Le 29 mars, tu tenteras de décrocher la Coupe de France avec tes coéquipières de Mulhouse au terme d’une finale qui vous opposera, comme l’an passé, à Nantes, équipe face à laquelle vous vous étiez inclinées 3-0. Comment abordes-tu ce rendez-vous ?
C’est un rendez-vous important. Une finale de Coupe de France, ce n’est pas seulement la finale d’une équipe mais la finale de tout un club, il y a d’ailleurs beaucoup de supporters qui vont essayer de faire le déplacement, beaucoup de familles de joueuses qui vont venir nous supporter. C’est une étape importante dans la saison : on espère jouer deux finales cette année et celle-ci est la première avec, pour l’une des deux équipes en lice, un titre qui sera, lui aussi, le premier de la saison.
C’est vrai que c’est un remake de la finale de l’année dernière, les deux mêmes clubs à ceci près que les deux équipes sont totalement différentes parce qu’en volley, tous les ans, il y environ 80 % de l’effectif qui change. Quoi qu’il en soit, on a hâte, on se prépare même si on ne peut pas vraiment avoir la tête totalement à la Coupe de France car il faut aussi se concentrer sur le championnat, mais le moment venu, on va la jouer à fond pour ne pas avoir de regret et toute l’équipe est très motivée.
En cas de victoire, tu décrocherais la deuxième Coupe de France de ta carrière, une carrière que tu as mis sur les rails très jeune, à 5 ans. Tes parents ont joué un rôle fondamental dans ton parcours, notamment ton père qui était passeur à Kingersheim, le club de tes débuts…
Oui, j’ai commencé très jeune, à 5 ans, parce que mes parents étaient tous les deux joueurs de volley. Ma maman m’a eue très tôt et a dû mettre fin à sa carrière à 24 ans je crois. Papa, lui, jouait en N1. C’est lui qui m’entrainait pendant que maman entraînait Lucas, mon petit frère qui est aujourd’hui, lui aussi, joueur de volley professionnel. Pour nous, le volley est vraiment une histoire de famille.
Par la suite, lorsque j’ai eu 15 ans, je suis partie à Châtenay-Malabry pendant deux ans au pôle France et ensuite, à mes 17 ans, j’ai rejoint l’IFVB – Institut fédéral de volley-ball - à Toulouse pour un an. Quand j’ai eu 18 ans, il a fallu que je trouve un club pro et Mulhouse m’a fait une proposition. Pour moi, c’était le moyen de revenir dans la région, de jouer à côté de la maison donc j’ai bien évidemment accepté, d’autant qu’à ce moment-là, mon papa était en pleine chimiothérapie pour traiter un cancer. Signer à Mulhouse me donnait l’occasion d’être à ses côtés.
Au fil des ans, j’ai évolué ici, j’y ai poursuivi mes études, rencontré mon compagnon… Toute ma vie s’est construite autour de Mulhouse, autour de ce club où j’ai pu grandir et évoluer en tant que femme.
Tu as d’emblée été fidèle au volley comme tu l’as été à Mulhouse ou tu t’es essayée à d’autres disciplines avant de t’impliquer dans celle-là ?
J’ai essayé la gymnastique, j’ai essayé le tennis et finalement, je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout sports individuels et beaucoup plus sports collectifs. Mon attachement au volley s’explique aussi par le fait que je suis dans les salles de sport depuis tout bébé parce que mes parents m’emmenaient partout avec eux. Le volley c’est à la fois un coup de cœur et une évidence et comme, en plus, j’avais des facilités, j’ai continué.
J’étais entrainée par mon père qui connaissait ce sport, c’était plus facile d’évoluer dans cette discipline. Quand on rentrait de l’école avec Lucas, mon frère, on partait tous les quatre à la salle de sport, Lucas sur un terrain, moi sur l’autre. C’était une histoire de famille, ça nous permettait d’être tous ensemble parce que nous avons toujours été hyper proches les uns des autres.
Lea entre sa mère et son frère Lucas…©Facebook
Avant de partir en pôle, tu vas suivre la section Volley+ au collège. Est-ce que tu envisageais alors le volley comme un sport qui au-delà de vous réunir en famille, pouvais t’emmener plus loin, de faire carrière comme ton père ?
Non, c’est venu progressivement. J’ai eu de la chance, parce que mon papa était coach et que j’évoluais, petite, à Kingersheim, un club où il y avait beaucoup de jeunes, où je me suis fait beaucoup de copines. Papa a su créer un groupe solide de filles parmi lesquelles il y avait par exemple Elsa Descamps, qui fait aujourd’hui du beach en professionnel, et avec lequel, tous les ans, nous jouions la finale de Coupe de France, que ce soit en benjamines, en minimes, en cadettes.
Puis, au collège, j’ai eu la chance une fois encore de rencontrer Florence Lesage, ancienne volleyeuse de haut niveau, qui gérait la section sportive. Ce choix d’orientation m’a offert la possibilité de m’entraîner encore plus et de disputer régulièrement la Coupe de France UNSS. J’ai progressé tous les ans, sans trop m’en rendre compte, et puis j’ai été détectée par Pascale Bonhomme et là j’ai pris conscience que je faisais partie, sans que je m’en sois rendu compte, des meilleures joueuses de France.
Tu réalises finalement que tu vas prétendre à évoluer au haut niveau lorsque tu t’apprêtes à quitter le cocon familial…
Oui, j’ai vraiment réalisé à ce moment-là, celui où j’ai dû partir de la maison. Ça a été compliqué pour moi de partir loin de Kingersheim et de me retrouver toute seule à Paris, dans un internat, à devoir batailler face à toutes ces filles du pôle France qui étaient super bonnes. Moi qui étais quelqu’un de très timide, très scolaire – peut-être trop – et sortir de chez moi, devoir me débrouiller toute seule sans papa et maman m’a finalement permis d’affirmer mon caractère et de grandir.
J’ai pris encore plus conscience du niveau qui était le mien lorsque je suis allée à Toulouse parce que là-bas, la sélection est encore plus resserrée et que l’on évolue non plus en équipe de France minime et cadette mais en équipe de France junior et que l’on prépare des échéances comme les Championnats d’Europe. Tous les ans, j’avais la sensation que je franchissais une étape, que je progressais et que je pouvais peut-être voir encore plus loin.
Cette parenthèse hors Alsace ne dure que trois ans. Tu signes ensuite à Mulhouse. Est-ce que le fait de revenir sur tes terres n’était pas un risque pour toi, celui de privilégier le confort au détriment, peut-être, de ta carrière naissante, de ne plus connaître cette progression qui était la tienne année après année ?
Je suis à Mulhouse depuis onze ans, pour certains ça semble beaucoup car généralement les filles restent un an dans un club mais mon histoire personnelle a fait que j’ai construit ma trajectoire ici. Lorsque je suis revenue, je suis retournée chez mes parents parce que j’avais besoin de ça, j’avais besoin d’être proche d’eux. Comme je n’avais pas encore eu le temps de passer mon permis de conduire, c’est mon papa qui m’emmenait au lycée tous les matins – j’avais le bac à passer – et après, je prenais le tram pour aller aux entraînements.
À cette époque, j’étais un peu le bébé de l’équipe, l’idée, comme je n’étais pas titulaire, c’était de continuer à me former avec Magali Magail, d’avoir mon bac et de passer le plus de temps possible avec mon papa. Deux ans après, il s’est éteint. Je suis devenue titulaire en club, j’ai eu mon bac, mon permis mais j’ai choisi de rester vivre encore deux ans avec ma maman parce que mon petit frère était à Montpellier, en centre de formation, et je ne me voyais pas rester loin d’elle.
Au terme de ces deux années, tu t’es malgré tout ré-engagée avec Mulhouse. Tu n’avais pas envie d’aller voir ailleurs ?
Je me suis engagée de nouveau avec Mulhouse mais cette fois, j’ai pris un appartement. J’ai passé ma licence, mon master, j’ai rencontré Hugo, mon conjoint, avec qui je vais me marier cet été… Finalement onze années ont passé mais onze années durant lesquelles ma vie a tellement évolué ! Tous les ans, je jouais dans une équipe différente, tous les ans il y avait un objectif différent. J’ai passé cinq ans avec Magali Magail, quand elle a décidé de devenir manager général, c’est François Salvagni qui a pris le relais donc nouvel entraîneur, nouveau staff, nouvelle façon de travailler. Le club en lui-même a beaucoup évolué aussi…
Je suis restée dans le même club mais je ne suis plus la même joueuse, la même femme, j’ai mûri, j’ai évolué, j’ai grandi.
Durant ces onze années, tu vas marquer l’histoire du club. Ça commence lors de la saison 2016-2017, Mulhouse remporte son premier titre à l’issue du Championnat avec, pour bonus, la supercoupe. 2016, c’est aussi l’année où tu perds ton père. Tu dis que le volley t’a alors servi de béquille, d’exutoire. Il semble que cette discipline soit devenue, au fil des années, bien plus qu’un sport pour toi, qu’il fait partie intégrante de toi, de ton équilibre.
Clairement. Je peux même dire que le volley m’a sauvée. En avril-mai 2016, j’ai un rendez-vous avec le président du club et Magali qui m’annoncent qu’ils ont décidé de me donner les clefs de l’équipe lors de la saison à venir. J’étais aux anges, je signe mon contrat, j’ai une augmentation et, le 14 août, mon papa part.
Une saison, ça commence à se préparer en août, j’ai passé les deux premières semaines auprès de lui à l’hôpital, la semaine qui a suivie a été consacrée à l’enterrement, aux cérémonies et je me retrouve alors avec un dilemme : je viens de perdre l’un des êtres les plus chers de ma vie et je suis censée être performante sur le terrain fin septembre pour la reprise du championnat. Ma mère m’a alors dit qu’il fallait que l’on sorte de tout ce brouillard dans lequel nous étions plongés et qu’il fallait aussi être claire avec le club : est-ce que je me sentais de faire une saison ou est-ce qu’on appelait Magali pour qu’elle recrute une autre libero.
Tu as opté pour le volley…
Oui, je sentais que j’avais besoin de faire du volley parce que j’étais triste, parce que je n’allais pas bien et parce que la chance qui m’avait été donnée ne se représenterait probablement plus à moi. Je ne savais pas si ça allait aller mais j’en avais besoin, besoin de retrouver le groupe, besoin de me vider la tête. J’en ai parlé avec Magali qui a été super.
J’ai commencé ma prépa, je suis allée courir sur le stade avec les filles, j’ai fait du physique et puis la saison a commencé et je suis rentrée dedans. J’ai été très bien entourée, avec beaucoup de joueuses d’expérience, on a fait une super saison et on devient championnes de France. Ça a été une saison de rêve : je suis titulaire pour la première fois, on décroche le premier titre de l’histoire du club que je dédie à mon papa. Je ne sais pas combien de larmes j’ai versé à ce moment-là !
En parallèle, tu fais tes débuts avec l’équipe de France A. l’aventure va durer deux saisons, 2018 et 2019, et puis tu vas clore, de toi-même, le chapitre pour te ménager du temps afin de pouvoir consacrer tes étés à ta famille, tes études… Tu n’as jamais eu peur d’avoir des regrets ?
J’avais envie, après la disparition de mon père, de le rendre fier. Et puis, c’était quelqu’un qui aimait tellement la vie, qu’il ne fallait pas que je m’arrête de vivre la mienne. En parallèle, du volley, j’ai choisi de continuer mes études, je savais à quel point c’était important et, j’ai commencé une licence en sciences de l’éducation. J’ai essayé, dès lors, de gérer le club et les études, puis j’ai été appelée en équipe de France, j’étais super contente.
J’y passe un été, puis un second et, au fur et à mesure, je me rends compte que je suis super solaire, que je rayonne sur le terrain en club mais que je ne suis plus la même lorsque j’arrive en équipe de France, que tout cela fait beaucoup pour moi. J’ai décidé de me poser pour réfléchir et j’ai réalisé qu’on ne pouvait pas tout faire : être titulaire en club, jouer le Championnat, la Coupe, la Champions League, gérer ma licence avec l’idée de poursuivre, par la suite, en master, prendre soin de ma famille, me ménager du temps avec mon compagnon qui est également sportif de haut niveau et performer en équipe de France avec une coupure d’une semaine seulement en répétant le schéma tous les ans.
Refuser l’équipe de France est un énorme risque dans une carrière…
J’aime faire les choses à fond. Quand je m’engage, je le fais à 1000 %. Aller en équipe de France sans être à 1000 % de mes capacités, sans être aussi performante que je peux l’être durant l’année, ça ne va pas. J’ai demandé un rendez-vous avec Émile Rousseaux, le sélectionneur, je lui ai dit comment était ma vie, que je ne pouvais pas apporter à cette équipe ce que j’aurais pu lui apporter si je n’avais pas été aussi proche de ma famille, si je n’avais pas eu un petit copain, si je n’avais pas poursuivi mes études… Il a compris et m’a dit qu’il appréciait mon honnêteté.
Le jour où j’ai arrêté, j’ai pris mes valises, j’ai quitté le stage en ressentant un soulagement intense au fond de moi et depuis, il n’y a pas un jour où j’ai regretté ma décision.
Même durant les Jeux olympiques l’été dernier à Paris ?
Même pendant les Jeux olympiques. Je suis allée à Paris voir Héléna Cazaute, ma meilleure amie, jouer. J’ai plein de copines que j’aime profondément dans cette équipe et que je vais supporter tous les étés. Je n’ai aucun regret d’avoir arrêté, au contraire, je suis hyper fière de moi. L’été, je peux partir en vacances avec ma maman, je peux écrire mon mémoire, organiser mon mariage… ça me permet de reprendre un peu le cours de ma vie, une vie que je mets entre parenthèses toute l’année, ça me permet de profiter, de lâcher pour revenir les batteries pleines et d’avoir la force de rempiler pour une année.
Ta priorité c’est, avant tout, de préserver le plaisir que tu as à pratiquer quitte, pour cela, à renoncer à d’éventuels titres avec les Bleues.
Exactement. Je ne joue pas pour l’argent, ni pour la notoriété, je joue pour mon plaisir personnel et le jour où je sentirai que je ne prends plus de plaisir, j’arrêterai le volley, j’arrêterai ma carrière et je ferai autre chose. Je veux vivre et je veux être heureuse dans ce que je fais. Tous les choix que je fais c’est pour ça, essayer d’être en accord avec moi-même, avec mes idées et tous les matins, lorsque je me réveille, je sais pourquoi je les ai faits.
Tu choisis de construire ta carrière comme tu l’entends et avec succès. Après le doublé 2016-2017, tu signes un triplé historique avec Mulhouse, en 2021 : championnat, Coupe de France et Supercoupe. Il y aura encore deux Supercoupes les années suivantes et cette saison est bien partie pour te voir enrichir un peu plus encore ton palmarès. Plaisir mis à part, après quels objectifs sportifs cours-tu encore, une distinction européenne en club peut-être ?
Cette année, et c’est tout nouveau dans le volley, la libero peut être capitaine. Découvrir ce nouveau rôle a été très intéressant pour moi. Pour le reste, avec es filles, on a envie d’un nouveau doublé. En 2021, lors du dernier, c’était l’année Covid, ce qui fait qu’on n’a pas pu le vivre avec notre public et c’était très frustrant. Cette saison, on a la possibilité de revivre ça avec nos supporters, nos familles, c’est très important pour moi et j’espère qu’on va y parvenir.
Pour ce qui est de l’Europe, tous les ans, on est engagées soit en Champions League, soit en CEV mais on affronte des équipes qui n’ont pas le même budget, ce qui fait que, même si c’est intéressant, on a du mal à être compétitives. Ceci étant, faire un beau parcours européen est aussi dans nos objectifs futurs.
La France est moins bien lotie que l’Italie ou la Turquie par exemple qui sont de grandes nations de volley…
En Italie, le volley est l’un des principaux sports ce qui n’est pas le cas en France et ça change beaucoup de choses. Les meilleures joueuses, en général, partent dans ces pays-là. Il y a également une autre donne à prendre en compte pour que l’on soit plus compétitives : en Italie, en Turquie, il y a obligation de faire jouer des joueuses du cru avec un quota à respecter. En France, il y a obligation de faire jouer une seule Française, c’est tout. Il y a plein de choses qu’il faudrait faire évoluer pour pouvoir aller chercher ces nations.
Est-ce que les Jeux Olympiques ont changé la donne ?
Je ne sais pas si cette impulsion olympique et les bons résultats des filles mais surtout des garçons qui ont décroché le titre, a permis à faire venir des abonnés dans les clubs et à faire bouger les choses. Ce qui est certain, c’est que les garçons ont trouvé les moyens de performer à l’international. Pour les filles, c’est en train de venir mais il nous faudrait plus de joueuses or, tout part de la jeunesse : pour que les jeunes volleyeuses montent en puissance, progressent, il faut qu’elles jouent.
Tu t’apprêtes à clore ta onzième saison avec Mulhouse depuis onze ans. Ce club, tu disais qu’il t’avait permis de grandir, comment tu décrirais la Léa de 2014 et celle de 2025 ?
La Léa de 2014, je dirais qu’elle était beaucoup plus timide, beaucoup plus introvertie. J’avais moins confiance. J’étais aussi quelqu’un de très insouciant et je découvrais un monde nouveau. Malgré tout, cette Léa-là a réussi et si elle a réussi c’est parce qu’elle a eu la chance d’être très très bien entourée, que ce soit par ma maman, par Magali, par tout un club qui a pris soin de moi.
Aujourd’hui, je pense être devenue quelqu’un qui est clair avec soi-même, quelqu’un qui est fier de soi et qui essaie tous les jours de dire merci à ceux qui l’ont accompagnée en leur redonnant un peu de ce que j’ai reçu de leur part.
Pour le moment, le volley est toujours ta priorité numéro 1. Toi qui es diplômée en sciences de l’éducation, est-ce que c’est la voie que tu penses emprunter lorsque tu auras décidé d’ouvrir un nouveau chapitre de ta vie ou est-ce qu’il y aura toujours le volley mais peut-être en tant qu’encadrante ?
Je n’en sais rien du tout pour le moment, mais c’est une bonne question. Je n’ai jamais travaillé de ma vie, j’essaie d’apprendre au maximum tous les jours, d’évoluer pour que, le jour où je décide de mettre mon maillot de côté, je puisse exercer un métier qui me plaise, dans lequel je m’épanouis. Dans quoi ? L’avenir me le dira, mais ce dont je suis sûre en revanche c’est que je ne deviendrai pas entraîneur !
Ouverture ©LNV