Le sport, tu l’as pratiqué dès l’enfance ?
Pas vraiment. J’ai commencé le sport vers la vingtaine, après mes études. Mon enfance et mon adolescence ont été un peu particulières : les activités sportives et le développement personnel n’étaient pas une priorité à l’époque. En revanche, j’étais souvent dehors.
Tu étais quel genre de petite fille ?
J’avais un tempérament plutôt déterminé, peut-être un peu masculin aux yeux des autres, car je cherchais à me faire reconnaître. J’ai grandi dans un environnement assez traditionnel et dans un village dans lequel les mentalités étaient plutôt fermées.
Tu découvres donc le trail sur le tard. Qu’est-ce qui t’a menée sur ce chemin ?
J’ai commencé à courir adolescente, un peu en cachette, car c’était mal vu de faire du sport chez moi : ça ne servait à rien aux yeux de ma famille et du village dans lequel j’habitais. Plus tard, vers la vingtaine, grâce à un voisin passionné de course à pied, j’ai intégré un club et finalement je me suis retrouvée, de sélection en sélection, à participer aux championnats de France de cross. Je me suis laissée porter par le plaisir de courir, sans stratégie ni préparation particulière. J’étais contente de pouvoir partager ça.
Qu’est-ce qui te faisait courir ?
Au départ, c’était un besoin de liberté et d’évasion, un moyen de me connecter à moi-même. La course à pied est arrivée naturellement dans ma vie, comme une façon de m’exprimer et de découvrir mes capacités. Elle a été la clé aussi pour « survivre » dans une période très tumultueuse.
Comment en es-tu arrivée à intégrer l’élite du haut niveau ?
Il a d’abord fallu un changement de vie. Les choses ont vraiment bougé pour moi vers l’âge de 27 ans : j’ai pris un congé sabbatique, j’ai vendu mon appart, et je suis descendue dans le Sud de la France. Mon rêve, c’était d’habiter dans le Var. C’était un peu chaotique, j’étais partie un peu comme ça, sans plan, et je ne connaissais personne. Je me suis donc inscrite sur un site internet qui proposait des activités à faire en collectif.
Là, je rencontre un certain Mathieu qui me propose de venir habiter chez lui car il avait un espace de libre. Au départ, je trouvais ça un peu dangereux, mais j’ai suivi mon intuition. Je m’installe donc chez lui, près de Toulon. Et je reprends mes courses en pleine nature. Un an après, je décroche un CDI et je repars dans ma Drôme natale. Mathieu me dit qu’il s’ennuie sans moi et, un soir, alors que je suis revenue le voir à Toulon, on se décide pour un truc fou : faire un tour du monde. On est en 2013 et, à ce moment-là, j’ai mis le sport entre parenthèses. Pourtant, on baroude dans treize pays, ce qui est assez physique.
En rentrant, je me sens totalement déconnectée de la société de consommation dans laquelle on vit. Ce qui me sauve ? De reprendre le trail. Alors, je m’inscris à des courses et je suis vite repérée par New Balance dont j’intègre la team. Là, je découvre vraiment le monde du trail avec toutes les compétitions et la notion d’équipe. Et puis, de fil en aiguille, j’intègre la team Hoka One One international. Je passe ainsi sur le haut niveau, en élite, et je deviens aussi ambassadrice de marques de sport reconnues. Pour autant, si je récolte des primes en fonction de mes résultats et que je décroche un petit salaire fixe, je dois continuer à travailler à côté. Je suis alors semi-professionnelle.
Tu performes très vite. Quels sont tes atouts ?
En gros, au départ, je bourrinais, tout simplement. Comme font la plupart des gens d’ailleurs. Je faisais les choses avec une certaine naïveté, mais une grande détermination. J’avais conscience que je faisais les choses un peu n’importe comment, sans stratégie, avec une alimentation pas du tout adaptée. Les stages et les entraînements avec mes différentes teams m’ont permis d’affiner tout ça.
Et tes foulées sont couronnées de succès…
À ce moment-là, en 2017, j’obtiens une première qualification en équipe de France et le titre de vice-championne du monde de trail. Pour autant, je vois bien que je n’ose pas encore prendre ma place. Sur cette course, tous les espoirs de l’équipe de France étaient sur Adeline Roche (aujourd’hui Adeline Martin, Ndlr). Il y a eu trois secondes entre nous, je n’ai pas osé passer devant. Mais je ne regrette rien car ça a été un déclic pour moi. Je me suis penchée dès ce moment-là sur la préparation mentale.
Le succès n’a donc pas boosté ta confiance en toi ?
En fait, j’ai été prise dans une vague médiatique qui m’a totalement submergée, je n’avais rien anticipé. Les sponsors, qui étaient mes partenaires, attendaient de moi d’avoir les bons mots face aux médias, je devais être performante, je devais tout gérer… J’étais juste la fille qui court pour le plaisir, le partage, le bien-être, la découverte et je me suis retrouvée projetée sur le devant de la scène… Ça a été un tsunami émotionnel pour moi.
Comment as-tu géré ce changement de paradigme ?
Mal… Ce que je vivais en course était complètement décorrélé de ce qu’on pouvait percevoir de moi dans les médias. J’ai fait de super classements dès 2017. D’un point de vue extérieur, c’était la saison parfaite, j’étais la nana qui avait trop de chance : vice-championne du monde de trail, championne du monde par équipe, 3e Française à boucler la mythique course de Sierre Zinal en moins de 3h10, 3e à l’OCC à Chamonix (la finale du circuit UTMB World Series dans la catégorie 50K, Ndlr), 1re à la Mascaraignes, la « petite » course du Grand Raid de la Réunion. Mais, moi, j’étais en train de mourir de l’intérieur…
En 2018, je sens bien que ce n’est plus pareil pour moi. Je suis à nouveau sélectionnée en équipe de France pour les championnats du monde de trail par équipe, mais on est presque dans de l’ultra-trail, le format est de 85 km. Ça ne me plaît pas, mais je sais que certains rêveraient de porter le maillot tricolore, je ne veux pas décevoir, alors j’y vais. Mais, là, encore une fois, je ne fais pas les choses pour moi. On se classe deuxièmes.
À partir de là, ça a été le début de la descente en enfer pour moi. Je ne savais plus qui j’étais. J’avais complètement perdu mon identité. Je remettais tout en question.
Qu’est-ce que tu découvres ? Que la compétition n’est pas faite pour toi ou que tu veux l’aborder différemment ?
J’avais perdu l’essence, la petite flamme, la passion, ce petit truc qui fait que tu t’amuses… Ce n’était pas un burn-out sportif ou physique, je n’avais pas « trop poussé la machine », c’est surtout que, mentalement, je n’avais pas eu le temps d’assimiler. Côté mental, dans le trail de haut niveau, il y avait un peu l’idée qu’on était des surhommes. Parler de ça, c’était faire aveu de faiblesse, à l’époque. J’ai donc fait un gros travail sur moi, qui a été quand même assez pénible. Je me suis sentie très isolée, incomprise…
Tu décides donc d’arrêter l’équipe de France et tu investis dans ton développement personnel , c’est ça ?
Le revers de la médaille de tout ça, littéralement, c’est que j’ai été obligée de trouver mes propres solutions. J’ai un mode de fonctionnement assez atypique donc tout ce qui est traditionnel ne marche pas sur moi… Dès que je sortais de rendez-vous psy ou autres, on me disait qu’on ne pouvait rien faire pour moi. Comme je n’avais pas de diagnostic, je n’avais pas de possibilité d’avancer. Toutes ces questions étaient, en plus, hyper taboues à l’époque et il n’y avait pas tous les outils qu’on a maintenant. J’ai creusé et c’est comme ça, par exemple, que j’ai découvert que j’étais haut potentiel émotionnel. L’année 2018, j’ai appris à me connaître vraiment et j’ai arrêté de me fondre dans un moule.
Quel a été le rôle du sport, un terreau essentiel à la reconstruction de toi-même ?
Oui, le sport fait clairement partie de mon kit de survie. Il m’a sauvée. Parce que, gamine, sans le sport, je ne sais pas trop ce que j’aurais fait de ma vie. Et dans un moment plus douloureux, il m’a permis de ne pas sombrer. Le sport est, pour moi, un outil de connaissance de soi. Le mauvais souvenir de cette année charnière a été un tremplin vers ma renaissance.
Tu dis que le sport t’a sauvée, et pourtant, en 2017, il te fait couler… Comment tu as fait pour ne pas en être écœurée ?
C’est vrai que la solution de facilité, ça aurait été de passer à autre chose… mais ce n’est pas dans mon tempérament. Il y a toujours, chez moi, un besoin de se prouver quelque chose, de se dépasser. Et l’effort représente un réel sentiment d’accomplissement pour moi. Quand c’est trop simple, j’ai tendance à penser que ce n’est pas normal.
Comment faisais-tu pour concilier ce tempérament plutôt jusqu’au-boutiste et ta santé mentale ?
Justement, dans mon concept de coach – que je développe depuis 2019 maintenant, j’aime bien allier la performance avec le bien-être mental et physique, en prenant en compte les émotions. C’est de la connaissance de soi au service de son bien-être et de sa performance sachant que ce dernier aspect n’est pas ce que l’on cherche en premier, mais plutôt un bonus.
Par exemple, j’ai récemment gagné une course au scratch général, le trail de l’Estérel. Mais ce n’était pas mon objectif premier. Ce que je recherchais, c’était vivre une belle expérience, des émotions ; c’était partager, revenir à l’essence même de ce pourquoi je fais ce sport. En revanche, il est vrai que j’ai une certaine expérience qui me permet d’avoir une intelligence de course qui m’amène à gagner. Cette fois-ci, j’ai pris le lead de la course entre le 17e et le 20e kilomètre et j’ai doublé quatre mecs ! C’est ce déroulé dans la stratégie que j’enseigne en coaching.
Cette expérience personnelle difficile mais « game-changer » t’inspire donc dans ta nouvelle activité de coach ?
Oui, ça a été une révélation. Je me suis servie de cet enseignement de vie pour transformer mon vécu en une méthode de coaching qui allie les émotions, la connaissance de soi, le mental et la performance. Je me suis donc formée entre 2018 et 2019. En parallèle, j’ai repris le trail, forte de tous ces apprentissages. En 2019, je m’engage sur le Golden Trail World Series, un circuit mondial de trail : toute une aventure et un sacré budget. J’ai alors pour objectif d’être dans le top 10 mondial. Et quand j’ai une idée en tête…
À l’époque, j’étais en CDI donc j’ai organisé tous mes congés autour des compétitions et j’ai demandé un 80 % pour consacrer un jour dans la semaine à mon entraînement. En parallèle, j’ai créé mon entreprise : Côte à Côte Coaching. Et c’est grâce à cette expérience du trail mondial que j’ai peaufiné sur moi, sans le savoir, la méthode que je propose aujourd’hui. Et ça a marché, je suis arrivée 8e ! Il faut savoir que ma méthode est complémentaire à une préparation physique. Ce que j’appelle « l’entraînement invisible », les choses dont on ne s’occupe généralement que lorsque rien ne va plus.
Quel est d’ailleurs le titre ou la performance dont tu es la plus fière actuellement ?
C’est clairement le Golden Trail World Series. Il a beaucoup plus de valeur pour moi que mes titres en championnats du monde. Déjà, parce que c’est un circuit qui réunit tout le gratin mondial du trail. Ensuite, parce que c’est aussi une toute autre mentalité : c’est davantage de la performance brute. Et, enfin, parce que je revenais à l’essence de ce qui m’avait fait courir à la base : l’aventure collective. On pourrait penser que j’étais seule sur le terrain, mais non. Mathieu, qui est devenu mon compagnon entre-temps, est mon « chef de file » en quelque sorte. Je préparais mon plan de course, ma stratégie d’alimentation et de ravitaillement et je lui laissais gérer la coordination. Il donnait les infos à un couple d’amis et à un autre pote qui étaient « sur le terrain » pour me ravitailler. Chacun avait une mission spécifique sur le parcours. C’est un peu comme dans l’automobile, la Formule 1 : chaque seconde compte au niveau mondial.
C’est intéressant, ce système : tu as créé ton équipe et ça t’a permis de performer ?
Oui, je me suis créée mon petit monde de « Bisounours », une bulle de confiance et de soutien inconditionnel. Et j’ai toujours la même équipe aujourd’hui. Ça me permet d’avoir du cran sur le terrain. Sans eux, je n’aurais pas réussi à faire ça, ça aurait été trop dur, voire impossible. Par mes résultats, on pourrait s’imaginer que je suis une machine, mais non. L’aventure collective, la confiance, les émotions partagées, c’est ce qui me porte.
Aujourd’hui, tu concilies ta passion du trail et ton métier de coach mental « Trail et Vie ». Quelle est la spécificité de ton coaching ?
À la base, j’ai commencé avec des traileurs, autant des élites que des amateurs. Ce sont eux qui forment la majorité de mes clients, mais j’accompagne aussi des personnes sur une autre dimension : des entrepreneurs, des dirigeants ou des cadres supérieurs qui ont besoin d’une bulle de bien-être et d’une prise de recul dans leur quotidien stressant. J’accompagne aussi des mamans surbookées. Mon métier est vraiment le coaching mental orienté bien-être durable. C’est un accompagnement holistique : contrairement aux coachings classiques centrés uniquement sur le physique ou la perf’, mon approche lie développement personnel profond, stratégie mentale et reconnexion à soi, ce qui permet de créer un vrai avant/après.
Mon motto : « Utilise tes émotions pour réussir ». J’ai longtemps cru qu’il suffisait d’avoir de la volonté et un bon physique pour performer. Et c’est d’ailleurs ce que pense la plupart des gens. Avec mes expériences de vie et mon introspection, j’ai créé cette méthode qui permet d’avoir des résultats concrets et surtout durables. J’ai démarré mon activité pendant la Covid, mais ça a finalement été le bon moment. Les séances de coaching en visio plaisent beaucoup et, aujourd’hui, je coache aux quatre coins du monde francophone, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, au Canada, à La Réunion, ainsi qu’aux États-Unis et en Afrique du Sud. J’ai autant d’hommes que de femmes en séance.
Est-ce que tu as dû faire face à des barrières dans le monde du trail de haut niveau parce que tu étais une femme ?
Non pas vraiment, en tout cas, pas de la part des hommes. Mais je dirais que les nanas entre elles, en haut niveau, c’est du lourd. Faut se blinder. Moi, ça m’a beaucoup affectée. J’étais trop gentille. Maintenant, quand j’en fait, je me mets vraiment dans la compet’, j’ose prendre ma place.
Est-ce que le fait d’être un rôle-modèle dans le sport, en plus d’être un mentor via ton activité de coach, te nourrit ?
C’est vrai que je reçois énormément de messages, on me dit que je suis très inspirante, ce qui me fait très plaisir parce que j’étais moi-même un peu perdue à un moment et j’ai tout fait pour m’en sortir. Alors si je peux aider, c’est un grand bonheur. Je suis très empathique et un peu utopique : je rêve que tout le monde se sente bien, en harmonie. Moi, j’aurais adoré avoir un phare qui me guide dans les moments où j’errais dans l’obscurité.
Tu écris sur ton compte Instagram : « Vice-championne du monde , j’ai pourtant affronté des défis qui ont mis à rude épreuve bien plus que mes jambes. J’ai compris que le plus grand frein, ce n’était pas mon corps, mais mes pensées ». Tout est donc possible si on sait gérer son mental ?
Oui, et surtout si on a une bonne connaissance de soi, et si, au lieu de refouler ses émotions, on apprend à les accueillir et à les écouter. C’est accepter ses parts d’ombre, le fait de ne pas être parfait. Ce n’est que comme ça qu’on parvient à être à l’aise avec la personne que l’on est. Et ça donne une certaine liberté. Et une certaine légèreté. Résultat ? Tu as moins peur du regard des autres, moins peur de rater, donc tu expérimentes et, enfin, tu t’amuses !
Tu as un exemple, un moment où tu t’es écoutée ?
En 2018, j’étais en tête du trail du Ventoux et j’ai osé abandonner. Et personne n’a compris. Alors que ma victoire à moi, c’était justement de m’autoriser à abandonner. Je montrais une faille pour qu’on me foute la paix. Je montrais que je n’étais pas la machine qu’on imaginait. L’idée du coaching mental et de la gestion du mental, c’est, en effet, de travailler en profondeur sur son mode de pensée. Et savoir comment transformer ses difficultés en moteurs de développement et de croissance. Actuellement, je traverse une avalanche de réalités négatives et douloureuses : perte de mon père, accident de ma mère, chute à vélo et en trail et problèmes personnels de mon côté… Pourtant, je suis toujours debout grâce à tout ce que j’ai mis en place côté mental.
En parallèle de ton activité de coach, est-ce que tu souhaites continuer à performer ou, du moins, à faire de la compétition en trail ?
Aujourd’hui, je fais du trail pour le plaisir, mais j’aime toujours autant les challenges, je les recherche même. Récemment, j’ai remporté le 28km du Grand Raid du Ventoux by UTMB devant de jeunes pointures actuelles. J’ai aussi refait Sierre Zinal et participé au Cross du Mont-Blanc, en 2023. J’ai gagné. Ce qui n’était pas du tout prévu. Quelle émotion !
- Pour suivre Amandine Ferrato, rendez-vous sur son Instagram @amandine_coach_trail_et_vie
- Le palmarès de Amandine Ferrato : 2017 : Vice-Championne du Monde de trail / Championne du Monde par équipe / 3e Française à boucler la mythique course de Sierre Zinal en moins de 3h10. 2018 : Vice-Championne du Monde de trail par équipe (Format 85km). 2019 : 8e mondiale aux Golden Trail World Series. 2023 : 1re Cross du Mont-Blanc. 2025 : 1re Grand Raid Ventoux by UTMB
Ouverture ©️Amandine Ferrato