« J’adore la gym, ça t’apprend à être forte et indépendante. » C’est Maggie Nichols, ancienne gymnaste de l’équipe nationale américaine – l’une des premières à avoir révélé les agressions de Larry Nassar – qui prononce ces quelques mots bouleversants au vu de ce qu’il se passait alors en coulisses.
On la découvre aussi, sur un film d’époque, toute petite, le sourire aux lèvres, confiante et légère, réaliser une impressionnante figure au saut de cheval.
Maggie Nichols a commencé la gym à l’âge de trois ans et a gravi les échelons avec un amour sans pareil pour son sport. Elle était même la numéro 2 de l’équipe Élite, la meilleure après la tornade Simone Biles.
Pourtant, elle ne sera pas sélectionnée pour les JO de Rio en 2016 : « La fédération américaine lui a volé son rêve olympique. On a tellement souffert de tout ce qui s’est passé », témoignent ses parents, brisés, face caméra. Mais que s’est-il donc passé ?
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Une incroyable enquête d’un journal local, l’Indianapolis Star…
Tout s’enclenche lorsque la rédaction du quotidien américain Indianapolis Star dévoile, en 2014, dans un premier article, que la Fédération américaine de gymnastique a étouffé cinquante-quatre plaintes d’abus sexuels contre des coachs.
En 2016, après un nouvel article contenant d’autres informations compromettantes, une ancienne gymnaste – Rachael Denhollander, l’Atlète A, titre du film en anglais – les contacte alors. Elle accuse de viol, non pas un entraîneur, mais un certain Larry Nassar, osthéopathe et médecin attitré de la Fédération.
Puis une autre gymnaste fait de même, et encore une autre, une ancienne olympienne dont l’avocat contacte le journal.
Lorsque cet article avec les témoignages de gymnastes accusant Larry Nassar d’abus sexuels est publié, la rédaction recense chaque jour de nouvelles confidences à charge.
Des gymnastes – qui témoignent dans le documentaire à visage découvert – prennent alors conscience de ce qui leur est arrivé : « Ce médecin me faisait la même chose ». Et s’engagent à le dénoncer : « J’avais encore peur mais je me suis dit : « Si c’est un pédophile, je m’en voudrais toute ma vie. » »
Sous prétexte de soins, le médecin de la Fédération américaine de gymnastique imposait notamment des pénétrations digitales aux jeunes gymnastes.
Où l’on découvre alors l’omerta organisée par la Fédération américaine de gym pour conserver une image « propre » au détriment de ses athlètes.
Une plongée glaçante au cœur d’un système éprouvant , opaque. Au coeur aussi des méthodes d’entraînement du couple Karolyi, Bela et Martha, entraîneurs emblématiques de la gymnastique de haut niveau, ceux-là même qui hissèrent l’immense Nadia Comaneci sur la première marche du podium aux Jeux Olympiques de 1976.
« On connaissait leur système mais on savait qu’ils gagnaient toujours », explique une ancienne gymnaste. Maltraitance verbale, psychologique et physique, politique de peur, d’intimidation et de silence. « Tout était bon pour tirer le meilleur d’une athlète », le mot « cruauté » est même lâché.
Le résumé d’une vie de gymnaste de haut niveau ? « Elles s’entraînent dans des centres nationaux dès l’âge de dix ans. Elles sont abusées et maltraitées. Et, une fois majeures, elles ne savent pas distinguer le style musclé d’un entraîneur d’un acte de maltraitance. Et quand elles sont victimes d’abus manifestes, sexuels ou non, elles doutent de leur perception des choses. »
C’est dans ce climat que la plainte de Maggie Nichols va être étouffée. Steve Penny, le président de la Fédération de gymnastique, avait assuré aux parents mener une enquête interne et avoir confié le dossier au FBI. Pourtant, rien n’a été fait et, étrangement, la jeune gymnaste ne se voit même pas sélectionnée en tant que remplaçante pour les JO.
Le documentaire démontre point par point comment une organisation responsable de tant de jeunes femmes a laissé, en toute connaissance de cause, un criminel en liberté. Pour éviter le scandale…
Une bouleversante reconnaissance pour les « survivantes »
Un documentaire qui veut que « la honte et le pouvoir changent de camp ». Images éprouvantes et très fortes que celles de ces centaines de victimes venant témoigner au procès, les yeux dans les yeux avec leur agresseur, pour se reconstruire, pour que justice soit faite.
Une première plainte avait été exprimée dès… 1997. Pourtant, pendant deux décennies, un prédateur sévissait sans être inquiété. Dans cette atmosphère d’intimidation et de restrictions, il était perçu, selon plusieurs gymnastes, comme « le seul adulte sympa parmi les adultes de la fédération », lui qui laissait des friandises sous les oreillers ou faisait rigoler la galerie !
Il a finalement été condamné, en 2018, au terme de son procès, à une peine allant jusqu’à 175 ans de prison.
Malgré cette victoire judiciaire, l’objectif de l’Indianapolis Star, est de mettre en lumière le système malsain de la Fédération américaine de gymnastique.
Le département de la justice américaine enquête pour sa part sur la Fédération, le Comité International Olympique et le FBI concernant leur gestion des allégations d’abus sexuels envers des athlètes.
Maggie Nichols, elle, a poursuivi sa passion en participant à des championnats universitaires, et semble avoir de nouveau le sourire et fait renaître cette « pêche » qui la caractérise : « J’ai retrouvé l’amour pour ce sport ! ».
Une conclusion déchirante après un si long calvaire.
« Team USA : Scandale dans le monde de la gymnastique », documentaire de Bonni Cohen et Jon Shenk, disponible sur Netflix (1h44).
- Netflix