Vous qui avez connu de longs moments de confinement en mer, que vous inspire cette période ? Comment la vivez-vous ?
Ce que j’ai vécu en mer n’a rien à voir avec ce confinement obligatoire. Mes courses en solitaire, je les ai toujours choisies. Ici, on parle de la moitié de la population mondiale contrainte au confinement, dans des conditions parfois difficiles, d’incertitudes économiques aussi.
Moi tout va bien, j’ai une petite maison, un petit jardin, je ne m’ennuie pas, je travaille, j’ai beaucoup d’échanges, de contacts que ce soit par téléphone ou en visioconférence, je fais partie des privilégiés.
Vous êtes présidente du WWF, le fonds mondial pour la nature. Pour vous, les atteintes à la biodiversité, les rapports de l’homme à la nature, sont à l’origine de cette crise, pourquoi et quelles leçons pensez-vous que nous devons en tirer ?
Ce n’est pas que ça, mais c’est la raison première.
Lorsqu’on laisse les populations animales vivre dans leur milieu, chaque population est plus ou moins vaccinée naturellement. Or, de plus en plus de milieux naturels ont été détruits par nos modes de consommation et de production, les Hommes sont de plus en plus en contact avec des animaux sauvages.
Toutes les grandes pandémies nous l’ont appris, c’est à peu près le même schéma à chaque fois : ce rapprochement favorise le passage de micro-organismes, de virus et de bactéries, des animaux vers les hommes et inversement.
Il faut bien se rendre compte que l’être humain a bouleversé 66 % de la terre et 40 % de la mer, ce ne sont pas quelques endroits à droite à gauche, mais les deux tiers de la planète !
Vous dites : « Lorsqu’on laisse la nature en paix, elle renaît. » Mais ce n’est qu’un répit. Que devrons-nous changer dans nos comportements après la crise ?
On a une fenêtre d’opportunités incroyables, car tout à coup les États débloquent des centaines de milliards pour lutter contre cette crise.
Donc, par exemple, quand on va donner de l’argent aux entreprises pour redémarrer, on peut faire en sorte que ce soit sous conditions.
Un outil vient d’être voté par l’Europe : une nomenclature de toutes les activités économiques qui les classe en vert ou en marron selon leurs efforts écologiques. L’idée au départ était de demander aux entreprises d’ici deux ans de faire l’inventaire de leur activité en fonction de cette typologie. Faisons-le dès maintenant !
Et répartissons l’argent en fonction de ça. La nomenclature existe, il faut s’en servir, et pousser dès aujourd’hui à l’évolution verte, favoriser l’économie qui respecte la biodiversité de la planète.
Sinon, on revivra comme avant : une autre épidémie, des désastres climatiques.
Cette crise peut-elle faire l’effet d’un électrochoc ?
Peut-être, car les citoyens, les États…peuvent avoir envie de vivre dans de bonnes conditions.
Cette crise nous apprend qu’on n’est pas les rois de la piste ! Il y a bien entendu un paquet de gens qui diront qu’il ne faut pas ajouter de contraintes au redémarrage économique qui est essentiel, mais il faut une vision sur le long-terme, réfléchir au-delà de la finance.
La vie, ce n’est pas seulement dans les 10 minutes qui viennent… Puisqu’on vit ce drame, faisons en sorte d’en tirer quelque chose de positif.
D’autant que le premier confinement a provoqué des effets inattendus : la baisse du trafic maritime dans le port de Cagliari, en Sardaigne, a permis le retour des dauphins ; à Venise, les eaux du Grand Canal sont redevenues limpides avec l’arrêt du commerce des bateliers, dans le parc national des Calanques, près de Marseille, on a constaté une fréquence d’animaux quasi inédite…
Quand on ralenti la cadence, ça marche ! Mais dès la reprise, il y aura un déferlement publicitaire pour “vite, vite“ faire ceci, faire cela, avoir ceci ou cela.
Et les canaux de Venise verront de nouveau des milliers de personnes défiler pour s’aérer l’esprit.
Donc, il faut devenir raisonnable ?
Pas raisonnable, mais tout est question de plaisir et de bonheur, et ce n’est pas un bonheur d’être confiné.
Le bonheur, c’est d’aller et venir comme on veut, mais on ne peut pas faire ça n’importe comment, la planète a des limites, donc il s’agit de s’adapter collectivement. Il faut arrêter de penser que l’écologie est punitive, c’est juste une façon de penser autrement.
Et selon vous, c’est en arrêtant de vouloir tout et tout de suite, de suivre aveuglément nos désirs… redonner du sens à nos vies en quelque sorte ?
L’humain a su s’adapter, changer de nombreuses fois, on ne vit plus comme au Moyen-âge. Ce n’est pas un problème.
On peut avoir plein de désirs sans toujours vouloir posséder ; avoir des désirs sans y répondre aveuglément. Est-il vital de prendre l’avion pour aller passer un week-end aux Baléares ?
Quel est l’intérêt d’avoir une perceuse chez soi quand on s’en sert quelques heures par an, on peut aussi bien aller en emprunter une chez son voisin qui lui est un grand bricoleur plutôt que de l’acheter ?
Nous sommes des animaux sociaux. Nous sommes faits pour vivre ensemble. On a besoin les uns des autres.
Après, ce n’est pas toujours idyllique, mais il faut remettre de la vie dans nos vies.
- Galerie Jean-Denis Walter