Svana Bjarnason« Sans le sport, l’endométriose m’aurait fait sombrer dans la dépression. »

Svana Bjarnason : « Sans le sport, l’endométriose m’aurait fait sombrer dans la dépression. »
Elle est Franco-Islandaise et grimpeuse semi-pro. Svana Bjarnason, tout juste 34 ans, souffre d’endométriose depuis presque vingt ans. Une maladie qui ne lui a été diagnostiquée que très récemment, après des années d’errance médicale. Depuis, l’ancienne membre de l’équipe de France est entrée en lutte : contre la maladie et contre le silence qui l’entoure. Rencontre avec une fille qui a décidé de faire du bruit.

Par Sophie Danger

Publié le 22 décembre 2025 à 17h09

Tu es grimpeuse semi-pro et au cours de ta carrière, tu as évolué en équipe de France, tenté l’aventure olympique pour Paris du côté de l’Islande et enchainé compétitions et escalade de falaises… Le tout, en composant avec une donne extra-sportive, la douleur mais pas une douleur musculaire, une douleur interne très forte et qui a longtemps été non identifiée. Tu te souviens des premières fois où tu l’as ressentie ?

C’était au moment de mes premières règles, vers 13-14 ans il me semble. Je n’ai pas vraiment de souvenirs de ce moment-là, ce qui m’a vraiment marquée, au tout début, en ce qui concerne la douleur c’était le mal que je ressentais, non pendant les règles, mais pendant les rapports sexuels. Lors de certaines positions, j’avais l’impression de recevoir comme un coup de poignard hyper fort. Lorsque je suis allée consulter ma gynécologue, elle m’a dit que c’était à cause de la forme de mon utérus, ce qui fait que je ne me suis pas trop posé de questions.

Maintenant, quelques années plus tard, je sais désormais que c’était à cause d’un nodule d’endométriose et que je ressentais, à cette époque, les premiers symptômes de la maladie.

©Svana Bjarnason

À ce moment de ta vie, la douleur ne te gênait pas encore dans ta pratique sportive ?

Non, pas tant que ça. À l’époque, j’avais mal pendant les rapports et donc j’évitais certaines positions. J’avais également mal pendant mes règles or, on nous disait tout le temps qu’il était normal d’avoir mal à cette période du mois et comme j’ai rapidement pris la pilule, ça m’a beaucoup aidée. Tout cela a fait que je ne me suis pas posé de questions même si j’ai souvenir de crises plus fortes que d’autres, mais quoi qu’il en soit, pas aussi intenses que ce que j’ai pu vivre ces dernières années.

La douleur s’est accentuée au fil des années ?

Oui, ça s’est vraiment déclenché en mode extrême bien plus tard. Cette maladie n’empire pas chez tout le monde mais pour beaucoup d’entre nous, ça évolue dans ce sens au fur et à mesure des années. Quand les douleurs ont commencé, on me prescrivait du Spasfon et basta. Ce n’est qu’il y a trois-quatre ans que j’ai commencé à m’interroger davantage sur ce que je ressentais.

©Svana Bjarnason

Est-ce qu’il y a eu un élément déclencheur ?

J’ai vécu un avortement sous pilule il y a trois ans. J’ai été contrainte de le faire deux fois de suite parce que la première fois, ça n’avait pas marché et ça a foutu en l’air mon cycle menstruel. À partir de ce moment-là, je pouvais avoir mes règles toutes les deux semaines et j’ai commencé à avoir de plus en plus de douleurs. C’est ça qui a commencé à déclencher quelque chose chez moi, même si les douleurs n’intervenant que lors des règles, la situation était encore supportable. J’ai malgré tout vécu quelques crises vraiment extrêmes. J’ai d’ailleurs retrouvé un journal dans lequel j’avais écrit, après une séance d’entraînement, que j’avais tellement mal que j’en pleurais de douleur et que je me mordais pour avoir mal autre part.

J’avais envie de descendre de ma voiture, d’aller aux urgences mais je m’étais dit, là encore, que tout cela était normal parce que j’étais fatiguée des entraînements, parce que j’avais plus mal pendant les règles. J’étais encore, à ce moment-là, dans l’idée qu’il est normal d’avoir mal pendant ses règles, que ce n’était pas un signe problématique.

©Svana Bjarnason

Jusqu’alors ni ton entourage médical, ni l’encadrement sportif n’avait été en mesure de mettre des mots sur tes maux ou bien c’est toi qui n’en parlais pas ?

Je n’en parlais effectivement pas beaucoup. Il m’arrivait de dire que j’avais mal, mais je ne me plaignais pas non plus énormément, parce que, encore une fois, je pensais que c’était normal. Je pensais que j’étais un peu chochotte d’avoir si mal, que j’exagérais, je me cachais finalement un peu la vérité à moi-même. Le fait que j’ai une grosse résistance à la douleur entre aussi en compte. J’encaissais.

Quand j’ai commencé à avoir des crises extrêmes après mon avortement, j’ai commencé à en parler à mes parents et à une copine et ce sont eux qui m’ont dit que ce n’était pas normal et qu’il fallait aller voir quelqu’un.

Est-ce que le fait que tu composes aussi avec la douleur dans ta pratique de l’escalade n’a pas également contribué à ta prise de conscience tardive ?

Oui, je pense. J’ai une grosse résistance à la douleur de par le sport. Nous les sportifs, on est habitués à souffrir. Il faut arrêter de dire que le sport de haut niveau est un plaisir, il y a une grosse grosse part de souffrance par laquelle on est obligés de passer et il faut en être conscient. Je pense effectivement que tout cela m’a fait me cacher la vérité parce que, lors des cinq dernières années, je me rendais bien compte qu’il y avait quelque chose d’anormal dans ma situation.

©Svana Bjarnason

Tu pratiques en salle, tu fais également de la falaise, qui est une discipline exigeante et qui peut être dangereuse. Tu n’as jamais eu peur des conséquences possibles d’une crise pendant une session de grimpe ?

Ça m’est arrivé d’avoir une crise en pleine grimpe, en pleine compet’ aussi, mais malgré tout, le sport aide énormément. Quand je dis énormément, c’est ce qui m’a sauvée ces derniers mois parce que sinon, j’aurais fini dépressive. Faire du sport libère des endorphines naturelles et fait également que tu peux penser à autre chose. En gros, si tu es chez toi et que tu as mal au ventre, tu ne vas penser qu’à ça ; si tu fais l’effort d’aller faire un peu d’activité, ce qui est très dur, tu t’offres du répit.

Dans mon cas personnel, dans les moments où je grimpe, je ne sens pas la douleur. Par contre, dès que je m’arrête, tout revient. Il m’est déjà arrivé, à l’entraînement, de pleurer sur le tapis avant d’aller grimper, de faire mon bloc pendant cinq minutes et, une fois terminé, de pleurer de nouveau allongée sur le tapis.

©Svana Bjarnason

Et dans ces situations précises, personne, dans ceux qui t’entouraient, n’a pensé qu’il te fallait une prise en charge médicale ?

Non, parce que ça m’est arrivé récemment et mes partenaires d’entraînement savent désormais que je suis malade. Je n’ai pas vécu ça plus jeune, quand j’étais en équipe. Mes parents ne m’ont pas vue mille fois pleurer de douleur devant eux sinon ils se seraient inquiétés beaucoup plus tôt. Ils ont commencé à s’inquiéter quand je leur en ai parlé, avant je n’en parlais pas.

Après ton avortement, tu décides de consulter plusieurs gynécologues pour avoir plusieurs avis sur la cause de ton mal.

Oui. La gynéco que j’avais avant m’avait fait des échographies pelviennes qui étaient, me disait-elle, normales. Pour elle, il n’y avait rien. Elle me prescrivait, pour me soulager, des antidouleurs de plus en plus forts qui, au bout d’un moment, ne faisaient plus effet. Tout cela qui me faisait penser qu’il y avait quand même un souci.

Ce sont mes parents et ma pote qui m’ont poussée à lui parler de l’endométriose. Elle m’a fait une échographie qui était selon elle normale, j’ai demandé une IRM pelvienne. La radiologue que j’ai vue n’était pas formée à l’endométriose, l’IRM a été mal faite, et on m’a diagnostiquée une endométriose de niveau 1 sur 10, soit quasi rien. J’ai accepté le résultat pendant quelques mois, mais j’ai commencé à avoir des crises de plus en plus souvent. Je me suis alors dit qu’il n’était pas possible d’avoir aussi mal et d’avoir aussi peu d’endométriose. Mes parents en ont parlé autour d’eux et ont trouvé des chirurgiens spécialistes de cette maladie.

©Svana Bjarnason

Comment se sont passés tes rendez-vous avec ces spécialistes ?

Je ne leur ai rien caché, je leur ai dit qu’il m’était arrivé de vomir de douleur, d’avoir envie de m’évanouir tellement j’avais mal, de pleurer, que mes douleurs descendaient dans les jambes, dans le bas du dos, que j’avais eu des sciatiques… Ils m’ont alors dit qu’entre le résultat de mon IRM et ce que je décrivais, il y avait un monde. Ils m’ont envoyée faire une IRM avec un radiologue spécialisé en endométriose cette fois et, effectivement, ils ont découvert une endométriose sévère, profonde avec atteintes ligamentaires et nerveuses.

Tu as donc vécu des années d’errance médicale durant lesquelles on n’a pas réussi à trouver ce dont tu souffrais, durant lesquelles on ne t’a finalement pas prise au sérieux.

Personnellement, j’ai quand même eu de la chance parce que l’errance médicale, pour cette maladie, est de sept à dix ans, ce qui est vraiment énorme mais, moi, j’ai encaissé pendant dix ans sans chercher vraiment ce que j’avais. Je me suis penchée sur le problème ces trois dernières années sans être totalement proactive. À partir du moment où je l’ai été, il s’est passé un an ; six mois avant le diagnostic. J’ai eu des symptômes plus jeune et on aurait dû me diagnostiquer à ce moment-là si j’avais fait des échographies pelviennes avec quelqu’un de compétent, mais je n’ai pas poussé le truc.

©Svana Bjarnason

Ce n’est pas toi la professionnelle de santé, on dirait que tu prends une part dans de responsabilité dans ce qui t’est arrivé.

Oui, c’est vrai. Si tout s’était passé normalement, on aurait dû me prendre en charge il y a dix-huit ans.

Tu as ressenti quoi à l’annonce de ce diagnostic ?

Du soulagement ! J’ai pleuré, j’ai appelé mes parents et je leur ai dit que je n’étais pas folle, qu’il était normal que j’ai mal. C’est un peu bizarre mais c’est comme si j’étais contente qu’on me dise que j’avais une maladie : tout ce que j’avais vécu, ce n’était pas dans ma tête, c’était un vrai truc.

Ce mal qui te ronge tu vas lui donner un nom, Andy. Une fois identifié, le parcours du combattant n’est pas terminé pour toi. Il faut que tu te décides : opération ou pas. Les conseils que tu reçois sont contradictoires et tu es de nouveau perdue. Comment on s’y retrouve dans tout cela ?

On ne s’y retrouve pas, que ce soit pour l’opération ou pour les autres traitements… Tout cela, c’est parce que cette maladie est encore trop peu étudiée, trop peu reconnue et tout le monde a des avis différents dessus. L’autre problème, c’est qu’il n’existe pas une endométriose mais des endométrioses et on dit d’ailleurs qu’il existe autant de cas que de personnes touchées. Il y a plein de cas différents donc plein d’approches différentes avec certaines choses qui marchent pour certaines personnes et d’autres non. En ce moment, je suis encore entre plein d’avis médicaux différents et c’est franchement insupportable, très dur à gérer.

©Svana Bjarnason

Comment es-tu parvenue à te décider ?

J’ai vu quatre chirurgiens différents, j’ai décidé de faire confiance à deux d’entre eux qui me disaient des choses complètement différentes. Pour l’un, la chirurgie n’était pas recommandée parce que j’avais des lésions proches des nerfs, qu’il ne savait pas s’il allait pouvoir toutes les retirer et dans ce cas-là, ça ne sert à rien de se faire opérer parce qu’après, ça revient direct et pire… La seule solution qu’il me proposait, c’était de traiter la douleur. C’était terrible pour moi parce que, à cette époque, j’avais mal tous les jours, une douleur qui pouvait monter jusqu’à 8 sur une échelle de 10. J’avais déjà essayé pas mal de médicaments sans effet et je ne me voyais pas vivre comme ça.

L’autre chirurgien quant à lui était persuadé à 100 % que l’opération allait m’aider. C’est ce dont j’avais besoin : quelque chose de concret, pas juste un moyen de cacher la douleur avec des médicaments. J’avais confiance dans ces deux médecins mais c’est ce discours-là qui m’a fait pencher pour l’opération. J’étais au fond du gouffre et j’avais besoin de tenter quelque chose.

©Svana Bjarnason

L’opération s’est bien passée. Énorme bémol cependant, ton chirurgien a découvert, à ce moment-là, que tu souffrais également d’adénomyose.

La bonne nouvelle, c’était que l’équipe chirurgicale était parvenue à me débarrasser de toutes les lésions mais le problème en effet, c’est qu’ils m’ont découvert de l’adénomyose, qui est de l’endométriose à l’intérieur de l’utérus. L’opération, pour l’adénomyose, c’est le retrait de l’utérus or moi, je ne peux pas prendre cette décision-là tant que je n’ai pas eu d’enfant, tant que je ne sais pas si je veux en avoir ou pas. Il faut réussir à traiter ça autrement, avec des hormones afin d’arrêter les règles.

Tu es sous traitement ?

J’ai un stérilet hormonal pour bloquer mes règles mais, une fois posé, j’ai saigné pendant trente-cinq jours non-stop avec des douleurs jusqu’à finir aux urgences. J’étais de nouveau au fond du gouffre et j’avais envie qu’on me retire ce stérilet des enfers, mais mon chirurgien m’a conseillée de tenir encore un peu car les effets pouvaient être longs à survenir. Mais sur cette problématique du stérilet, là aussi les avis des professionnels sont partagés et tu ne sais pas à qui faire confiance.

Je suis sur un groupe Facebook de femmes qui ont de l’endométriose et c’est pareil, les avis divergent. Finalement, j’ai décidé d’écouter mon chirurgien, j’ai tenu encore un peu et les saignements ont fini par s’arrêter, les douleurs ont stoppé et j’ai eu dix jours de répit… Avant que ça ne reparte.

©Svana Bjarnason

Tu vis tout cela comment ?

Dix jours de répit, ce n’est pas incroyable mais ça donne un peu d’espoir pour la suite. Il y a beaucoup de hauts et de bas et je sais que ce n’est pas fini. Même si tu n’as pas d’adénomyose, il y a très souvent de la récidive. On appelle d’ailleurs l’endométriose, le cancer dont on ne meurt pas ! Il y a beaucoup de femmes qui se font opérer plusieurs fois, ça ne se guérit pas et j’en suis très consciente. Et même si on enlève l’utérus. Ça, ça guérit de l’adénomyose. Mais l’endométriose, elle, n’est pas dans l’utérus.

©Svana Bjarnason

C’est pour cela que tu as décidé toi, en ta qualité de sportive de haut niveau, de parler de cette maladie, de mettre ton expérience et ta parole au service des autres ?

Oui, cette maladie m’a un peu rendue féministe parce qu’une femme sur dix est touchée et il y a donc des millions de femmes dans le monde qui souffrent en silence. J’ai envie de défendre ça, j’ai envie que les gens soient au courant, j’ai envie que les hommes comprennent un peu plus. Personne ne pourra jamais se mettre à notre place et c’est pour ça que j’en parle ouvertement sur les réseaux sociaux. J’ai envie de dire au monde entier : « Mais putain, il y a des guerrières sur cette terre, vous ne vous rendez pas compte de ce qu’elles combattent. Alors, si elles annulent un truc au dernier moment parce qu’elles ont mal, ce n’est pas grave. Personne ne se rend compte à quel point elles souffrent. » Pour moi, c’est important de parler de ce sujet car l’endométriose, c’est à la fois, pour celles qui en souffrent, une charge physique, une charge mentale mais aussi une charge sociale.

©Svana Bjarnason

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