À tout juste 24 ans, tu es un jeune espoir de l’athlétisme français. Comment s’est écrite ton histoire d’amour avec ce sport ?
Le jour où j’ai gagné le cross de mon collège, je me suis dit que je devrais aller essayer le cours d’athlétisme. J’ai adoré car on y faisait de tout : de la course, de la longueur, du poids, des sauts de haies. En plus, j’avais un bon groupe d’amis.
Et, surtout, je gagnais les compétitions et ça aide à aimer un sport ! Au lycée, je m’entraînais 3 à 4 fois par semaine. C’est quand j’ai été Championne de France junior en 2015 que ça a été décisif pour moi.
Comme mes parents m’ont toujours poussée à faire des études, j’ai fait une prépa et je suis rentrée en école d’ingénieur à l’INSA Lyon. Mais je ne voulais pas arrêter l’athlétisme, c’était là où je m’épanouissais le plus. J’ai pu faire un cursus aménagé en sport étude.
C’était compliqué au début, j’avais du mal à trouver mon rythme et je ne savais pas m’écouter. J’étais en mode « Il faut toujours en faire plus si on veut réussir ». Mon corps m’a souvent dit non.
Comment as-tu réussi à conjuguer cette vie exigeante sur les deux tableaux ?
Tout était millimétré. Mes journées s’enchaînaient : j’allais en cours le matin, je m’entraînais le midi, je retournais en cours et je reprenais les entraînements juste après. Si j’avais du temps de libre ou des week-end sans compétitions, je prenais du temps pour bosser mes cours. Je ne me reposais presque jamais !
J’étais dans une logique de réussite totale. Ma vraie passion était l’athlétisme mais je savais qu’il allait être compliqué de vivre du sport. Je me donnais donc tous les moyens de réussir sur les deux tableaux. Ce rythme exigeant n’était pas du tout un sacrifice pour moi !
J’ai ensuite appris – suite à une blessure et une remise en question – qu’il était important de se dégager du temps pour se reposer. Une fois en école d’ingénieur, j’ai eu moins d’heures de cours et je me suis accordée des sorties avec mes amis, de vrais jours de repos.
Tu es spécialisée en Heptathlon, un combiné de sept épreuves d’athlétisme. En quoi consiste cette discipline ?
Les épreuves se déroulent toujours sur deux jours et dans le même ordre. La première journée est dédiée aux 100 mètres haies, au saut en hauteur, au 200 mètres et au lancer de poids. La deuxième au saut en longueur, lancer de javelot et à l’épreuve du 800 mètres.
Chaque année, on se rend compte qu’il faut travailler quelque chose en particulier. Au cumulé, on a sept minutes d’effort sur deux jours – sans compter les échauffements – donc c’est hyper intensif. Soit on fait avec ses points forts et c’est agréable car valorisant, soit on décide de travailler ses points faibles en gardant, le plus possible, ses bonnes aptitudes constantes. Moi, j’aime bien le saut de haies.
Et même si je n’ai pas trop de sensations avec certaines épreuves qui me sont difficiles comme le saut en hauteur par exemple, je suis toujours heureuse de venir m’entraîner au stade parce que l’avantage de ce sport, c’est la variété. Je suis une passionnée !
Depuis 2015, tu concours en championnats avec un beau palmarès à la clé. Quelle a été ta plus grande victoire personnelle ?
Il y en a eu deux. Celle des championnats de France junior en 2015 qui m’a totalement relancée dans ma carrière après de multiples blessures : une fracture de fatigue au dos qui m’a obligée à porter un corset pendant six mois et les ligaments croisés.
Et celle des championnats d’Europe à Berlin : petite, déjà, je me disais que ce serait exceptionnel si j’en faisais un. Y avoir eu accès à 22 ans m’a rendue hyper heureuse !
Et puis j’ai réussi à passer 1,70 mètre en hauteur ce qui était énorme pour moi. On m’avait dit que ce serait compliqué après ma reprise et j’ai réussi à faire tomber ces barrières.
Parvenir à faire quelque chose que personne ne croit possible, c’est encore mieux que de le faire seulement pour soi-même !
Comment se forge-t-on un mental d’athlète de haut niveau ?
Il y a une part d’inné je crois. Ne pas aimer perdre, vouloir toujours donner le meilleur de soi, ça peut être là depuis l’enfance et c’était mon cas… Après, ça se construit.
Moi, ça fait quatre ans que je travaille avec un préparateur mental. Au début, je me disais – et tout mon entourage aussi – « Tu es forte dans ta tête, c‘est pour ça que ça marche ! », mais il y avait quand même beaucoup de travail à faire.
On ne naît pas champion. Si on ne travaille pas sur ses aptitudes mentales, on ne peut pas atteindre le haut niveau. On a tous des points faibles mentalement et physiquement.
Pour moi, le plus gros a été la gestion des émotions et arriver à me détacher des regards extérieurs. J’ai donc appris à me recentrer sur moi-même.
En tant que femme, qu’est-ce que le sport t’apporte ?
Ça permet vraiment de bien s’affirmer, de prendre confiance en soi. Parce que je crois que ce sont des qualités qu’on ne nous inculque pas autant qu’aux hommes.
Quand on fait une course devant 60 000 personnes par exemple, eh bien, il faut pouvoir et accepter de se mettre en avant ! J’ai tout de même eu de la chance d’évoluer dans un sport où les femmes sont bien représentées même si ce n’est pas encore parfait…
Quelle est la place des femmes dans le milieu de l’athlétisme ?
En athlétisme, il y a presque autant de femmes que d’hommes, c’est un domaine sportif très ouvert aux femmes et nos performances y sont respectées. Après, c’est une autre paire de manches au niveau du traitement médiatique. Usain Bolt, par exemple, est omniprésent par rapport à un équivalent féminin qui a autant de médailles que lui…
Il y a aussi la question du décathlon, réservé aux hommes. C’est basé sur du sexisme. À l’époque, les femmes n’étaient pas autorisées à faire du saut à la perche, c’était jugé trop dangereux. Cela n’a été possible que dans les années 2000 aux Jeux Olympiques, les femmes ne pouvaient pas faire du décathlon avant cette date-là. Ils ont donc trouvé une formule un peu raccourcie : le heptathlon.
Moi j’aimerais bien faire du décathlon, je trouve que ce serait mieux pour la parité.
Un autre point négatif : mon entraîneur est une femme mais c’est l’une des rares du milieu. On compte 95 % d’hommes dans cette profession et c’est dommage. Car même si les entraîneurs masculins sont bien, il est plus facile d’être une femme pour comprendre et aider une autre femme dans tous les aspects du sport.
Et puis, dans la majorité des clubs, les entraînements se font le soir, entre 17h et 20h, horaires auxquelles les femmes sont généralement occupées avec les enfants… Il y a donc un manque de modèles féminins, ce qui les empêche de se projeter dans ce sport.
As-tu eu des modèles d’athlètes féminines ?
Quand j’ai commencé, je m’identifiais beaucoup à une championne du monde anglaise, Jessica Ennis, parce qu’elle avait ma petite taille. Et elle gagnait, donc je me disais « Si elle peut le faire, je peux le faire ! »
Je mesure 1,63 mètre alors que les autres athlètes font plutôt 1,75m/1,80m.
Jessica Ennis était sure d’elle. Elle assumait d’être la plus forte sans aucune arrogance. Elle ne renvoyait pas du tout l’image de la femme toute timide ou chétive qui est là on ne sait pas trop comment.
Elle assumait totalement sa position. C’est important de pouvoir s’identifier à de tels modèles !
Que dirais-tu alors aux jeunes filles qui veulent se mettre au sport ?
Qu’il y a un sport pour toutes les femmes, qu’il ne faut se mettre aucune barrière ou ne jamais se dire « C’est un sport d’hommes donc il vaut mieux que je fasse de la danse » par exemple.
Il faut s’écouter, oser y aller et ne pas hésiter à aller parler à d’autres femmes qui pratiquent ce sport. Via les réseaux sociaux ou au sein des clubs, échanger sur ce que ça leur apporte.
Je crois aussi en une éducation épanouissante. Que les adultes ne disent pas : « Non, tu ne feras pas de rugby, ce n’est pas un sport de filles… » car, petit(e), on n’a pas forcément le recul pour s’affirmer dans ses envies.
Avoir une communauté qui te suit – de sportives ou sur les réseaux sociaux – c’est motivant pour toi ?
Je m’inspire toujours des parcours des autres. J’ai beau avoir atteint le haut niveau de l’athlétisme, je n’en suis pas encore à décrocher des médailles internationales.
J’ai la chance au Pôle France de côtoyer des athlètes d’envergure et je n’hésite pas à aller leur parler, leur poser des questions ou même à les observer. C’est hyper important, il ne faut jamais considérer que l’on a fini d’apprendre !
Et je me suis aussi rendu compte que beaucoup de femmes m’écrivaient sur Instagram pour me demander des conseils. Plutôt que de répondre dix fois à la même question, ça m’a donné l’impulsion pour lancer un blog.
Comment tu vois ton avenir ? L’athlé comme métier ?
Comme j’ai compris qu’il est difficile d’être à 100 % sur tous les plans, je choisis désormais où mettre mon curseur.
Aujourd’hui, j’ai décidé d’être à fond sur le sport jusqu’en juillet-août 2020 pour l’objectif de qualification aux JO et, ensuite, je ferai mon stage de fin d’études en entreprise dans le domaine du consulting.
Le sport est cependant devenu la partie centrale de ma vie. Je développe donc un projet de lancement de blog et de commerce en ligne autour de la performance et de la santé. L’idée est de donner des conseils aux gens et d’essayer de les accompagner plus personnellement dans leur pratique du sport.
Je suis aussi très sensible à l’environnement donc j’aimerais y ajouter cette préoccupation.
Quel est ton rêve sportif ? Y-a-t-il un exploit particulier que tu souhaiterais réaliser ?
Ce serait d’aller aux JO de Tokyo cet été, puis à ceux de Paris, à la maison, en 2024.
J’ai plusieurs compétitions à venir pour me qualifier. Il me faut passer du Top 30 au Top 16 mondial.
Dans tous les cas, ce sera déterminant pour moi, car il n’y a rien de mieux que la compétition pour vraiment s’entraîner et progresser.
C’est vraiment lors de ces moment là qu’on est au sommet de l’intensité, de l’adrénaline !
Graine de championne
Diane Marie-Hardy affiche un palmarès fulgurant à tout juste 24 ans.
- 6 sélections en équipe de France
- Demi-finaliste aux championnats d’Europe de Berlin en 2018
- Demi-finaliste aux championnats d’Europe espoirs (U23) en 2017
- 10 podiums individuels aux championnats de France
- Vice-championne de France élite en 2018
- Championne de France junior U20 du 400m haies
Les dieux du stade… et les déesses ?
Dix épreuves pour les hommes, seulement sept pour les femmes… Sexiste ? Le décathlon reste la dernière épreuve d’athlétisme exclusivement réservée aux hommes dans les compétitions mondiales.
Ces « dix travaux d’Hercule » qui se déroulent eux aussi sur deux jours, ajoutent aux épreuves du heptathlon le saut à la perche et le lancer de disque. Aussi, les courses – au nombre de 4 – ont des longueurs différentes : 100m, 400m, 110m haies, 1 500m.
Pourtant, en 2001, l’IAAF* a décidé d’inscrire un décathlon féminin au calendrier des compétitions internationales.
Mais, dans les faits, ces épreuves accordées aux femmes sont très peu disputées et n’ont encore jamais été envisagées dans un grand championnat. Entre la transformation d’une discipline vue d’un mauvais œil par certaines athlètes, la peur de voir disparaître le heptathlon au profit du décathlon ou encore les coûts financiers et organisationnels de ce remaniement pour les instances sportives, le débat est toujours ouvert…
* La World Athletics est la fédération sportive internationale chargée de régir les fédérations nationales d’athlétisme et d’organiser les compétitions internationales mondiales.