Dans quelques jours, vous mettrez le cap sur l’Angleterre pour y disputer la Coupe du monde en qualité de sélectionneuse de l’équipe de France, un poste que vous occupez depuis décembre 2022. La pression commence à monter ?
Je ressens beaucoup d’excitation, ça c’est une certitude. Nous avons hâte de voir ce que cet événement peut donner, ce sera la conclusion d’un projet de trois ans que nous avons mis en place et qui se termine par cette échéance-là. C’est beaucoup d’excitation, je le répète, mais aussi beaucoup d’envie, beaucoup de détermination et d’impatience. Nous sommes en pleine préparation, on sent vraiment la tension monter, mais sans stress pour le moment, avec beaucoup d’envie.
Cette échéance n’est pas l’acmé de votre carrière, il y a encore de belles années à venir, mais elle représente malgré tout un cap puisque c’est vous qui façonnez, depuis un peu plus de deux ans et demi, le visage et l’âme de cette équipe de France. À quoi souhaitiez-vous que le XV ressemble ?
Nous souhaitions transmettre des valeurs et que l’on ressente, sur le terrain, que les filles sont prêtes à tout donner. Quand on a la chance de jouer pour l’équipe de France, le but c’est de se donner tous les moyens de réussir les objectifs fixés et je crois que ça, c’est fait. L’idée était aussi de créer un groupe solide – joueuses et staff compris -, un groupe déterminé et qui avance dans la même direction. Tout cela, ce sont des choses que l’on a réussi à construire. Dans une Coupe du monde, il y a un versant sportif mais c’est surtout une aventure humaine. Il faut que tout le monde se sente bien avec cela, que les filles soient épanouies pour donner la meilleure image d’elles sur le terrain tout en allant le plus loin possible dans la compétition. Ce qui nous attend est un super évènement et je suis contente aujourd’hui du parcours qui est le nôtre, en espérant que l’on sera capable d’amener cette équipe de France aussi loin qu’on le pourra.
C’est, quoi qu’il en soit, une ligne de plus sur un CV inauguré à 7 ans, en 1994 à l’école de rugby de Trélissac. Vous avez débuté aux côtés de votre cousin Benjamin que vous suiviez partout et qui, un jour, vous a proposé de l’accompagner au club. C’est vraiment comme ça que ça s’est passé ?
C’est ça. Pour moi, le rugby est avant tout une histoire de famille. Du côté paternel, il y a peu de garçons mais mon père, mes oncles et puis mon cousin faisaient du rugby. Moi, je me cherchais un sport or je suis quelqu’un qui a besoin de se défouler, d’être dehors, de jouer en équipe. Un jour, mon cousin a vu une fille faire du rugby dans son école de rugby, ce qui était un événement à cette époque. Elle a fait un entraînement et ça ne lui a pas plu du tout mais lui, quand il est rentré le soir, il m’a demandé si ça ne me dirait pas d’essayer car il pensait que ça pourrait me plaire. J’ai eu la chance que mes parents disent oui direct. Je crois que mon père était content parce qu’il n’avait pas eu de garçon et là, je faisais le sport qu’il pratiquait, il me transmettait ça. Il m’a dit, avant de commencer : « Tu y vas mais, par contre, tu ne montres pas que tu es une fille, je ne veux pas te voir pleurer sur le terrain. » Ça a démarré comme ça.
J’ai fait un essai et ça a été la révolution pour moi, je n’ai jamais arrêté de pratiquer et, aujourd’hui, j’en ai même fait mon métier. Tout tourne autour du rugby pour moi, tout mon parcours a été basé sur le rugby et, quand j’ai arrêté de jouer, c’est la volonté de transmettre qui est devenue ma priorité.
Votre cousin, toujours, raconte que lors de votre premier jour au club, il y a eu un tournoi, l’éducatrice qui est responsable vous a fait jouer, tous les garçons voulaient vous affronter, et ils ont terminé le match en pleurant. Vous aviez, dit-il, le placage dans le sang. Vous, de votre côté, vous dites avoir ressenti une évidence, celle que le rugby allait être toute votre vie. Vous vous souvenez de ce qui fait naître cette certitude ?
Je pense que ce que j’ai aimé avant tout, c’est le fait que le rugby est un sport ouvert à tous. Petite fille, j’étais assez costaud et pas très grande, ce qui fait que j’étais assez limitée dans le choix d’un sport. Avec le rugby, j’ai senti direct que c’était fait pour moi et puis, il y avait aussi l’esprit d’équipe. Ce que j’ai adoré, moi qui étais la seule fille avec les garçons, c’est qu’ils m’ont soutenue tout le temps, il y avait une cohésion et on sentait qu’on pouvait tout tenter sur le terrain, qu’on ne serait jamais seul. C’est ça qui me plait le plus, ça et le démarrage avec mon cousin, le fait que ce soit une histoire de famille, que mon papa et mes oncles pratiquent. J’ai baigné dans le rugby et ce presque à l’extrême puisque, pour moi, il est vite devenu inconcevable de rater un entraînement, quitte à rater les anniversaires des copains le samedi et le reste.
Est-il vrai que cotre maman vous imaginait plutôt cavalière ?
Il est vrai que le premier sport que j’ai pratiqué, c’est l’équitation. Mes parents habitent un petit village en Dordogne et faire du sport nécessitait généralement de prendre la voiture. L’un des seuls sports pratiqués dans le village, c’était l’équitation et ma mère m’a proposé d’essayer, mais ça n’a pas du tout été concluant. Les chevaux et moi, nous ne sommes pas très amis et je n’ai pas du tout adhéré. Lorsque ma mère s’est aperçue qu’elle me mettait à l’équitation essentiellement pour le goûter parce que je ne voulais même pas m’occuper des bêtes, elle m’a vite sortie du club. Le rugby est arrivé à ce moment-là et ça a été une belle opportunité.
Vous débutez votre parcours à Trélissac et puis il va y avoir la Corrèze.
Oui, j’ai joué à Trélissac jusqu’à 16 ans, âge auquel on n’avait plus le droit de jouer ensemble, filles et garçons, parce que les corps se développent différemment et que ça devient dangereux. En Dordogne, il y avait une équipe qui s’appelle Neuvic-sur-l’Isle et dans laquelle j’ai pu jouer. Quand je suis arrivée, il n’y avait que des adultes, ce qui faisait de moi la petite jeune avec les seniors.
Par la suite, j’ai été repérée et contactée par Salon la Tour, toujours en Corrèze, une équipe qui évoluait en première division. C’était à une heure de route de chez nous mais mon père a tout de suite été d’accord à condition cependant que je valide mon bac. Pendant un an, j’ai donc fait les trajets pour aller m’entraîner. J’avais tellement envie de progresser, d’avancer, que ce n’était pas grave. Après mon bac, j’ai joué encore un an en Corrèze avant que Montpellier ne m’appelle. J’avais 20 ans et je suis partie là-bas.
Il a été facile pour vous de passer d’une pratique mixte à une pratique féminine ou seul vous importait de jouer ?
C’était le rugby avant tout ! Quoi quand il en soit, à 16 ans, je me suis retrouvée avec uniquement des adultes autour de moi et c’était encore une étape à passer, il fallait faire ses preuves. Ce n’était pas le rugby que l’on connait aujourd’hui, mais un rugby un peu plus terroir avec des joueuses qui n’ambitionnaient certainement pas le haut-niveau. J’ai passé une superbe année, j’étais très bien entourée, protégée, mais comme le rugby était ce qui comptait le plus pour moi, j’ai vite eu besoin d’aller voir ce qui se passait à un niveau plus haut. C’est de là que je suis partie à Salon la Tour. Il reste que chaque fois, ça a été des épreuves : quand vous êtes la seule fille avec les garçons, faut savoir sortir son épingle du jeu, même chose quand vous êtes la plus jeune d’une équipe et entourée uniquement d’adultes… J’ai toujours rencontré sur mon chemin la dose de défi nécessaire pour m’épanouir.
Puis ce sera Montpellier en 2007, le début d’une aventure en club fantastique qui sera récompensée par cinq titres de championne de France. À l’époque, vous n’êtes pas professionnelle et vous devez donc, au quotidien, mener de front une carrière de sportive de haut niveau tout en étant contrainte de trouver un moyen de payer les factures. Comment ça se passe pour vous durant ces années-là ?
Il fallait beaucoup d’organisation et de volonté, pour moi c’était essentiel. Mes parents m’ont beaucoup aidée, notamment quand je suis partie à Montpellier, mais pour moi, il n’était pas concevable de dépendre d’eux et il a fallu que je me mette au travail très rapidement. Au début, j’étais en STAPS puis sont arrivées les premières sélections avec l’équipe de France ce qui impliquait beaucoup de déplacements, sans compter les matchs le week-end. J’ai commencé à avoir du mal à tout mener de front et il fallait que je trouve un moyen de travailler rapidement. Le club de Montpellier cherchait des éducatrices, je me suis proposée et l’histoire est partie de là. J’ai commencé par être éducatrice pour les petites catégories puis j’ai passé des diplômes, j’ai été embauchée par le club, j’ai passé le DE et j’ai monté les échelons jusqu’à passer le DES, un diplôme de manager, ce qui m’a permis d’entraîner quasiment toutes les catégories du club, que ça soit des garçons ou des filles, et même le sport santé.
Toute votre carrière, vous allez être fidèle à Montpellier, si ce n’est une parenthèse de quelques mois à Richmond en Angleterre. C’est important pour vous cet amour du maillot ?
Je crois que c’est essentiel ! Quand je suis partie à Richmond, c’est une étape de ma carrière que j’ai construite avec le club de Montpellier. À l’époque, je me demandais si j’allais mettre un terme à ma carrière ou pas. Je sortais de la Coupe du monde 2017 et je n’étais pas satisfaite de mes prestations. Je pensais que j’aurais dû être capable de faire plus, que je n’avais pas été réellement à la hauteur de l’événement. C’était une grosse déception. À ce moment-là, j’étais capitaine de Montpellier et de l’équipe de France et j’avais un statut qui faisait que, même si je n’étais pas forcément la meilleure sur le terrain, et bien je jouais quand même. Ça manquait de challenge.
Montpellier avait noué un partenariat avec le club de Richmond qui cherchait des joueuses. Ça a été l’occasion de me challenger, de voir si j’étais encore capable de continuer à jouer à haut niveau et c’est pour ça que je suis partie une année là-bas. Mis à part ça, l’amour du maillot pour moi, c’est primordial. C’est ça qui vous fait lever le matin, qui vous fait vous dépasser, vous donner. J’ai connu mes premières sélections quand j’étais à Montpellier, c’est un club qui m’a aidée à me former, à avancer. Montpellier est et reste mon club de cœur et il était essentiel de lui rendre un peu de ce qu’il m’avait donné.
Vous avez reçu d’autres propositions que vous avez déclinées ?
Je n’ai jamais eu envie de quitter Montpellier. Il faut également rappeler que lorsque je jouais là-bas, c’était un club qui évoluait en haut de tableau. J’ai effectivement eu des propositions, mais beaucoup connaissaient déjà ma réponse. Le club de Montpellier m’a beaucoup donné et c’était important pour moi de le lui rendre en me donnant à fond sur le terrain, en me donnant à fond dans le travail et en restant fidèle.
Cette carrière de joueuse, à laquelle vous allez mettre un terme en 2021, a également été marquée par une belle épopée en bleu. Ça commence pour vous dès 2010 avec une première cape le 24 août contre l’Écosse, à l’occasion de la Coupe du monde. Vous dites d’ailleurs que ça a été une surprise totale. Vous ne vous attendiez pas à faire partie du groupe France si vite.
Oui, ça a vraiment été une surprise parce que, moi, j’avais zéro sélection avec l’équipe de France. Au mois de février, j’avais fait France A, à savoir l’équipe B, une équipe mixte entre les moins de 20 ans et l’équipe réserve qui ne jouait pas le tournoi des VI nations mais disputait néanmoins des matchs amicaux dans une optique de formation. Comme on était à quelques mois du début de la Coupe du monde, je ne me suis jamais dit que j’aurais l’opportunité d’y participer. Je me rappellerai toujours la façon dont ça s’est passé : on fait la finale du Championnat de France avec Montpellier contre Perpignan, il y avait le sélectionneur. À la fin du match, il passe me voir et me dit : « Tu vas te reposer un peu parce que dans 15 jours, tu viens faire la prépa Coupe du monde avec nous ! ».
Vous avez réagi comment ?
Je suis tombée des nues et je n’y ai pas cru et puis, quand je suis arrivée là-bas, je me suis dit quand ça vous tombait dessus comme ça, ça signifiait qu’il y avait des gens qui vous faisaient confiance et qu’il ne fallait pas les décevoir. Je me suis donnée à fond en sachant que c’était une première étape. Je pensais qu’au début, je serais partenaire d’entraînement et que ce serait normal, une belle expérience et puis je me suis dit, pourquoi ne pas tout tenter, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Au final, je suis partie en Angleterre à cette Coupe du monde et j’ai fait ma première sélection contre l’Ecosse, un des premiers matchs télévisés pour l’équipe de France.
Ça a été un événement exceptionnel pour moi et ça a forgé ma détermination parce que je suis sortie de cette Coupe du monde avec un seul objectif : passer les quatre ans à venir à en préparer une autre pour savoir ce que ça faisait de travailler durant tout ce temps pour préparer un événement comme celui-là. Quand on est rentrées, j’ai soufflé mais très peu et j’ai attaqué direct avec mon club, obnubilée par cette idée : aller de nouveau en équipe de France et y passer quatre ans pour vivre une autre Coupe du monde.
L’Équipe nationale, dont vous serez capitaine entre 2014 et 2017, va vous permettre d’enrichir votre palmarès avec deux titres en VI nations, dont un Grand Chelem en 2014 et deux autres Coupes du monde de rugby bouclées à la troisième place. Au moment de raccrocher, en 2021, vous vous êtes dit quoi ? Que c’était pas mal, un beau parcours, peut mieux faire, une petite frustration concernant un rendez-vous particulier ?
En toute honnêteté, je ne me suis rien dit parce que tout a été tellement vite pour moi ! En parallèle du rugby, j’ai toujours travaillé, entraîné et, en 2021, quand j’ai décidé d’arrêter, j’ai été prise direct pour le DES – j’étais une des rares filles à passer ce diplôme-là en compagnie d’entraîneurs de Top14 de Pro D2 –. Ensuite, j’ai été prise par Montpellier pour entraîner les espoirs du club ce qui, pour moi, était une grosse progression dans mon parcours professionnel. Il y a eu également les premiers rendez-vous avec la Fédération pour être assistante coach pour la Coupe du monde d’après…
Tout a été tellement vite que je ne me suis pas arrêtée pour regarder dans le rétro ce que j’avais fait. Je suis encore dans l’avancée d’ailleurs, dans cette idée de vouloir en faire plus tout le temps. Pour moi, je suis passée à une autre page et j’ai envie de découvrir et de montrer une autre facette de Gaëlle qui fait le maximum pour sa carrière professionnelle, toujours dans le rugby. Je ne parle jamais de mon parcours avec les filles par exemple, dans aucun discours je ne leur dis : « Avant, nous on a fait… ». Je regarde toujours vers l’avant. Peut-être qu’à un moment je le ferai, on m’en parle souvent, mais aujourd’hui, en ce qui me concerne, je ne mets pas de mots dessus. J’ai vécu des moments extraordinaires, c’est une certitude, et ils sont pour moi des boosts qui me permettent de continuer à avancer, à progresser et à donner le meilleur de moi-même dans ce que je fais à présent.
Vous n’aimez pas que l’on mette votre sexe en avant, mais il reste que, durant ces années, grâce au DES, grâce à votre nomination au poste d’entraîneur des avants chez les espoirs de Montpellier, vous avez contribué à défricher la voie, à montrer aux autres femmes que c’était possible.
Je sais que c’est important, que ça peut aider certaines de montrer la voie, de leur dire que c’est accessible, que c’est faisable mais mon combat à moi, c’est de démontrer que ce qui compte avant tout, c’est la performance plus que le sexe. Garçon ou fille, ce qui est important, c’est de se donner les moyens. Il ne faut pas se mettre de barrières, il ne faut pas se dire que quelque chose est inatteignable ou inaccessible, il faut donner tout ce qui est en son pouvoir pour essayer d’y arriver.
La façon dont je vois les choses, c’est ça. Je veux pouvoir me regarder dans une glace et me dire que j’ai tout tenté pour atteindre mon but. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir brisé des barrières. C’est vrai que quand je suis rentrée d’Angleterre, que j’ai retrouvé Montpellier, j’ai dit que je voulais bien reprendre mais je voulais évoluer. Je m’occupais des scolaires, du sport handicap, des personnes atteintes de cancers… tout cela m’avait énormément plu, mais j’avais envie d’aller vers la performance, vers l’ultra précision. Au début on m’a proposé d’aller vers les cadets mais pour moi, ils n’étaient pas en âge de tendre vers ça alors on m’a proposé les espoirs en me disant que l’on allait m’accompagner, m’aider parce que, pour les garçons, ce serait peut-être moins évident d’avoir une femme pour entraîneur.
Vous avez sauté le pas sans crainte ?
Au début, on m’a dit que j’aurais deux heures et qu’il y aurait quelqu’un à mes côtés pour m’accompagner et m’aider. Certaines pourraient se dire que ce n’est pas normal mais moi, à ce moment-là, j’ai pris ça comme une force. Je me suis dit : « Ok, ça veut dire qu’ils n’ont pas encore confiance en moi, mais je vais leur montrer de quoi je suis capable. » Je crois que c’est ça qui m’a fait avancer. Cette situation a duré deux semaines et, au bout de deux semaines, ils avaient compris que j’étais capable de le faire et aujourd’hui, les jeunes à Montpellier, que ça soit en espoirs ou même un joueur pro parce que ça m’est arrivé d’avoir des joueurs pros, ça ne les choque pas d’être entraînés par une femme.
Il m’arrive d’ailleurs de recevoir des appels de certains joueurs avec qui j’ai travaillé, qui sont en Pro D2 et qui me demandent de regarder leur match et de leur dire ce que je pense de leurs mêlées. Tout le monde m’avait prédit l’enfer et au final, c’est que du plaisir et du bonheur. C’est vrai qu’au début, vous prenez un coup sur la tête mais moi, ce qui me motive, c’est de me dire : je vais montrer que j’en suis capable et je vais casser les portes. En revanche, si je n’ai pas les compétences requises, je me résoudrai à faire autre chose.
Vous vous êtes retrouvée dans la même situation avec l’équipe de France. Vous devriez être l’une des très rares, si ce n’est la seule, sélectionneuse à la tête d’un XV national lors de la Coupe du monde à venir mais vous semblez imperméable à toute pression.
C’est vrai que j’étais la seule femme du VI Nations par exemple. Il n’y a pas de femme à la tête d’équipes nationales en Europe et, de mémoire, je pense qu’il doit peut-être y en avoir une pour cette Coupe du monde mais probablement pas plus. Pour ce qui est de la pression, je ne me pose pas la question. Je me dis que l’on m’a mise là, que l’on m’a donné une mission et mon seul objectif c’est de rendre ce qu’on m’a donné. On m’a fait confiance, je dois donner le meilleur de moi-même. Il est vrai aussi, et je le sais très bien, que si jamais je ne suis pas à la hauteur, que je me rate totalement et que je passe complètement à côté, ça peut peut-être refroidir des gens à l’idée de donner le poste à des femmes.
C’est pour cela que j’ai envie aussi de réussir pour les autres, de montrer que l’on a eu raison de me faire confiance et que les femmes ont, elles aussi, les capacités pour assumer ces responsabilités, mais je ne dirais pas que c’est un combat, je fais ça pour moi et pour montrer l’exemple aux autres, pour donner envie à certaines et montrer à d’autres que ce n’est pas parce qu’on est une femme que l’on n’est pas capable d’être à la tête d’une équipe de France.
Vous fonctionnez en duo avec David Ortiz à la tête de cette équipe de France. Est-ce que vous diriez que chacun apporte quelque chose de différent, quelque chose qui a trait à son sexe ou ça n’entre pas du tout en ligne de compte ?
Je pense que c’est surtout la personnalité qui compte. Le fait d’être avec David a été une étape ultra importante pour moi et quelque chose de fabuleux. C’est la première fois que je travaille en binôme, c’est la première fois que j’ai ces responsabilités-là de management et, en toute honnêteté, on ne se connaissait pas avant et on ne pensait pas que ça allait coller comme ça. Aujourd’hui, on est vraiment indissociables et on se fait grandir l’un l’autre. David ne connaissait pas le public féminin, moi j’en ai fait partie et lui apporte sa vision de l’extérieur, les impressions qui étaient les siennes lorsqu’il regardait les matchs des filles. On s’enrichit l’un et l’autre de tout ça et on apprend l’un et l’autre à manager notre groupe. Ce qui compte pour nous c’est être proche de nos joueurs, de nos joueuses, de les connaître sur le bout des doigts pour avancer ensemble.
Vous qui n’avez jamais arrêté de pratiquer depuis vos 7 ans, quel regard portez-vous sur l’évolution du rugby féminin ?
J’ai eu la chance de connaître une évolution fulgurante. Je pense qu’aujourd’hui les filles sont à 10 000 lieux d’imaginer ce qu’on a vécu avant parce que, même quand on vient à en parler, elles ne nous croient pas. Je crois que notre plus grande victoire a été de faire changer le regard sur la pratique féminine. Quand j’ai commencé, il fallait faire du rugby féminin mais, que ce soit les dirigeants ou les gens qui nous encadraient, même s’ils étaient présents, ils pensaient en général que ce n’était pas un sport fait pour les filles.
À l’époque, on n’osait pas dire qu’on faisait du rugby quand on était joueuse. Quand j’ai commencé à jouer mes premiers matchs contre de grosses nations comme l’Angleterre où la culture du corps est différente de la nôtre, j’ai découvert des filles beaucoup plus costauds que nous, des filles qui allaient en salle de muscu et, quand on nous a dit qu’il allait falloir se préparer de la même manière, les plus anciennes ne voulaient pas. Dans la rue, on disait déjà de nous qu’on était des garçons manqués alors si en plus il fallait en passer par la musculation ! Elle est là l’évolution principale, le changement de regard. Aujourd’hui, les filles sont considérées comme des athlètes, des sportives de haut niveau et c’est une des nos plus grandes victoires.
Que reste-t-il à conquérir ?
Il y a encore des choses à faire avancer parce que, quand on est athlète, quand on est sportive de haut niveau, ça implique tout ce qui va avec pour permettre aux filles d’avoir une vie décente. Lorsque j’étais joueuse, je n’ai pas connu ce qu’était les vacances. Elles me servaient à jouer avec le XV et, quand je rentrais, il fallait que je retourne au travail. J’ai vécu une vie à 10 000 à l’heure et je ne m’en plains pas parce que ça m’a fait grandir, ça m’a fait avancer mais aujourd’hui, la situation est différente pour les filles et il faut continuer.
Continuer à faire évoluer les infrastructures par exemple, faire en sorte qu’elles puissent peut-être s’entraîner en journée et pas le soir. Moi, ce qui m’a fait arrêter vers la fin c’est quand vous vous entraînez tous les jours, voire deux fois par jour, et que le soir vous rentrez à 21h30 chez vous et qu’il faut refaire le sac pour le lendemain, qu’à 7 h vous avez entraînement parce que vous ne pouvez vous entraîner que sur les moments hors travail. Tout cela finit par lasser parce que ça a des répercussions sur la vie de famille, si vous êtes en couple, c’est compliqué… Il faut continuer à travailler, mais je crois qu’on est tous sur la bonne voie.
Vous, la femme de défis, est-ce que vous avez déjà ne serait-ce qu’un embryon d’idée de celui qui suivra l’aventure en Bleue ? Sélectionneuse du XV masculin ? Présidente de club ?
Présidente de club, pour l’instant non. Je crois que j’ai envie d’être proche du terrain, d’être dans la vie d’un groupe mais néanmoins, je me connais parfaitement et je sais que, quand je n’aurais plus les capacités d’entraîner ou une fatigue différente, peut-être que oui, je me tournerai vers ça. Aujourd’hui, j’ai vraiment envie d’entraîner, j’ai envie de ne pas me fixer de limites, j’ai envie de voir les différents publics. J’ai eu la chance d’entraîner des espoirs, j’ai eu la chance d’entraîner l’équipe de France féminine, d’en être à présent la sélectionneuse alors, pourquoi pas aller voir plus haut, sur des clubs de Pro D2, de Top 14. Tout cela au fur et à mesure, pour voir jusqu’où je suis capable d’aller ?
Ouverture Gaëlle Mignot/Facebook
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