« Seul un estropié peut comprendre la joie intense que j’ai ressentie. Après avoir appris, je me suis mise à nager, n’importe où, n’importe quand. »
Miss Kellermann voit le jour le 6 juillet 1886 avec les muscles des jambes atrophiés. Son quotidien ? Porter des bretelles d’acier pour pouvoir marcher. Un handicap qui la fera étonnement plonger dans le grand bain de la natation, conseillée par son médecin.
De l’âge de six ans à l’âge de quinze ans, la petite australienne fortifie ses jambes en nageant et se révèle une baigneuse et une plongeuse née.
Lycéenne, elle est même recrutée comme « sirène » auprès d’anguilles et de poissons pour assurer le spectacle d’un aquarium.
Enchaînant les exploits – tels des plongeons de près de 30 mètres et une nage de 27 kilomètres dans la Tamise – elle devient une célébrité dans son pays et s’en va conquérir Paris lorsqu’elle s’affiche, seule femme parmi les nageurs, pour une course dans la Seine.
Nageuse contre vents et marées
« Une belle et jeune nageuse, venue d’Australie, Miss Kellermann, se propose de battre cette année le record de Webb lui-même – le capitaine britannique Matthew Webb, premier homme à traverser la Manche en 21 heures et 45 minutes entre les 24 et 25 août 1875, ndlr – en traversant la Manche à la nage », annonce le Courrier de Tlemcen, le 25 août 1905.
À tout juste 19 ans, l’audacieuse et impétueuse Annette est donc la première femme de l’Histoire à tenter de traverser le Channel à la nage. Si elle échoue, elle n’en devient pas moins une célébrité, suivie et photographiée par le Daily Mirror.
Sa tenue, entre autres, fait les gros titres : elle porte un maillot de bain semblable à celui utilisé par les hommes. Shocking ! En effet, les femmes, « décence oblige », ne sont pas autorisées à dévoiler leurs bras et leurs jambes à cette époque et ne peuvent se baigner qu’avec une combinaison couvrante.
Nageant aisément à contre-courant, Annette Kellermann persiste et signe dans sa tenue de baignade « dénudée ».
Arrêtée pour « tenue indécente » sur une plage de Boston en 1907 pour s’être montrée bras, cuisses et jambes exposés. Elle est finalement relaxée, après avoir invoqué l’argument sportif et l’impossibilité de nager vêtue d’un pantalon et d’une robe.
Après de multiples récidives suivies d’arrestations, un juge finira par autoriser le port du maillot une pièce, à la condition qu’une robe soit portée par les nageuses avant d’aller à l’eau.
Une petite révolution qui la rendra populaire. Et lui donnera l’idée de créer sa ligne éponyme de maillots de bain. Une ligne qui libère, délivre le corps des femmes.
Une action visionnaire et féministe qu’elle considérait d’ailleurs comme le plus grand exploit de sa vie.
Le maillot une pièce ? De quoi nager comme un poisson dans l’eau ! « Elle a ouvert le champ de ce qui était considéré comme correct, en termes de représentation du corps des femmes, et a permis à toute une génération de femmes d’apprendre à nager », résumait le conservateur Peter Cox, dans un article de la BBC en 2017 à l’occasion de l’exposition** sur sa vie et son œuvre.
Sacrément culottée !
C’est pour avoir osé défier les conventions que la petite sirène australienne a été choisie par Pénélope Bagieu pour figurer dans ses fantastiques Culottées*.
Cette BD féministe et éducative aux deux tomes retrace en pastilles illustrées les destins de ces « femmes qui ne font que ce qu’elles veulent » et changent ainsi le cours de l’Histoire.
Des héroïnes souvent méconnues qui gagnent à être connues ! Depuis le mois de mars, elles prennent vie dans une série animée diffusée sur France 5 et à (re)découvrir en replay.
Sirène hollywoodienne
Estampillée « femme parfaite » par un professeur d’Harvard qui estima que parmi des milliers de femmes, ses mensurations étaient les plus proches de celles de la sculpturale « Vénus de Milo », Annette Kellermann ajouta vite à ses performances sportives de superbes shows artistiques : des ballets aquatiques, précurseurs de la natation synchronisée, discipline olympique depuis 1984.
« Vous souvenez-vous de la jolie Miss Kellermann qui tenta, il y a quelques années, l’épreuve de la traversée de Paris à la nage, organisée par l’Auto ? Miss Annette Kellermann vient de terminer ces jours derniers un engagement au Keith’s Theatre de Boston, en Amérique. Elle a obtenu un grand succès. Ce qu’elle fit ? Elle fit des conférences sur l’art de nager, elle dansa des danses inédites, fit de difficiles exercices de diabolo, et surtout, fit des exercices de natation dans une piscine de verre, ce qui permettait aux spectateurs de suivre, tous les mouvements de l’élégante sirène », se pâmait le journal français Comœdia, le 3 décembre 1908.
Du spectacle vivant, elle saute dans le grand bain du cinéma hollywoodien, toujours ondulant en reine incontestée des étendues aquatiques.
« Fille de Neptune », en 1914, « Vénus des mers du Sud » ensuite puis « Fille des Dieux » en 1916, elle est une vedette du cinéma muet et du ballet aquatique.
Le Figaro, fasciné, chroniquait « La Fille de Neptune » en 1915 : « Miss Annette Kellermann, la plus grande nageuse du monde et dont les mensurations se rapprochent exactement de celles de la Vénus de Milo, ce qui lui valut (à Miss Annette) le titre de « la femme physiquement la plus parfaite du monde », Miss Annette Kellermann, enfin, est l’attraction de ce spectacle par ses gracieux ébats sur les plages, dans les flots, et ses plongeons, et un furieux duel sous l’eau, au grand effroi de tortues qui ne la savent pas amphibie. Un public, d’abord surpris, puis égayé, s’intéresse à l’exploit sportif ».
Dans « La Fille des Dieux », elle est la première actrice de l’Histoire à apparaître nue dans un film hollywoodien, causant, là encore, une controverse : telle la Vénus de Botticelli, elle était drapée dans ses longs cheveux…
Million Dollar Mermaid
Dans un biopic*** américain qui retraçait sa vie en 1952 avec une autre championne de natation devenue actrice, Esther Williams, Annette Kellermann était racontée comme la « Million Dollar Mermaid ».
Entrepreneure visionnaire et femme d’affaires avisée, elle fut en effet l’une des premières « influenceuses » de l’Histoire à surfer sur le vague du bien-être, prônant, en premier lieu, les bienfaits de l’exercice physique pour les femmes, publiant des livres sur la santé et ouvrant des magasins de diététique.
Elle écrira dans l’un de ses ouvrages, devançant ainsi toutes les gourous bien-être actuelles, que si les lecteurs suivaient ses conseils, ils pourraient eux aussi « avoir une silhouette aussi parfaite que la (sienne) ».
Elle meurt le 6 novembre 1975, et, en sirène éternelle, ses cendres sont dispersées au large de la grande barrière de Corail en Australie.
« Annette Kellermann n’est pas assez reconnue pour tout ce qu’elle a fait, cette combinaison de multiples réalisations. Car son influence a vraiment dépassé sa célébrité » conclut Peter Cox dans son article de la BBC.
La belle naïade et grande sportive possède une étoile sur le Hollywood Walk of Fame. Et a plus que sa place dans nos sagas de pionnières ÀBLOCK!
* « Culottées, des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent » Tomes 1 et 2, 2016 et 2017, Pénélope Bagieu. Gallimard.
** Million Dollar Mermaid : Annette Kellerman exhibition, Sydney, 2016-2017
*** Million Dollar Mermaid ou La Première Sirène, de Mervyn LeRoy, 1952
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