Emma Gongora : « Quand t'es une femme et que tu fais de la boxe, tu dois garder la tête haute. »Combattante professionnelle, coach sportive, 31 ans

Emma Gongora : « Quand tu es une femme et que tu fais de la boxe, tu dois garder la tête haute. »
Elle s’appelle Emma Gongora , nom de scène : Valkyria. Combattante professionnelle, cette Marseillaise d’adoption qui a tout plaqué pour vivre sa passion pour la boxe anglaise court depuis 2018 après un rêve, celui de devenir championne du monde. Confidences d'une warrior.

Propos recueillis par Sophie Danger

Publié le 10 septembre 2024 à 7h30

En 2018, lorsque je me suis dit que j’avais envie que la boxe devienne mon métier et non plus simplement un à-côté, j’ai eu envie, en parallèle de ma carrière, d’essayer de faire bouger les lignes en étant le grain de sable ou le caillou dans la chaussure, celui qui gêne un peu et qui nous oblige à regarder ce qui se passe, afin de mettre en lumière les femmes combattantes.

Quels moyens employer pour y parvenir ? Je ne le sais pas encore forcément si ce n’est que j’essaie de briller autant que je le peux sur le ring tout en veillant à rester moimême, à montrer mon côté féminin, sociable, énergique pour donner envie aux gens de regarder de la boxe féminine. Avant d’opérer ce virage vers la boxe professionnelle, j’ai longtemps pratiqué l’athlétisme, du 400m et du 400m haies précisément. Longtemps, ça a été mon sport de cœur jusqu’au moment où j’ai déménagé pour mes études et ça ne m’a plus convenu.

Je me suis mise en quête d’un nouvel exutoire qui me satisferait pleinement. À cette époque, beaucoup de mes connaissances pratiquaient la boxe, j’ai essayé à mon tour et ça été un peu comme une révélation.

©Emma Gongora

Je suis quelqu’un de discipliné, qui aime se donner à fond quand je fais quelque chose et là, je retrouvais tout ça : la discipline, les règles, écouter le coach et puis je pouvais me libérer en donnant des coups mais toujours avec respect, que ce soit à l’entraînement ou en combat.

C’est avec la boxe que j’ai pris conscience des problématiques liées au fait d’être une femme sportive. Je n’avais jamais ressenti ça en athlétisme, peut-être parce que j’étais très jeune, peut-être aussi parce c’est un sport ouvert aux deux sexes alors que la boxe est considérée comme une pratique masculine avant toute chose, pratique qui ne s’est ouverte à nous les combattantes que très tard. Malgré tout, nous les femmes y avons pleinement notre place, il suffit juste, pour la gagner totalement, que l’on continue à imprimer notre empreinte sur la discipline.

©Emma Gongora

Mes premiers pas, je les ai faits dans un petit club en Ardèche, un club de loisir avec quelques compétiteurs, alors je n’ai pas réalisé cela tout de suite. En revanche, lorsque je suis arrivée à Marseille il y a sept-huit ans maintenant, ça a été autre chose : tu passes la porte et, d’un coup, tous les regards se tournent vers toi, des regards un peu suspicieux. Tu sais qu’il te faut garder la tête haute et faire tes preuves pour gagner le respect de ceux qui t’entourent.

Bien évidemment, il n’y a pas que les femmes qui sont mises à l’épreuve, mais je pense que c’est différent pour nous malgré tout : lorsqu’un un homme entre dans une salle de boxe, on le regarde avant, très vite, de passer à autre chose. Quand c’est une fille, on se dit : « Qu’est-ce qu’elle vient faire ici elle, elle s’est perdue ? ». Devenir professionnelle a mûri progressivement en moi, aucun membre de ma famille ne pratique de sport de combat et je ne connaissais aucune fille dans mon entourage qui avait fait de la boxe son métier.

Je savais qu’il existait des boxeuses pros aux États-Unis bien entendu, mais je ne savais pas comment elles parvenaient à gagner leur vie. Tout a basculé en 2018, lorsque je gagne le titre de championne d’Europe de K1. À ce moment-là, j’ai envie d’aller plus loin, de décrocher le titre mondial mais il fallait pour cela que je compose avec mon travail et tout le reste.

©Emma Gongora

J’ai commencé progressivement à me renseigner sur la boxe pro et j’ai découvert, via les réseaux sociaux, qu’il existait des combattantes qui vivaient de leur sport. Ces filles habitaient, dans leur grande majorité, à l’étranger. En France c’était, et c’est toujours, compliqué de vivre de la boxe.

À niveau sportif égal, il y a un fossé entre la qualité de vie que peuvent avoir les boxeuses françaises et les boxeuses anglaises par exemple, je ne parle même pas des Américaines ! Je pense que cette différence tient surtout au traitement médiatique. Les téléspectateurs regardent ce qu’on leur propose et si on ne leur offre pas à voir du sport féminin – de la boxe pour ce qui est de mon cas – il est compliqué pour eux de s’y intéresser. Les combats féminins ne passent jamais sur des chaînes gratuites. Conséquences : nous avons du mal ne serait-ce qu’à être vues.

Malgré tout, j’ai décidé de me lancer à mon tour et je suis allée frapper à la porte de potentiels sponsors tout en mettant tout en place pour me professionnaliser au maximum. C’est grâce à eux et uniquement grâce à eux que je peux gagner ma vie. Je suis licenciée à la Fédération mais je ne reçois rien en retour.

©Emma Gongora

Pour combattre, j’ai deux solutions. La première, c’est mon promoteur. J’ai signé un contrat d’un an avec lui et, en échange, il me « doit » deux combats par an. Le budget par combat est d’un peu plus de 3 000 euros avec lesquels il va régler les frais logistiques de mon adversaire et de son équipe ainsi que sa prime de combat. La mienne de prime ne rentre pas dans l’enveloppe et c’est à moi de la trouver.

L’autre possibilité qui s’offre à moi est d’organiser moi-même mon combat en me greffant sur une affiche existante. C’est ce que j’ai fait lorsque j’ai décroché ma deuxième ceinture WBC francophone en octobre 2023. Pour l’organisateur du gala, c’était l’opportunité d’avoir une ceinture en plus. Pour moi en revanche, il a fallu que je m’occupe de la logistique et de trouver de l’argent pour payer les arbitres, mon adversaire, les taxes fédérales, celles de la ceinture ce qui m’a coûté au total 20 000 euros que j’ai pu auto-financer grâce à mes sponsors.

Si on résume bien, j’ai payé pour combattre alors que ça devrait être l’inverse, on devrait me payer pour que je combatte.

©Emma Gongora

On me demande souvent pourquoi je ne pars pas à l’étranger, mais si je prenais la direction des États-Unis par exemple, qui est la destination qui m’intéresse le plus, quel intérêt aurait un promoteur à me faire boxer ? Je suis une petite Française qui débarque de Marseille et que personne ne connait là-bas. Qui va acheter des billets ou un pay-per-view pour regarder mon combat ? Personne, à moins que je ne combatte contre une Américaine dont je ne serai alors que le faire-valoir, celle qui va venir et perdre pour faire briller son adversaire.

La boxe professionnelle, contrairement à la boxe amateure, est avant tout du business. Tous les jours, je me dis : « Pourquoi  ?» et j’essaie de trouver une raison qui me pousse à continuer. Il se trouve que j’en ai plein : je sais que suis faite pour ça, je sens également que je suis tout près d’y arriver parce que ça fait onze ans que je travaille dur et maintenant, je peux toucher mon objectif du doigt, celui de devenir championne du monde. Alors tous les jours, je m’encourage : « Tiens encore six mois, tiens encore un an… ».

©Flair France

Je sais qu’il y aura un moment où j’en aurai marre de tout ça, mais j’y crois encore même si c’est dur. En boxe, on prend des coups, on se fait mal physiquement, mentalement aussi, et en plus de tout cela, il faut se battre à l’extérieur du ring pour trouver des combats, pour trouver des financements, ce qui fait que je n‘ai jamais l’esprit libre.

Malgré tout, dans ma catégorie de poids, les plumes, on est environ 2 000 combattantes et je suis 24e mondiale. Pour continuer à grimper, il faut que je combatte, pour combattre, il faut que je trouve un budget, c’est un cercle vicieux et pourtant, j’ai la chance que mes sponsors continuent à me suivre. Je leur dois énormément, certains sont à mes côtés depuis mes débuts en 2018, ils croient en moi, en mes projets, ils font partie de mon aventure, tant et si bien que nombre d’entre eux viennent assister à mes combats.

©Emma Gongora

Si demain, une petite fille me parle de son envie de faire de la boxe et de devenir professionnelle, je lui dirai de foncer tout en lui conseillant fortement d’être bien accompagnée pour ne pas qu’elle perde de temps. Ça a été mon erreur. Au début, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, j’étais seule et j’ai perdu quelques années en route. Je dirai aussi à cette petite fille de s’entraîner dur et croire en elle-même, je la préviendrai qu’il lui faudra se battre mais aussi tenir bon quoi qu’il arrive.

Après tout ce temps, j’y crois encore, j’y crois toujours. Je sais que j’ai les capacités, il faut juste me laisser l’opportunité de le démontrer, ce que je m’apprête à faire le 5 octobre à Charleroi. Je ne sais pas encore qui sera mon adversaire mais, en cas de victoire, je pourrai intégrer le Top15 mondial et là, tout deviendra plus facile. »

Ouverture ©Emma Gongora

Elles aussi sont inspirantes...

Guila Clara Kessous : « En montant à la corde, j'ai osé faire ce qui me freinait depuis des années. »

Guila Clara Kessous : « En montant à la corde, j’ai osé faire ce qui me freinait depuis des années. »

Formée à Harvard et par le théâtre, elle a plusieurs cordes à son art. Guila Clara Kessous, entrepreneure diplomatique, s’engage depuis plus de quinze ans pour les droits des femmes. Et voilà que le sport entre dans la danse en un geste politico-artistique : grimper à la corde. Une ascension symbolique, une allégorie de la difficulté des femmes à s’élever dans la société. Prenons de la hauteur.

Lire plus »
Lison Bornot : « Je veux mettre en avant l’Ultimate. C’est lui qui m’anime. »

Lison Bornot : « Je veux mettre en avant l’Ultimate. C’est lui qui m’anime. »

Avec sa sœur Éva, elle truste les premières places depuis 2015 en Ultimate. Membre essentiel de l’équipe de France, Lison Bornot est Championne d’Europe outdoor 2023 et championne du monde d’Ultimate sur sable 2023. La voici maintenant en piste pour les World Games, l’antichambre des JO, qui se déroulent en Chine, du 7 au 17 août 2025. Témoignage d’une fille pétillante devenue l’une des ambassadrices françaises d’un sport trop peu connu.

Lire plus »
Diane Servettaz : « Avec le vélo, j’ai compris que même si ça flanche côté mental, t’en as encore sous la pédale. »

Diane Servettaz : « Avec le vélo, j’ai compris que même si ça flanche côté mental, t’en as encore sous la pédale. »

En à peine trois ans, cette passionnée de vélo a décroché un podium sur 500 kilomètres et bouclé sa première course d’ultra, la fameuse BikingMan, en tant que première féminine. Carburant aux défis, pédalant sans relâche, surmontant tous les obstacles grâce à un mental d’acier, la Savoyarde n’a pas fini d’enfiler les kilomètres dans ce sport de l’extrême. En piste !

Lire plus »
Emelyne Heluin: « Je sais pourquoi je cours, pourquoi je lutte. »

Emelyne Heluin : « Je sais pourquoi je cours, pourquoi je lutte. »

Gymnaste jusqu’à son adolescence, Emelyne Heluin a dû raccrocher le justaucorps après une prise de poids inexpliquée et d’autres symptômes invalidants. Diagnostiquée d’une maladie endocrinienne chronique et évolutive, le SOPK, à l’âge de 17 ans, elle erre pendant des années entre perte de confiance en elle et détresse psychologique avant de retrouver le chemin du sport comme outil de santé. Ce sera la marche, puis la course à pied jusqu’à se lancer sur des marathons.

Lire plus »
Loïs : « J’associe le sport à la vie : on essaie, on tombe, on se relève, jusqu’à avoir la peau en sang ! »

Loïs : « J’associe le sport à la vie : on essaie, on tombe, on se relève… »

Tombée dans la marmite du sport toute petite, Loïs, 17 ans, est une sportive tout-terrain qui n’a peur de rien et surtout pas des garçons sur un terrain de foot ou un ring de boxe. Future pompier professionnel, elle s’essaye autant au wakeboard ou au ski qu’au tennis et à l’escalade, histoire de s’éclater et de se préparer à s’adapter à toutes situations. Une tête bien faite dans un corps surentraîné.

Lire plus »

Vous aimerez aussi…

Le sport feminin

La laborieuse ascension du sport féminin

Le sport féminin est-il en danger ? Malgré les efforts entrepris depuis une trentaine d’années pour plus d’égalité en matière de pratique sportive, la situation n’évolue que doucement. La pandémie de Covid-19 n’a pas arrangé les choses. Ce serait même tout le contraire.
Décryptage avec Carole Gomez, directrice de recherche en géopolitique du sport à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et autrice d’un rapport intitulé : « Sport mondialisé : les défis de la gouvernance ».

Lire plus »
Iga Swiatek, un air de déjà vu…

Roland-Garros 2023, le récap’

Roland-Garros 2023 s’est conclu sur la victoire d’Iga Swiatek face à la surprenante Karolina Muchova. Avant ça, cette quinzaine parisienne dédiée au tennis a offert son lot de déceptions, confirmations, surprises… Place aux moments forts de cette édition 2023 du tournoi de la Porte d’Auteuil !

Lire plus »
Ana Carrasco

Ana Carrasco, la motarde qui fait souffler un vent nouveau dans les paddocks

Première femme à remporter une course de moto dans un Grand Prix, Championne du monde de vitesse, la pilote espagnole est une forte tête, peu soucieuse de ce que l’on dit d’elle. Les clichés, les stéréotypes, elle les balaye d’un revers de main gantée, les yeux fixés sur l’horizon. Son moteur, c’est la moto. Alors, accélérons un peu. Elle n’a pas que ça à faire. Portrait express de celle qui n’a besoin de personne…en Kawasaki.

Lire plus »
Laure Coanus

Le questionnaire sportif de…Laure Coanus

Arbitre de Jeep Elite, Pro B et Ligue Féminine de Basket (LFB), Laure Coanus est sur tous les terrains, sifflet juste et gestes assurés. Entre deux rencontres sportives, elle répond à quelques questions simples, mais si révélatrices !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner