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Marie Martinod« Quand j'ai découvert le ski freestyle, j'avais 8 ans, j'ai été subjuguée. »

Marie Martinod : « Quand j'ai découvert le ski freestyle, j'avais 8 ans, j'ai été subjuguée. »
Deux fois gagnante au classement général des coupes du monde de sa spécialité, le half-pipe, elle a décroché l’argent aux JO de Sotchi en 2014 et de Pyeongchang en 2018, mais aussi la victoire aux X-Games à Aspen en 2017. La skieuse acrobatique Marie Martinod, aujourd’hui consultante dans les médias, a beau être un petit format, elle n’a pas sa langue dans sa poche. Et elle nous le prouve dans cet entretien signé du podcast 1m60max et ÀBLOCK!

Par Marion Griesemann

Publié le 13 juin 2024 à 16h15, mis à jour le 16 juin 2024 à 10h15

Tu es multi-médaillée dans ta spécialité, le half-pipe, ce qui veut dire que ta petite taille, 1,58m, ne t’a jamais dérangée pour performer ?

J’ai toujours été la plus petite de la classe. Clairement, quand je suis rentrée au Club de sport à La Plagne, j’ai un coach qui m’appelait Twingo. C’était la nouvelle toute petite voiture à la mode, je trouvais ça mignon. Après, ça m’a servi parce que c’est toujours plus évident d’être petit dans le sport sauf si tu fais du basket, mais d’avoir un centre de gravité bas, quand tu fais de l’acrobatie, c’est pas mal.

Et puis, j’étais petite mais je n’étais pas grosse, c’était plus évident aussi de faire le sport que je pratiquais. Donc je n’ai pas été plus complexée que ça finalement.

Ça veut dire que dans le ski acrobatique, il y a une taille un peu moyenne, en tout cas chez les femmes ?

Oui, les plus grandes, elles ont plus de difficulté à être stylées, à faire des choses. Tu vois, on a une note de style et plus t’es grande et plus tu prends de place : il faut s’accommoder d’avoir de plus grands bras, il y a une silhouette qui est moins esthétique.

©Airbag Park

Donc, c’est plus pour des raisons de style que de performance ?

Sur la performance, je ne pense pas que ça ait vraiment joué. Encore que, si tu regardes tous les sports un peu acrobatiques, c’est quand même rare de voir des grands gabarits. Il ne me semble pas avoir vu des filles performer pendant des années en mesurant 1,90m.

Tu justifies le fait d’avoir davantage réussi que les autres grâce à ton centre de gravité plus bas…

J’ai mieux réussi parce que j’étais déterminée. Mais c’est sûr que quand tu repères la phase d’atterrissage d’une figure, elle est plus évidente si tu as un centre de gravité plus bas. Et surtout, comme j’ai peu grandi, j’ai peu évolué à l’adolescence, donc je n’ai pas eu à me réapproprier mon corps.

Alors que tu as des filles qui étaient performantes à l’âge de 11, 12, 13 ans et qui ont beaucoup grandi. Et là, forcément, c’est compliqué parce que tu dois recommencer à te servir de ton corps correctement. Moi, j’ai toujours été “pote” avec mon corps.

©France Olympique

Tu as commencé le ski freestyle à 8 ans, c’était après les Jeux d’Albertville en 92…

Oui et j’avais été subjuguée par ces disciplines. J’ai embêté mes parents pour qu’ils m’inscrivent au club de sport mais j’étais trop jeune -j’ai failli dire “petite”. Ils m’ont prise quand même parce qu’ils ont vu que j’avais vraiment la niaque, l’envie.

Ensuite, c’est le parcours classique : je skiais tous les week-end, toutes les vacances scolaires, jusqu’à ce que je rentre au lycée. Puis, j’ai fait un ski études, où j’avais un trimestre complet dédié au ski, en contrepartie d’une année de plus en lycée.

À quel moment ta taille a-t-elle été un sujet ?

À l’entrée au lycée, je faisais bien vingt centimètres de moins que les autres et je pratiquais une discipline différente. Les filles faisaient quasiment toutes du ski alpin ou du ski de fond. Moi, je faisais du ski freestyle. Déjà, j’étais différente.

J’ai appris à en faire une force mais, au début, c’était compliqué. C’est pas juste parce que j’étais petite, mais parce que j’étais petite et que je faisais un sport différent. Je m’étais développée avec une grande gueule, j’avais une personnalité. J’ai avancé comme ça et du moment où j’ai commencé à vraiment gagner des courses à l’international et à me faire un nom dans le milieu, je retournais au lycée avec plus du tout le même statut et donc c’était plus facile.

©Freestyle Tour

Puis sont venues les compétitions internationales…

À la fin du lycée, j’ai commencé à en faire beaucoup et là je n’avais plus de soucis avec ma taille, ce n’était plus un sujet. La marque Ballester a commencé à développer ce qu’on appelle des “pro modèles”. Les skis portaient mon nom, étaient développés pour moi et évidemment mis sur le marché ensuite.

Et puis, avec l’arrivée des skis paraboliques -plus petit que les skis droits-, un véritable marché du ski de petite taille est né.

Tout démarrait bien, pourtant tu as arrêté, tu as fait un burn out.

Je pense que je ne l’ai pas identifié comme ça, mais c’était en effet une espèce de burn out. On parle de santé mentale des athlètes aujourd’hui, il y a quinze ans, vingt ans, on n’en parlait pas. Je me suis juste rendu compte que j’étais super malade, je faisais des crises d’angoisse terribles au moment de prendre l’avion, de partir à l’étranger. J’avais peur de ne jamais rentrer chez moi.

J’ai donc décidé d’arrêter. Tout simplement. J’ai tenu un bar de nuit pendant sept ans. L’avantage du bar, c’est que souvent il est surélevé par rapport à la salle. C’était plutôt drôle parce que les gens, tant que tu ne sors pas du bar, ils ne se rendent pas compte que tu fais 1,58m !

J’ai découvert ce que c’est d’être au dessus des gens, un truc que je ne connaissais pas du tout. C’était vraiment un nouveau monde. Le fait de regarder par-dessus, il y a un truc qui s’impose. Alors bon, il y a aussi le rempart du bar. Et puis les gens apprennent vite que c’est toi la tenancière. Même si quelques fois, on m’a fait le coup de « Est ce que je peux parler au patron ? ».

Je crois qu’après – je ne sais pas si c’est dû au fait de surplomber les autres-, mais il y a un respect qui s’installe, qui fait que les gens savent qu’ils sont chez toi.

Après cette expérience, tu as repris le ski ?

Oui. Pour faire court, le CIO a validé en 2011 l’entrée de ma discipline préférée, à l’époque le ski alpin, dans le giron olympique pour les Jeux de 2014. Mes anciennes copines du ski ont commencé à me casser les pieds, à me dire : « Il faut que tu reviennes », « On va aller aux Jeux Olympiques, il faut que tu essayes ». Elles ont fini par me convaincre.

En plus, j’ai eu un accident de voiture qui m’a beaucoup secouée et je me suis dit : « Peut-être que j’ai le droit de retenter ma chance ». C’est comme ça que ça s’est passé. J’ai appelé la Fédé, il m’ont mis un préparateur physique à disposition avec qui on a énormément bossé pour me retaper parce que j’avais eu une petite fille par césarienne et sept ans de bar de nuit, sept ans d’horaires décalés. Dans le gros de la saison, c’était dix heures en station, donc tu te couches à 4h ou 5h du matin après avoir fait le ménage et tu te lèves quand même à 10h parce qu’il faut faire la compta, remplir le bar…

Je dormais très peu mais ça m’allait bien. J’avais tiré un trait sur ma carrière, j’avais mis ça de côté, derrière moi. De fil en aiguille, j’avais trouvé mon bonheur ailleurs.

©annaleahadventures

Au final, tu te refais une santé, un physique, et tu participes à une saison de Coupe du monde qui se passe plutôt bien.

Je finis ma saison, j’arrive à me qualifier, je gagne les X-Games ! Puis, je gagne à la maison donc c’est un peu le feu d’artifices et ça valide ma qualification pour les Jeux d’hiver. C’est trop bien. Le plan se déroule à merveille, ça redonne confiance.

Mais, c’est bizarre à dire, je n’ai plus jamais eu cet excès de confiance que j’avais quand j’étais jeune, en revanche j’étais plus en paix avec moi même. Je savais pourquoi j’étais là, pourquoi je m’entraînais. J’avais compris plein de choses que je n’avais pas la maturité de comprendre quand j’avais 17, 18 ou 20 ans. Donc c’était trop agréable.

Donc là, pour le coup, sur ma taille, la seule anecdote que j’ai à ce moment-là, c’est que je suis qualifiée pour les Jeux, mais je perds tous mes partenaires. C’est de ma faute, je m’organise mal, toutes mes dates de fin de contrat tombent en même temps. Je me retrouve vraiment le bec dans l’eau. J’appelle alors mon préparateur de ski, le mec qui farte mes skis qui est un Américain et je lui dis : « Chris, je suis dans la panade, j’ai plus de skis. » Il me demande si j’ai essayé de contacter toutes les grandes marques de ski qui, pour le coup, sont souvent françaises. Salomon, Rossignol… Je lui réponds que oui sauf qu’ils ne font plus de skis à ma taille pour presser un ski.

C’est un peu technique, mais pour faire un ski, il faut le presser. Et les pièces, ça coûte très très cher et à ce moment-là, l’industrie du ski va vraiment moins bien. Donc, ils font des choix et tous décident de ne plus faire le ski double spatule (un ski relevé à l’avant et à l’arrière, Ndlr). Ils me disent tous qu’ils aiment mon palmarès, que mon histoire est intéressante, mais qu’ils ne sont pas capables techniquement de me faire des skis.

On te conseille alors d’aller voir un ancien ingénieur, Christian Alary, qui s’est mis à son compte et a monté sa marque.

Oui, c’était l’ingénieur en chef de la recherche et du développement chez Rossignol. Il a une nouvelle technique et donc n’a plus besoin de presse, il fait des skis dans un four. C’est parfait, il habite juste à côté de chez moi.

Mais on est en octobre, je pars pour la première Coupe du monde en décembre et, en plus de mes skis, il a quand même toutes ses paires de skis à sortir pour la saison à venir ! Il a été extra, il a dû bosser nuit et jour, mais il a sorti deux, trois paires. Finalement, je pars aux US pour la première Coupe du monde avec des skis que j’ai testé une fois, au glacier Tignes. Et je ne veux pas dire de bêtises, mais je crois que je gagne la première Coupe du monde de la saison avec ces skis-là.

Tu as été championne de ski, mais tu es aussi fan de moto. Est ce que la moto, quand on fait 1,58m, c’est facile ?

Quand tu fais 1,58m, pour toi, toutes les selles de moto sont beaucoup trop hautes ! Mais ça dépend comment tu vois les choses. Tu peux te dire ok, c’est abusé. Les constructeurs n’ont pas imaginé que, notamment chez les filles, tout le monde ne fait pas 1,80m. Mais bon, il y a des solutions. Il existe des super chaussures maintenant, des espèces de baskets un peu compensées où du coup tu touches les pieds au sol. Et aussi, tu peux faire creuser ta selle et ça se fait beaucoup.

Quand j’étais gamine, les scooters c’était impossible, tout le monde avait le speed side je sais plus quoi, mais moi, je ne touchais pas les pieds, c’était juste pas envisageable. Alors, on avait trouvé un scooter un peu type Vespa qui était beaucoup plus bas et pour le coup je touchais par-terre. Il a fallu l’assumer, c’était un mix entre une Vespa et une Harley-Davidson et des faux chromes et tout ça. Tu vois, dans mon village au fin fond de la vallée, il fallait l’assumer ! Finalement au bout de quelques mois, j’aurais jamais changé mon scoot, il était cool. Il n’y avait que moi qui en avait un comme ça.

Finalement, le regard des autres, sauf peut-être en dehors de la période de l’adolescence, ça ne t’intéresse pas car tu ne veux pas qu’il pèse sur toi.

Je pense que je me suis dit ça, mais que c’était plus complexe que ça. Très très tôt, j’ai voulu être la meilleure, gagner est certainement ancré en moi. Certainement parce que j’en ai bavé quand j’étais petite et qu’on avait décidé bêtement de faire de ma taille, non un problème, mais un argument, un sujet quoi. Ce serait abusé de dire que ça n’a pas impacté le reste de ma vie.

Tu mènes aujourd’hui une carrière de journaliste sportive, notamment sur RMC, est-ce qu’être une femme et qui plus est une femme de petite taille est un problème dans cet univers très masculin ?

Je n’aime pas me victimiser, je ne vais pas te dire : « Ah, si j’étais plus grande, je présenterais des émissions en plateau sur des chaînes françaises ». Maintenant, les minettes qui présentent des émissions sur les chaînes françaises, elles sont grandes, belles gosses. Et je le déplore. Je trouve ça dommage.

Là, on est dans la période où il faut mettre des filles partout. Je pense qu’il faut en passer par là au même titre qu’à un moment donné dans la politique, il a fallu imposer la parité pour pouvoir voir des femmes intégrer les conseils municipaux et même des postes de ministre. Et un jour, j’espère, on finira par ne plus avoir à parler d’hommes ou de femmes, mais simplement de la qualité du travail.

Inspirer des jeunes filles, remplir la fonction de rôle modèle, c’est quelque chose d’important pour toi ?

Oui, j’ai pu mesurer parfois que je l’étais et ça te met un peu la pression quand-même ! Lorsqu’après ma pause de sept ans, je suis revenue à la compet’ de ski, j’ai été face à des filles qui avaient 8-9 ans lorsque j’ai débuté et qui avaient regardé les vidéos de mes débuts. Et là, elles se retrouvaient en compétition avec moi et elles venaient me dire : « Tu étais mon idole quand j’étais petite. » C’est très agréable et ça revient encore aujourd’hui.

J’ai aussi été contactée par une jeune fille qui veut faire un film sur les pionnières du ski freestyle et elle m’a considérée comme une de ces pionnières. Et je peux pas vous mentir, c’est flatteur. Mais bon, j’espère avoir des choses intelligentes à raconter qui pourraient être inspirantes pour d’autres.

©Caisse d’Epargne

*Écoutez le podcast 1m60max, un partenariat ÀBLOCK!, avec Marie Martinod

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