
Y a-t-il une vie après le sport ?
Elles ont été des championnes, elles ont gagné, ont tout donné. Puis vint le temps de raccrocher. Comment alors se reconstruire, envisager une autre sorte de victoire : le retour à une vie ordinaire ?
Publié le 23 septembre 2024 à 16h13, mis à jour le 13 janvier 2025 à 16h10
Vous êtes chirurgienne oncologue, vous exercez à Toulouse et vous êtes à l’origine des RUBieS – Rugby Union Bien-être Santé –, le premier club de rugby destiné à des femmes atteintes de cancer. Cette aventure a débuté en 2016 après que la Fédération française de rugby (FFR) ait contacté votre service afin de mettre en place une action thérapeutique autour du sport. Ça vous a été présenté comment ?
Il faut préciser d’emblée que cette activité n’est pas ouverte qu’aux seules femmes, mais à tout le monde, femmes comme hommes. L’aventure a néanmoins débuté avec des femmes et ce, pour la simple et bonne raison que, lors de la première saison, qui était une saison expérimentale, j’ai recruté les premiers patients dans ma salle de consultation.
Étant chirurgienne gynécologue, spécialisée en oncologie, il se trouve que je ne vois que des femmes. Malgré cela, dès lors que l’association a été créée, notre club de rugby-santé a immédiatement été ouvert à tous, quel que soit le sexe et le type de cancer.
Stéphanie Motton lors de l’inauguration de la section section Les RUBieS Albi, avec le président du Sporting Club Albigeois, Jérôme ASSIE.
Vous évoluez donc en mixité ?
Oui, et aujourd’hui nous avons pas mal d’hommes inscrits. Au début, il y a eu quelques intéressés qui ont eu le courage de nous rejoindre et maintenant, nous sommes quasiment moitié–moitié au niveau des effectifs.
Est-ce que le sport comme pratique thérapeutique vous était déjà familier avant de vous engager dans l’aventure RUBieS ?
Oui, parce qu’il existe, depuis plus d’une dizaine d’années, de la littérature scientifique concernant les bénéfices de l’activité physique dès le diagnostic de cancer. Certaines études ont montré que le sport-santé avait des effets positifs sur les survies sans récidive, sur la mortalité. D’autres ont mis en évidence les très bons résultats de l’activité physique sur les symptômes dus au cancer – la fatigue notamment – et la tolérance des traitements carcinologiques avec, à la clef, moins d’effets secondaires, que ce soit pour la chimiothérapie ou pour l’hormonothérapie.
Malgré cela, en 2015, le sport–santé n’était pas vraiment structuré en France. C’est à cette époque néanmoins que les ministères de la Santé et des Sports ont demandé au Comité National Olympique Français (CNOSF) et aux fédérations de développer des activités physiques adaptées à destination des patients présentant des pathologies chroniques.
©RUBieS
Comment avez-vous réagi lorsque la FFR a contacté votre service ?
Nous avons été intéressés ou plutôt curieux de cette initiative même si, pour ma part, j’ai d’abord eu du mal à voir comment on pourrait adapter l’activité rugby à nos patientes. En gynécologie, nous avons beaucoup de femmes touchées par des cancers hormono–dépendants, ce qui signifie qu’elles sont souvent en surcharge pondérale, certaines sont âgées et éloignées du sport.
Nous sommes allés à la rencontre de la commission médicale de la FFR pour discuter et travailler sur d’éventuelles contre-indications. Nous avons alors pris conscience que le rugby adapté pouvait s’adresser à une assez large population parce que c’est une pratique sans mêlée, ni plaquage. La première fois que nous avons essayé, nous avons joué en marchant et nous avons également pris conscience que ça pouvait être ludique.
À la fin de cette première journée, nous étions convaincus et nous avons accepté de nous engager pour une saison expérimentale avec la FFR à nos côtés pour les moyens techniques et logistiques. C’était en 2016 et depuis, nous n’avons pas cessé de nous développer avec l’idée de nous ouvrir aux femmes et aux hommes, d’élargir à tout type de cancer, tous âges, de multiplier le nombre de créneaux pour limiter les barrières logistiques, fonctionnelles, d’aller chercher des subventions et de faire des émules puisque les RUBieS, aujourd’hui, comptent une vingtaine de sections en France et que nous commençons à discuter avec l’étranger.
©Pamisire
L’image du rugby reste fortement associée à la puissance et au masculin. Vous n’avez pas eu de mal à convaincre les premières patientes de vous rejoindre ?
Non et ce, pour une simple et bonne raison : lorsque l’on annonce à une femme qu’elle souffre d’un cancer du sein, on lui parle d’hormonothérapie, un traitement avec beaucoup d’effets secondaires qui peut diminuer le risque de récidive de 20 %, mais on évoque aussi la pratique régulière d’une activité physique et ses bénéfices, à savoir diminution du risque de récidive de 24 % sans effets secondaires et du risque de mortalité après cancer de 50 %. Généralement, les patientes adhèrent immédiatement. Si vous les rassurez et, qu’en plus, vous leur proposez des structures adaptées, accueillantes, au sein desquelles elles ne vont pas être en situation d’échec, vous avez gagné.
La 2e étape pour elles, c’est ensuite de faire la démarche d’essayer or, si elles sont prises en charge dans une structure adaptée, accueillante et qui ne les met pas en situation d’échec, elles continueront. Par contre, à la moindre embûche, elles vont renoncer, ce qui est normal. Apprendre que l’on a un cancer est un traumatisme et les patients touchés vivent pendant un certain temps avec la peur de ce qui peut leur arriver, la peur du corps. Autant l’activité physique lorsqu’elle est adaptée, encadrée, supervisée peut induire une réhabilitation, autant, si ces conditions ne sont pas réunies, les gens ne reviennent plus jamais.
©RUBieS
Ni le rugby en lui-même ni le fait que ce soit un sport collectif ne sont des freins ?
Nous nous sommes rendu compte, à propos de l’activité physique adaptée, que tout le monde était différent. Certaines personnes, surtout lorsqu’elles sont prises en charge pour une pathologie cancéreuse, n’auront pas envie de voir d’autres personnes qui ont un cancer. À celles-ci, on proposera plutôt des activités individuelles comme de l’escrime, de la gym volontaire ou de la marche nordique. Et puis, il y a des gens qui ne font plus de sport depuis longtemps mais qui sont motivés et là, le collectif peut jouer sachant qu’il est possible de venir mais de rester en dehors du terrain, d’aider à l’organisation… Nous, en tant que soignants, nous nous adaptons, et puis le temps aide aussi.
©RUBieS
C’est-à-dire ?
Avec l’expérience, on sait désormais expliquer aux patients que le rugby est probablement l’une des activités physiques que l‘on peut le plus adapter, à la fois parce que c’est du collectif mais aussi parce que l’on fait des passes en arrière, ce qui permet à la ligne de progresser ensemble. Quelqu’un qui ne peut pas courir est toujours en situation de jeu, ce qui n’est pas du tout le cas avec le football ou le handball par exemple.
Ce qui est intéressant également pour un soignant, c’est que le rugby contraint à bouger le haut et le bas du corps. J‘ai des patientes qui avaient des rétractions au niveau des aisselles et portaient des manchons parce qu’elles avaient le bras gonflé, le rugby leur a permis de développer un touché incroyable et, par conséquent, de rééduquer et rallonger leur bras à la vitesse Grand V. Je les appelle les Gogos Gadget !
Autre point fort avec le rugby-santé, c’est qu’on arrive à mettre tout le monde sur le terrain : une personne âgée peut jouer avec une personne jeune, les hommes avec les femmes, les maigres avec les gros…. Ce mélange et cette tolérance, qui sont le propre du rugby, sont des valeurs qui se voient encore plus dans cette configuration-là.
©RUBieS
L’autre particularité du club des RUBieS, c’est que les soignants sont aussi acteurs du club…
Aujourd’hui, pour ce qui concerne les pathologies chroniques, le sport-santé se fait sur prescription. Cela implique que vous, en votre qualité de soignant, vous engagez votre responsabilité. Je pense que tous les médecins savent désormais que l’activité physique est une bonne chose mais, entre ce savoir théorique et la prescription, il y a un fossé énorme.
Chaque fois que l’on ouvre une section RUBieS, nous convions, à l’avance, tous les potentiels médecins prescripteurs afin qu’ils essaient. C’est en les invitant à expérimenter qu’ils feront le pas de prescrire, parce qu’ils connaîtront la structure, qu’ils seront certains que le patient sera bien accueilli et qu’ils auront vu, en testant par eux même, que c’est à portée de tous et toutes.
Qu’est-ce que ça change dans les rapports que vous entretenez avec vos patients ?
Disons que c’est le petit bonus supplémentaire et que, grâce à cela, j’ai rendu ma vie de médecin très agréable. Je joue avec des patients et quand j’arrive sur le terrain, je suis « Doc », ils me tutoient alors qu’ils me vouvoient dans le cadre de la consultation et tout cela se fait avec beaucoup de naturel.
Quand il m’arrive d’avoir des doutes, de me demander pourquoi je fais ce métier, ça me permet de me dire que nous ne sommes pas là uniquement pour soigner : je vois mes patients en dehors de l’hôpital, je sais qui fait de la couture, du gospel ou de l’aviron, je les vois vivre.
Vous avez entrepris, en parallèle, un travail de recherche afin de mesurer l’impact de la pratique du rugby à 5 sur les patientes souffrant de cancers féminins…
Dès la phase expérimentale des RUBieS, en 2016, nous avons écrit un protocole que nous mettons à jour depuis. Et puis il y a quatre ans, je me suis rendu compte que le problème majeur de l’activité physique proposée dans le cas de la cancérologie en tant que traitement restait trop confidentiel. Les bénéfices de ce genre de pratique ayant déjà été évalués, ce qu’il fallait faire désormais, c’était se concentrer sur les problématiques de structuration au sein du territoire, d‘accessibilité et d’accès à l’information.
Pour employer d’autres termes, l’idée est d’évaluer l’activité physique comme partie intégrante du parcours de soins, ce qui implique de prendre le patient en charge dès l’annonce de sa pathologie, pendant les traitements et puis ensuite au plus près de chez lui. Nous avons cherché un appel d’offres pour financer notre recherche, nous l’avons trouvé et nous avons inclus la première patiente dans ce protocole la semaine dernière (l’entretien a été réalisé le 3 septembre 2024, Ndlr).
Avec la marraine des RUBieS de Toulouse, l’internationale de rugby, Gaëlle Hermet au centre.
En attendant les premiers résultats, les RUBieS continuent à faire des petits. Il existe désormais une vingtaine de clubs en France, et l’étranger vous fait de l’œil, notamment le Japon et le Canada.
L’Australie également. J‘ai passé un an là-bas et j’ai été invitée quelquefois dans des hôpitaux pour parler de l’expérience des RUBieS. Les Australiens sont très motivés, ils organisent la Coupe du monde en 2027 et ils souhaitent monter leur première équipe RUBieS la même année.
C’est quoi l’ambition à terme ? Que dans chaque structure de soin pour affections longue durée, il y ait ce parcours sport-santé ?
Lorsqu’on fait le calcul, on se rend compte que développer une activité physique adaptée, même en y incluant un coach formé, n’est pas ce qui coûte le plus cher, en revanche, tout cela doit émaner d’une vraie volonté. Donc, l‘ambition, c’est l’accessibilité, qu’il y ait des moyens partout.
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