1. Un départ tardif
Les trajectoires de championnes ne sont pas toujours les plus régulières. Parfois, il arrive que certaines prennent un départ plus tardif que les autres même si ce n’est pas ce que laissait présager le commencement. Dès ses 3 ans en 1997, la Française Caroline Jouisse se lance dans la natation, accompagnée de ses sœurs et sous l’impulsion de ses parents qui souhaitaient les habituer au milieu aquatique.
En 6e, elle intègre une classe de sport études et va ainsi gravir les échelons dans sa discipline. La nage qu’elle adore, mais dans laquelle elle a du mal à briller en compétition. Le déclic arrive en 2012. Après avoir passé sept ans dans les bassins, la native de Saint-Mandé dans le Val-De-Marne, s’essaye presque par hasard, sur les conseils de son coach, à la nage en eau libre. Coup de foudre.
La nage en eau libre se fait en milieu naturel, lac, mer, rivière et sur des distances plus longues que le bassin : 5, 10 ou 25km en championnat, et en coupe du monde il y a même de plus longues distances, jusque 57km.
Il lui aura donc fallu quinze ans depuis sa mise à l’eau, sept années de sport études, avant de trouver sa véritable spécialité, celle de devoir nager en domptant les éléments naturels.
2. L’escapade américaine
On le sait, malheureusement, la France n’est pas le pays le plus avantageux quand il s’agit de combiner sport et études. C’est pour cela qu’après un BTS MUC à Bourges, Caroline Jouisse décide de mettre le cap sur le pays des opportunités, les États-Unis.
De 2016 à 2019, la nageuse française passera un Bachelor et un MBA en « General Business Administration » dans la Delta State University à Cleveland, Mississippi. Un soulagement pour la Saint Mandéenne qui ne rentrait pas dans le moule de l’éducation française. Un soulagement de rejoindre un système éducatif américain mettant le sport au centre du quotidien et dans lequel elle peut avancer à son propre rythme. Il n’en fallait pas plus pour qu’enfin elle performe.
Sur ces trois années passées là-bas, Caroline Jouisse remporte plusieurs distinctions dont la 3e place des championnats nationaux sur 500, 1000 et 1650 yards en mars 2017. Elle sera aussi élue meilleure sportive de l’année lors de sa dernière saison en 2019.
3. Une double vie à gérer
Tous les sports n’ont pas la chance d’avoir la même couverture médiatique que le football. Dans le cas de la nage en eau libre, les obstacles sont multiples. L’obstacle financier : l’eau libre possède beaucoup moins de moyens que la natation en piscine plus traditionnelle. Et cet écart on le retrouve également dans la médiatisation, le bassin est toujours avantagé. Même chose si l’on compare le sport pratiqué par des hommes et celui pratiqué par des femmes : la couverture médiatique de ces nageuses est moindre que celle des hommes, même avec des résultats sportifs équivalents.
Caroline Jouisse est alors contrainte de prendre un job à plein temps, celui de chargée de missions chez Veolia et elle y travaille toujours, depuis presque trois ans. En parallèle et cette fois plus pour régler le côté médiatique du problème, elle prend part au groupe de travail sur l’égalité hommes-femmes au sein de la Ligue Européenne de natation. Certes pas de revenus à la clé, mais cela lui permet au moins de promouvoir un peu plus sa discipline.
4. « Une fleur qui éclot tard »
Finalement, avec Caroline Jouisse, c’est comme si tous les évènements importants, arrivaient en prenant leur temps. Malgré son aisance sur l’épreuve du 25km, où elle s’impose au sommet du continent en étant championne d’Europe 2022 à Rome, elle décide, en 2021, de se concentrer sur la distance 10km pour une raison bien précise : Les Jeux Olympiques qu’elle n’a encore jamais disputés jusque-là.
L’année 2023 sera une année charnière. Fin mai, elle participe à l’étape de Coupe du monde qui se déroule à Setubal au Portugal. Dans un sprint acharné, elle dépasse de 9 dixièmes de secondes l’Italienne Arianna Bridi qui finit 2e laissant ainsi la première place du podium à la Française. Toujours au Portugal mais à Funchal cette fois, en décembre, Caroline Jouisse décroche une 10e place qui la met en très bonne situation pour une qualification olympique puisqu’elle obtient ainsi le deuxième meilleur résultat français et se qualifie pour les Mondiaux de Doha où tout va se jouer.
En février 2024, sur le sol Qatarie, bien au-delà d’une médaille, le plus important pour elle, c’est de faire top 13, synonyme d’un ticket pour Paris 2024. Chose faite puisqu’elle termine à la septième place. Après douze années de pratique, elle aura ainsi la chance de disputer ses premières olympiades. Elle déclare après la course : « Je suis une fleur qui éclot tard ! […] Je me suis mise à l’eau libre en 2012, donc après douze ans en eau libre, ça y est, le Graal ! »
5. Jamais mieux servi que par soi-même
Vous l’avez compris Caroline Jouisse est une débrouillarde, une fille suffisamment acharnée pour réussir contre vents et marées. La Francilienne s’arrache également à se trouver des sponsors et à se médiatiser… elle-même.
En 2022, lorsqu’elle devient championne d’Europe ou même en mai 2023 lorsqu’elle remporte l’étape de Coupe du Monde à Setubal, elle prend (aidée de son père !) son téléphone pour mieux sensibiliser les médias à sa victoire. On en revient à ce problème de médiatisation, en premier lieu d’un sport qui est encore amateur mais en deuxième lieu aussi, de sa catégorie féminine.
Mais débrouillarde, on a dit. Après une année avec un manager qui ne lui a décroché aucun sponsor, Caroline Jouisse décide de s’en séparer et de se charger elle-même également de cet aspect-là. Recherche de sponsors, de mécènes, et bien que réticente au début, elle a même lancé une cagnotte grâce à des étudiants en école de commerce pour la préparation de ses Jeux. Caroline Jouisse s’occupe de tout, et on espère la voir briller dans la Seine, au côté de l’autre Française Océane Cassignol, pour ses premières Olympiades.
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