Déborah Ferrand« Pour sauter d’un avion, il faut être un peu dingue ! »
Militaire de carrière, sportive de haut niveau dans l’équipe de France de parachutisme civile et militaire, la multi-médaillée nationale et internationale Déborah Ferrand est une badass des airs. Fière ambassadrice des couleurs nationales, elle s’envole où bon lui semble, écoutant les signes qui lui viennent de ce ciel qu’elle tutoie depuis vingt ans.
Par Claire Bonnot
Publié le 19 septembre 2021 à 18h24, mis à jour le 28 octobre 2024 à 17h42
Tu es parachutiste, sportive de haut niveau et membre de l’équipe de France de parachutisme militaire et civile dans la double discipline Précision d’Atterrissage (PA) et Voltige, mais aussi recordwoman du monde de Précision d’Atterrissage (2011) ainsi que Championne d’Europe (2011) et Vainqueur de la Coupe du Monde… Comment et pourquoi as-tu débuté cette vie trépidante dans le ciel ?
J’ai toujours été attirée par l’aviation, j’habitais près d’Orly enfant et j’entendais chaque jour les avions. J’étais fascinée.
Puis, j’ai eu la vocation militaire assez tôt – je suis fille de policier, j’ai toujours aimé le côté uniforme, respect des lois… – et je me suis engagée en tant que fusilier commando dans l’armée de l’Air, en 2001, à l’âge de 19 ans.
C’est en prévision du brevet de parachutisme militaire que j’ai décidé de commencer à pratiquer le parachutisme.
Quelles ont été tes sensations quand tu as débuté le parachutisme ? Ça a été un coup de foudre ?
Oui, un vrai coup de foudre. Quand on commence, il est difficile de s’arrêter. Je me souviens de mon tout premier saut ! C’était le 3 juin 2001 à Nîmes. J’ai encore en tête le bruit de l’avion, de l’air qui s’y insérait, de l’odeur de l’essence…
Et quand je suis sortie de l’avion, il n’y a plus eu de bruit, le parachute s’est ouvert et je me suis dit : « Wahou, je vole ! ». Je n’avais jamais sauté toute seule, mais j’avais une envie folle de faire ça, je n’ai pas eu le vertige. C’est une notion de terrien.
Il m’arrive d’avoir de l’appréhension ou une boule au ventre, bien sûr, quand je m’élance de l’avion, mais c’est souvent parce qu’il y a un enjeu de compétition derrière…
Quelle a alors été ta formation sportive ?
Je n’ai pas eu de formation sportive en tant que telle, mais j’ai pratiqué ma spécialité, le parachutisme, en étant fusilier commando dans l’armée de l’Air, pendant deux ans, avant d’être détachée à plein temps pour faire du parachutisme en sport de haut niveau.
C’est en 2002, quand j’ai été affectée sur la base aérienne de Creil, dans l’Oise, que j’ai été repérée. Ils voulaient reconstituer une équipe de France féminine militaire.
J’ai intégré, en 2004, la même année, les deux sélections : l’équipe de France de parachutisme féminine militaire et civile. Je suis donc sportive de haut niveau et je représente la France.
Côté civil, ce n’est pas un sport très médiatisé et il est quasi impossible d’en vivre. Moi, si je n’ai pas l’armée, je ne mange pas.
Je fais partie du bataillon de Joinville du ministère de la Défense, alias l’Armée de Champions, et je suis sportive de haut niveau au sein du Centre national des sports de la Défense de Fontainebleau.
Il y a 150 sportifs de haut niveau, en contrat avec la Défense à plein temps et recrutés en fonction des places dans les armées.
Y a-t-il eu des grands sauts dans ta carrière qui ont fait celle que tu es aujourd’hui ?
J’ai progressé lentement, en fait. J’ai commencé la compétition en 2004, mais je n’ai eu mes premiers résultats qu’en 2009.
Le chemin a été long. C’est en 2009 quand j’ai battu mon premier record du monde (de précision d’atterrissage) que tout s’est enchaîné.
Ce qui a déclenché cette ascension, c’est ma préparation mentale débutée en 2008.
Malgré ce succès, on me disait que j’avais eu de la chance… mais je me suis dit que je pouvais le faire et ça a tout changé pour moi.
L’année d’après, je gagne deux Coupes du monde et, en 2011, je gagne aux Championnats d’Europe de précision d’atterrissage en individuel et je fais mon deuxième record du monde dans la discipline. J’ai donc mis tout le monde d’accord…
À partir de ce moment-là, quand j’arrivais en compétition, les gens connaissaient mon nom…
Ensuite, malgré de nombreuses compétitions et titres, le chemin a été long, je trouve, jusqu’à mon double titre de Championne du monde militaire et civile (en précision d’atterrissage) en 2018.
En 2014, on m’a volé un titre… Sans refaire toute l’histoire, j’ai protesté à ce moment-là, mais le jury s’est réuni très vite et a pris la décision d’annuler la première manche, ce qui a tronqué les résultats…
Ça fait partie des choses que je n’oublie pas, mais ça aide aussi à aller chercher le prochain titre !
Quand tu as la tête dans les airs, quel est la place du mental ?
Souvent, on me dit : « Tu as le caractère pour aller gagner des médailles puisque tu te balances d’un avion en train de voler ». C’est vrai qu’il faut être un peu dingue pour faire ça.
Moi, je suis jusqu’au-boutiste, je ne conçois pas de faire du sport pour le fun. J’ai clairement l’esprit de compétition, j’ai toujours envie de progresser.
J’ai grandi avec des icônes en tête, des femmes qui gagnaient des médailles. Mais la prépa mentale fait partie du sport de haut niveau, très peu peuvent s’en passer.
Elle aide pour structurer la visualisation, la préparation du saut, les gestes, la gestion de la pression et du contexte.
Ça aide à chaque moment : quand on n’a pas fait de résultats et qu’on on est en tête de compétition, qu’on se dit qu’il va falloir continuer à décrocher un titre…
Moi, je suis extrémiste dans ma pratique donc la gestion du mental m’apprend à être plus régulière.
N’as-tu jamais peur en vol ?
Ça m’arrive de temps en temps, sur des périodes où je suis fatiguée. Et puis, c’est un sport où le risque zéro n’existe pas, mais quand on respecte les règles de sécurité, théoriquement, ça doit bien se passer.
Ce n’est pas surhumain : moi, je sors d’un avion comme d’une voiture même si je suis consciente que ça peut paraître un peu « whaou » !
Le plaisir dépasse tout ça pour moi, c’est une sensation indéfinissable de pouvoir toucher les nuages.
Le fait de sauter en équipe aussi : quand je fais le largage et que je regarde sauter les filles, ça vaut tout l’or du monde d’attendre ensuite les résultats ensemble…
Moi, je voulais être pilote au départ, mais je n’avais pas le niveau en maths. Mais je ne regrette rien parce qu’il y a toujours un chemin qui nous attend quelque part.
Je dis souvent que je ne suis pas pilote d’avion, mais pilote de chiffon !
Je n’aime pas faire comme tout le monde, j’ai créé mon style ! D’ailleurs, je me fais peur quand je me vois en vidéo.
La phrase qui me guide, c’est le slogan Adidas « Impossible is nothing » parce que là où les gens voient des barrières, je vois des opportunités.
Sinon, j’essaie d’être impliquée dans mon travail car j’ai une immense chance d’être payée pour faire ce que j’adore. J’ai le sens du devoir d’où mon exigence avec moi-même.
Si je reviens d’une compét’ et que je ne ramène pas de médaille, ça ne va pas car c’est mon taff ! C’est un juste retour envers l’institution de l’armée qui me fait vivre depuis 2004 pour faire mon sport !
Est-ce que ce parcours dans les airs, dans l’armée et au sein des compétions les plus prestigieuses, t’a forgé en tant que femme ?
Oui, bien sûr ! Et, en tant que militaire femme, ça n’a pas été simple. Mais ça m’a appris à ne pas baisser les bras et à vouloir aller chercher plus haut, comme les hommes.
Quel est ton rêve absolu en sport ?
Je suis quelqu’un de très patriote donc l’idée était de ramener des titres à la France et de marquer l’Histoire ! Il y a toujours une part d’ego quand on fait de la compétition, je crois que c’est une ambition saine.
Je suis fière de dire que le titre en 2018 n’avait pas été gagné par une Française depuis 1960 ! Je sais que je suis reconnue comme une championne, on m’a dit « Tu n’as plus rien à prouver » et ça aide.
Mon rêve d’être Championne du monde, je l’ai atteint. Mais il y a des titres que je n’ai pas comme le combiné individuel précision d’atterrissage et voltige. Je suis actuellement dans une phase de bascule où je ne sais pas encore si je continue ou si j’arrête.
D’autant qu’en 2019, tu as vécu une période compliquée…
Oui, un incident difficile à vivre. Je me suis fait virer pendant un an par ma Fédération pour des raisons totalement injustes et arbitraires. Ça a créé une grosse remise en question surtout quand tu es championne du monde, que tu as donné quinze ans de ta vie à ton métier en laissant de côté ta vie perso…
Je n’exclus donc aucune option. Actuellement, je passe le concours pour être au grade du dessus, je me remets dans les bouquins… Et puis, j’aimerais passer le cap des dix mille sauts pour avoir un beau chiffre rond. J’en ai 9400 et j’ai 38 ans.
Ça nécessiterait une saison de plus… mais il faut faire attention à soi aussi, le sport de haut niveau, c’est sympa, mais il ne faut pas finir avec un déambulateur. Si je n’avais pas été virée, je ne me poserais pas toute ces questions aujourd’hui. J’écoute donc les signes et je les suis.
Que dirais-tu à celles qui n’osent pas se lancer dans le sport ?
D’oser ! De ne pas forcément écouter les conseils des parents qui disent, par exemple : « Je ne veux pas que tu sois acteur, c’est pas un métier ».
Il faut aller au bout de ses rêves et de ses ambitions ou, si ça capote, admettre que, parfois, on n’a pas la capacité d’aller au bout.
Mais, surtout, il faut continuer tant que le bonheur est là !
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