Lucie Descamps « Dès que j'ai goûté au coaching masculin au roller derby, j'ai adoré ! »

Lucie Descamps : « Coacher des hommes au roller derby, j'adore ! »
Elle est connue sous le pseudo de « Big T ». Lucie Descamps, 31 ans, est une ancienne membre des Switch Blade Roller Girls, l’équipe historique de roller derby de Lille. Devenue coach des Barbiers de Sévices, la team masculine +, elle vient récemment d’intégrer les rangs du staff de l’équipe de France masculine et minorités de genre. Sans jamais renier ses valeurs.

Par Sophie Danger

Publié le 18 décembre 2024 à 12h14, mis à jour le 20 décembre 2024 à 10h09

Tu es une figure du roller derby lillois, une discipline que tu as découverte lorsque tu avais 20 ans. Comment ça s’est passé ?

Comme un peu tout le monde, j’avais vu le film « Bliss » et je connaissais la discipline parce que je trempais beaucoup dans l’univers féministe, au sens hyper large, sur les réseaux. Malgré tout, ce n’était pas vraiment ce que je recherchais et puis un jour, j’ai eu envie de faire du sport.

J’ai regardé ce qu’il y avait autour de moi qui pourrait me correspondre sachant qu’il me fallait un sport d’équipe, un sport avec des valeurs, un sport entre « meufs+ », sans mixité et j’ai découvert le Roller Derby Lille sur Facebook. J’ai repris des patins et je me suis dit : « Let’s go ».

©RollerDerbyLille

Tu rejoins les Switch Blade Roller Girls en 2013. Le club et l’équipe existent alors depuis deux ans. Jamais, tu n’avais eu la curiosité d’en pousser la porte ?

Non, je n’en avais pas eu l’occasion. À cette époque, les filles avaient déjà fait un ou deux matchs publics mais c’était encore assez confidentiel, il fallait vraiment s’y intéresser pour avoir les dates, tomber sur les affiches ou les bons endroits.

Tu ne pratiquais aucun sport avant de t’inscrire au roller derby ?

Pas vraiment. J‘avais fait de l’équitation, petite, avant d’arrêter par principe. J‘avais également fait un peu de volley aussi mais c’était au collège, ce qui fait que j’estimais ne jamais vraiment avoir fait de sport.

©DR

Tu évoques cet univers féministe qui t’étais familier, est-ce que le versant militant du roller derby a joué dans ton choix ?

Carrément Je ne suis pas militante pratiquante bien que je le sois dans l’âme, dans mes lectures et dans mes propos et cet aspect du roller derby a été le truc en plus, celui qui a fait que j’y ai adhéré. Avant que la discipline ne se « professionnalise » un peu plus, il y avait également un côté punk et DIY : le roller derby, c’était la débrouille, la débrouille pour se former en tant que joueuse, la débrouille pour monter des évènements... Il y avait tout à faire et j’étais émerveillée par les quelques nanas qui s’était engagées, ça changeait des clubs que je connaissais avec des présidents-présidentes que tu ne voyais jamais, des bureaux que tu ne connaissais pas, le bénévolat très peu accessible dans le sens où il n’y avait pas vraiment besoin d’en faire. 

C’est cette vision d’ensemble qu’offrait le roller derby dans la pratique sportive qui m’a beaucoup plu par rapport aux autres sports. Je me suis dit que ça avait l’air bien, en plus c’était un sport de contact, un sport qui mobilisait de la stratégie, de la condition physique, de l’endurance, du cardio, du patinage, de l’entraide

©Roller Derby Lille

Le côté contact que tu évoques n’a jamais été un frein ?

Non, j’aime le contact corps à corps quand c’est avec des « meufs+ », je le refuse avec des « hommes+ ». Ça aussi, ça m’a séduite car je me suis dit qu’en roller derby, il fallait y aller à 100 %. L’aspect gestion de l’agressivité inhérente à la pratique était également intéressant : le roller derby est un sport qui se veut agressif, appréhender le contact demande du self contrôle et une certaine compréhension de l’adversaire.

En somme, on se tape dessus et c’est ok, mais il ne faut pas oublier que face à toi, il y a une personne qui, comme dans ton cas, va retourner au travail le lundi matin en étant pleine de courbatures.

©Roller Derby Lille

Est-ce que tu qualifierais le roller derby de sport et, en quoi c’en était un ?

C‘était un sport parce que ça restait encadré dans des pratiques. On cherchait à se former à un sport dans lequel, en France, il y avait très peu de modèles auxquels se référer, mis à part quelques grandes équipes comme Paris ou Toulouse que l‘on regardait les yeux écarquillés parce que les filles jouaient très bien.

On avait également une discipline d’entraînement assez importante avec échauffements, renforcement musculaire et de la pratique avec étude de stratégies… Il y avait les moments sport, il y avait les moments événementiels, il y avait les moments de vie associative et tout ça était regroupé en une seule discipline.

De l’extérieur, il semble que de tous ces moments que tu évoques, pas un ne soit plus important que les l’autre, ce qui donne l’image d’une discipline hybride, à sport et espace militant.

À l’époque, oui. Malgré tout, certaines filles s’écartaient déjà de ce modèle en affirmant que le roller derby était vraiment un sport et c’était ok pour tout le monde même si nous, à Lille, nous n’étions pas totalement raccord avec cette vision. Notre envie était de créer de beaux événements, de s’éclater sur le track tout en étant performantes et en allant chercher des équipes qui nous challengeraient.

À l’époque, nous n’étions pas rattachées à la Fédération Française de Roller et Skateboard (FFRS), mais ça ne nous empêchait pas de créer nos propres structures, nos propres codes de classement ou de rencontres avec notamment Le Fantastic Eight, une sorte de championnat qui mettait aux prises les huit meilleures équipes en fonction du ranking. 

©Roller Derby Lille

Et vos propres codes avec une mise en scène des corps comme on n’en voit que très rarement en sport puisqu’elle est décidée non pas par des dirigeants mais par les pratiquantes elles-mêmes. Tout cela se traduit par ce qu’Orlane Messey qualifie de côté « badasse » très séduisant avec un maquillage soutenu, des tenues parfois outrancières…

Oui, ça effectivement fait partie de l’essence du roller derby et moi, ça m’a éclaté. À 20 ans, comme beaucoup, je n’étais pas aussi à l’aise avec mon corps que je peux l’être aujourd’hui, mais il m’est arrivé malgré tout de jouer des matches en collant avec une culotte rigolote par-dessus.

Tout cela ne m’empêchait pas d’être préparée mentalement, physiquement car, pour moi, cet aspect spectacle ne prévalait pas sur le côté sportif. Il reste que maintenant, ce côté grunge, punk avec nos bas résille a presque totalement disparu en France pour évoluer vers une « sériosification » du sport

©Roller Derby Lille

Il reste quelques vestiges de ce passé punk notamment à travers les surnoms « Big T » en ce qui te concerne – les noms des équipes… 

C’est vrai, même si on voit désormais certaines joueuses ou certains joueurs floquer non plus leur pseudo mais leur nom sur leur tee-shirt.

En France, le roller derby en France va vivre une enfance et une adolescence accélérées avant un passage à l’âge adulte qui va laisser apparaître des visions divergentes : certaines filles souhaitent évoluer vers une pratique plus sportive que spectacle jusqu’à rentrer dans le rang en intégrant le giron fédéral en 2014. Comment est-ce que tu as vécu ce virage ?

J‘étais assez éloignée de ce genre de réflexion quand j’avais 20 ans. Je faisais confiance à ma Ligue de l’époque, à toutes ces équipes qui, comme Toulouse et Paris, étaient devenus des équipes WFTDA Women’s Flat Track Derby Association – et montraient le chemin.

Pour ma part, j’appartenais à la branche qui voulait rejoindre la Fédé mais pas à n’importe prix. Il y avait des enjeux politiques avec lesquels je n’étais pas, ou ne voulais pas être, familière. Dix ans plus tard, je pense que nous parvenons encore plutôt bien à conserver un équilibre entre militantisme féministe et sériosification de notre sport.

©Roller Derby Lille

Lorsque tu dis que tu ne voulais pas rallier la FFRS à n’importe quel prix, à quoi n’étais-tu pas prête à renoncer ?

Rejoindre la FFRS pouvait éventuellement nous mener à une perte d’autonomie dans la gestion des problématiques propres à une Ligue de roller derby. Pour te citer un exemple, si certaines voulaient rester entre « meufs+ » et ne pas accepter de membres masculins, on ne savait pas si, en étant sous giron fédéral, ça pourrait encore être faisable. J‘avais peur que ce genre de règles viennent nous percuter et nous faire perdre notre droit à exercer nos valeurs dans notre pratique.

Ces valeurs féministes, antiracistes, anticlassistes, antivalidistes et anti beaucoup de choses je ne voulais pas y renoncer, elles me tenaient à cœur car ce sont elles qui donnent du sens à notre discipline, si on les enlève, le roller derby devient un simple sport à patins.

©Roller Derby Lille/Florine TB

En entrant dans le giron fédéral, le roller derby est malgré tout un peu obligé de se fondre dans le moule. Est-ce qu’il est possible d’évoluer sans se renier ?

Il faut faire des croix sur certaines choses, c’est certain. Il y a beaucoup de personnes mieux placées que moi dans le roller derby pour en parler mais, quoi qu’il en soit, je n’ai pas eu l’impression que la FFRS ait eu une énorme incidence sur notre manière d’envisager et de pratiquer notre sport.

De mon point de vue, on est entrées dans le giron fédéral, ça s’est fait et ça s’arrête là mais je n’étais pas dans les bureaux quand il y a eu discussion.

Quels ont été les avantages pour vous de rejoindre la FFRS ?

Ça nous a notamment permis de créer des structures de championnat avec des sections élites nationales, féminines et masculines, et ça, c’était chouette parce quon se référait tous à une même règle. Il y avait quelques questionnements, concernant le prix de la licence par exemple car il avait augmenté mais nous n’avions toujours pas de dédommagement pour les déplacements et on pouvait se demander où passait l’argent mais tout cela restait très superficiel.

Au final, on a pu conserver nos principes, nos valeurs et en même temps grandir parce quen tant que structure associative, on a accueilli des étapes de Championnat, ce qui était génial et ça a permis, je pense, à pas mal d’équipes et de Ligues de se développer.

©Roller Derby Lille

Tu évoquais les sections masculines, une évolution qui n’a pas fait l’unanimité dans le monde du roller derby. À Lille, vous avez voté et l’équipe des Barbiers de Sévices est née. De qui émanait la demande ? Des hommes ou de vous ?

Quand nous avons pris la décision, j‘étais encore simple membre de roller derby Lille. Un jour, nous étions au gymnase pour une réunion de club et on nous a simplement demandé si on souhaitait ouvrir le club aux personnes genrées masculines. À l’époque, j’ai voté non car, si je ne dis pas de bêtises, il existait deux Ligues à Lille, et l’une d’elles était déjà dotée d’une équipe masculine ou du moins, comportait dans ses rangs des mecs ou des potes « de » qui avaient chaussé leurs patins et pratiquaient.

Finalement, la majorité l’a emporté et on a ouvert le club aux personnes masculines+. La suite s’est enclenchée naturellement. Je me suis dit que c’était peut-être le moment de me lancer dans le coaching et j’ai créé l’équipe masculine de Lille. Je me suis vite rendu compte qu’il était faisable d’avoir une Ligue féministe avec des hommes dedans même si ça demandait beaucoup de précautions car l’histoire retiendra qu’il existe des hommes toxiques partout, même dans les ligues féministes les plus attentives.

Être attentive, ça signifie veiller à ce que les Barbiers de Sévices partagent obligatoirement vos valeurs féministes ?

Au début, les membres de l’équipe étaient tous cisgenres et quasi tous hétéros, ils me paraissent être des mecs chouettes, au service de la Ligue autant que moi je l’étais, qui pratiquaient leur sport et ne faisaient visiblement pas acte de misogynie ou de violences sexistes et sexuelles par exemple.

Tous n’étaient pas féministes. Du moins, disons plutôt qu’ils l’étaient mais que le féminisme a beaucoup évolué ces dix dernières années, qu’il s’est affirmé et élargi pour devenir beaucoup plus intersectionnel comme on le qualifiait à l’époque, à savoir antiraciste, antifasciste

©Roller Derby Lille

L’équipe a évolué depuis… 

Que ce soit à Lille ou en équipe de France, les collectifs sont composés de joueur.euses à savoir de personnes trans, de personnes non-binaires et de mecs cisgenres. 

Tu évoques l’équipe de France, dont la dénomination est équipe de France masculine et minorités de genres. Tu as intégré le staff il y a peu

Dès que j’ai goûté au coaching masculin c’était le seul ouvert à l’époque car toutes les équipes féminines étaient déjà pourvues de coachs – j’ai adoré, adoré permettre aux gens de se découvrir et les accompagner dans leur développement mental, physique. Intégrer l’équipe de France est tout récent. Ça avait toujours été un rêve secret et, en avril dernier, j’ai tenté ma chance, ça s’est concrétisé au mois de juin.

La dénomination « équipe de France+ » est très importante pour nous parce que ça ouvre. Nous avons des valeurs très très fortes avec le staff équipe de France sur ce genre de questions et nous sommes assez intransigeantes sur tout ce qui est comportement, on demande une irréprochabilité à nos joueur.euses que l’on ne retrouve pas, je pense, dans toutes les équipes nationales et c’est une de nos fiertés.

©DR

Tu continues à jouer en parallèle ou plus du tout ?

Je ne joue plus depuis quatre ans. J‘ai fait un burn-out sportif parce que notre équipe, les Switch Blade, évoluait en Nationale et visait l’élite, à savoir les huit meilleures équipes. On en avait le potentiel et on s’en est donné les moyens à raison de trois entraînements par semaine avec un staffcoaching qui n’était pas toujours hyper sympa mais qui voulaient nous voir performer.

Le problème c’est qu’on nous demandait des résultats et des engagements qui sont à la limite du professionnalisme, mais on restait bénévoles, coachées par des bénévoles qui n’étaient quasi jamais issus du milieu professionnel sportif. À un moment, j’ai décidé d’arrêter parce que je n’en pouvais plus et que j’étais trop cassée : mon genou grince tout le temps, j’ai fait deux traumas crâniens dont un qui n’était pas cool bien que sans séquelles.

Comme de nombreux sports, le roller derby est un sport qui abime, en plus nous sommes sur du contact, avec des mouvements qui se veulent violents et sont traumatiques. Je rechausse parfois pour des certains événements, mais des évènements un peu plus fun.

©Roller Derby Lille

Quelles sont tes ambitions en qualité de coach pour les mois à venir ?

Avec les Barbiers de Sévices, nous sommes en élite et nous ambitionnons d’y rester. En team France, on vise le podium mondial et nous en avons les compétences : les meilleures équipes, ce sont les équipes anglo-saxonnes (États-Unis, Angleterre, Australie…) et nous, la France, qui est l’un des berceaux les plus importants du roller derby dans le monde.

©Roller Derby Lille

Ouverture ©Lucie Descamps/Facebook

Vous aimerez aussi…

Marie Appriou « Le boomerang, c'est une histoire de famille. »

Marie Appriou : « Le boomerang, c’est une histoire de famille. »

Depuis près de vingt ans, son coeur fait boom. Marie Appriou, championne du monde de boomerang, s’apprête à remettre son titre en jeu. Ce 17 août, les championnats du monde débutent à Bordeaux. Et la Française compte bien prouver qu’elle est toujours une lanceuse de haut vol. Rencontre avec une nana qui n’a qu’une idée en tête : mettre son sport en lumière.

Lire plus »
Béatrice Barbusse : « Le combat dans le milieu sportif, il ne faut pas y aller seule car vous prenez très cher.»

Béatrice Barbusse : « Le combat dans le milieu sportif, il ne faut pas y aller seule car vous prenez très cher.»

Sociologue du sport, ex-handballeuse professionnelle, l’une des premières femmes en France à avoir été nommée présidente d’un club sportif pro masculin, Béatrice Barbusse est une militante acharnée de l’égalité des sexes dans le sport. Au micro d’ÀBLOCK!, elle revient sur son passé de joueuse, de présidente de club et sur les combats qui l’animent.

Lire plus »
Kim Ng

Kim Ng, la nouvelle boss du baseball qui frappe fort

Elle a su s’imposer dans un monde d’hommes. À 51 ans, Kim Ng est devenue manager général de l’équipe de baseball Miami Marlins. Une vraie révolution dans l’univers, jusqu’alors uni-genré, des sports majeurs aux Etats-Unis. Portrait d’une infatigable battante.

Lire plus »
Lyli Herse, la révélation du premier Tour de France féminin

Lyli Herse, la révélation du premier Tour de France féminin

Elle a été LA « coursière » la plus en vue du premier tour de France. Avec deux victoires d’étape et deux deuxièmes places, Lysiane Herse, dite « Lyli », petit prodige venu du cyclotourisme, a définitivement marqué de son empreinte la première tentative de « Grande Boucle » au féminin. La Normande bouclera cette course inaugurale à la quatrième place du Générale, battue au temps par la Britannique Millie Robinson.

Lire plus »
Le service à la cuillère ? Cékoiça ?

Le service à la cuillère ? Cékoiça ?

On ne l’emploie pas en cuisine mais sur les cours de tennis. Les pros de la balle jaune connaissent bien ce coup qui n’est pas des plus nobles mais qui a ses adeptes. Pour les néophytes, l’expression peut paraître un rien obscure. Alors, c’est quoi, à votre avis, le service à la cuillère ? Les sportifs et sportives, les coachs, ont leur langage, selon les disciplines qui, elles aussi, sont régies par des codes. Place à notre petit lexique pratique, le dico « Coach Vocab ».

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner