux X-Games pourrait profiter de cette virée au pays du Soleil-Levant pour marquer, un peu plus, de son empreinte l’Histoire d’une discipline dont elle a grandement contribué à remodeler les contours. « Mon objectif à ce jour est de participer aux Jeux Olympiques, expliquait, il y a peu, la Brésilienne dans les colonnes de Sports Illustrated. Je veux y aller. Et si je parviens à me qualifier, je veux une médaille. Ce serait le rêve de ma vie. »
La consécration ultime pour l’icône auriverde qui, avant même d’oser songer à un possible sacre olympique, s’est employée avec force et persévérance à prouver à tous les sceptiques que skater se conjuguait aussi au féminin.
À commencer par son propre père. Car pour papa Bufoni, le skate est une affaire d’hommes, un point c’est tout. Dire qu’il est peu ravi de voir sa fille de 10 ans rider dans les rues de São Paulo, sa ville natale, en compagnie des gamins du quartier est donc un doux euphémisme.
Alors, quand un ami de la famille, surpris par le talent de la gamine, suggère de l’inscrire en compétition, la réponse fuse, catégorique : ce sera un grand non pour le contest et, par la même occasion, un non définitif pour le skate !
Une sentence qui, pour irrévocable qu’elle soit, ne suffira néanmoins pas à refroidir les ardeurs de Letícia Bufoni. « Quelques jours après avoir essayé de le convaincre de me laisser participer à des contests, je rentre à la maison et il était fou de me voir encore sur mon skate, se souvient-elle, interrogée par Thrasher Magazine. Il a cassé ma board en deux. J’ai pleuré pendant des heures. Le lendemain, un ami m’en a prêté une vieille et j’ai pu skater de nouveau. »
Une détermination sans faille qui, peu à peu, finit par avoir raison des réticences paternelles : « Quelques mois plus tard, il m’a emmenée à un contest et j’ai gagné, poursuit-elle. À partir de là, il a commencé à me supporter. Il m’emmenait aux compétitions, me conduisait au skate park chaque jour. »
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Le duo père-fille est de nouveau mis à l’épreuve en 2007. Miss Bufoni a 14 ans quand elle est invitée à Los Angeles pour participer aux X-Games, sorte de Graal pour tout sportif de l’extrême qui se respecte. « J’avais juste fait quelques événements au Brésil et là, j’étais dans la plus grande compétition du monde, se remémore Letícia Bufoni dans un entretien accordé à L’Équipe. J’étais la plus jeune en compétition contre toutes mes idoles. Je me rappelle avoir été nerveuse et effrayée. J’ai dû apprendre à skater des énormes modules, contrôler mes nerfs… »
Un peu tendre pour ce premier rendez-vous californien, la jeune Paulistaine doit se contenter d’une huitième et dernière place. Persuadée, malgré tout, que son avenir ne peut s’écrire qu’à L.A., l’adolescente au caractère bien trempé veut convaincre ses parents de la laisser tenter sa chance dans la Cité des Anges.
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La réponse se jouera à pile ou face. Papa Bufoni met sa fille au défi : elle réussit à passer un « inward heelflip », à elle le Golden State. Mais Letícia Bufoni échoue, retour en Amérique du Sud… Le Brésil n’étant pas une option, le petit prodige gagne sans sourciller le droit de s’installer en Californie.
Lâchée seule dans une ville tentaculaire, Letícia se débrouille. Elle commence par apprendre l’anglais, dégote des sponsors. Après deux nouvelles apparitions infructueuses aux X-Games, goûte aux joies du podium en 2010 avec une prometteuse deuxième place.
Son premier or, elle le décrochera trois ans plus tard à Foz do Iguacu au Brésil avant de s’imposer, dans la foulée, à Barcelone et Los Angeles, une performance jusqu’alors inédite. Puis il y aura le championnat du monde Super Crown, les X-Games encore en Norvège (2018) et à Shanghai (2019).
Un palmarès vertigineux qui lui vaudra, en 2017, d’entrer dans le Guinness Book en qualité de skateuse la plus médaillée au monde ! « Je suis définitivement en train de vivre un rêve, confie Letícia Bufoni dans Le Bulletin Red Bull. Partout où je vais, chaque pays dans lequel je voyage, chaque personne que je rencontre est un rêve. Parfois, je me demande si c’est réel. »
Considérée par Forbes, en 2018, comme l’une des 25 femmes les plus puissantes du monde du sport, Letícia Bufoni se réjouit de voir la relève pointer le bout de son nez. « Il y a beaucoup de jeunes filles qui arrivent à plein gaz, reconnait-elle. Le niveau est super haut maintenant. J’ai l’impression que ces deux dernières années, ça a vraiment changé. Quand j’ai commencé le skate, je n’avais pas de référence Pour les jeunes qui arrivent, c’est plus facile. »
Et si le parcours de la belle de São Paulo n’est certainement pas étranger à ces vocations de plus en plus nombreuses, pas question pour autant, pour elle, d’endosser le rôle de modèle : le skate, n’est pas une question de sexe mais de passion et la question du genre est donc nulle et non avenue.
« Si une fille veut commencer le skate je lui dis fais-le, n’aie pas peur de tomber et si tu tombes, relève-toi et continue. Je lui dirais aussi de se sentir libre de faire du skate, d’être heureuse… Et si quelqu’un lui dit que le skate n’est pas pour les femmes, cette personne devrait venir parler à Letícia Bufoni ! »