Antoine Bréard« Que je photographie une sportive ou un sportif ne change rien, le sport, c’est avant tout de l’émotion. »

Photo...griffe, Antoine Bréard/Carissa Moore
ÀBLOCK! lance une série consacrée aux photographes de talent, pros ou amateurs, qui ont l'œil pour mettre en lumière les femmes dans le sport. Mais pas que...car le sport n'a pas sexe, c'est en tout cas ainsi qu'Antoine Bréard voit les choses. Journaliste et photographe, il balade son objectif sur tous les terrains de sport depuis maintenant une dizaine d’années. Il partage, avec ÀBLOCK!, 5 clichés qui lui ressemblent.

Par Sophie Danger

Publié le 09 mai 2022 à 14h49, mis à jour le 26 décembre 2022 à 16h30

Comment la photo s’est-elle invitée dans ton parcours ?

J’ai commencé à faire de la photo, gamin, quand j’ai reçu un appareil pour un de mes anniversaires. J’avais 11-12 ans, je crois, et j’étais ultra nul ! Le problème, c’est que c’était l’époque des pellicules et que la photographie était un loisir qui coutait cher. Plus tard, j’ai eu envie d’être journaliste et je me suis concentré sur l’écrit.

La photo n’est réapparue qu’après mes études. Au début de mon parcours professionnel, elle était avant tout un support pour mes textes, un complément de l’écrit. Elle n’est devenue un réel argument dans ma carrière que depuis une dizaine d’années.

Avec quels supports as-tu collaboré ?

J’ai publié dans pas mal de supports. Je travaille beaucoup en tant que freelance pour les ligues, les fédérations. Mes photos sont souvent sur les sites web, mais aussi dans de la presse plus traditionnelle. J’ai déjà eu des publications dans l’Équipe, l’Équipe magazine, Le Monde, Le Figaro, le mook féminin Les Confettis…

Je fais aussi ce que l’on appelle du « corporate », j’ai travaillé pour Groupama, Hyundai, la NBA…

Qu’est-ce que tu aimes dans cet exercice ?

Ce que je trouve intéressant en photo, c’est le côté technique, le fait qu’il faille atteindre un certain niveau pour réussir à faire quelque chose de sympa. C’est un exercice qui demande également d’avoir une certaine sensibilité à l’image et cette sensibilité se cultive.

Enfin, ce que j’aime dans la photo, c’est l’instantanéité. Contrairement à la vidéo, si tu n’arrives pas à saisir le moment, il n’y a aucun retour en arrière possible.

Une belle image, c’est quoi pour toi en tant que professionnel ?

Il y a deux choses : il faut qu’il y ait de l’émotion, ça reste quelque chose de basique, et, en ce qui me concerne, un côté graphique. J’aime les compositions symétriques, bien équilibrées, avec un joli fond bien propre, le sportif bien au milieu…

Aussi, il faut saisir « un moment », c’est-à-dire qu’il faut qu’il se passe quelque chose dans la photo, il faut de l’action. La photo doit raconter l’instant. Tout ça, c’est une question d’œil, ça dépend de ce que tu vas chercher, de ce qui t’intéresse.

Tu as sélectionné pour nous cinq de tes photos…

Oui et si j’ai choisi quatre filles, j’ai aussi choisi une photo de mec, parce que c’est une des photos que j’ai faite récemment et que j’aime bien. Pour moi, photographier une sportive ou un sportif ne change strictement rien, je prends les évènements de la même manière : c’est du sport et quelqu’un qui en fait. Ce qui m’intéresse, ce sont les émotions qu’apportent le sport.

Ton cliché N°1 ?

Je suis assez client de ce que l’on a coutume d’appeler « les petits sports », les sports moins médiatisés que le foot, par exemple. Je vais avec grand bonheur sur ces évènements. Là, c’était la première fois que j’allais couvrir de la natation synchronisée.

©Antoine Bréard

Dans cette discipline, tu peux aller chercher de la symétrie, de la répétition pour faire des images très graphiques. C’est le cas sur celle-ci, il y a un gros travail esthétique. Ce n’est pas une photo hyper informative mais c’est le genre de travail qui peut servir à illustrer un sujet natation synchronisée sans précision de date, de noms… Elle peut être utile dans le temps, servir plusieurs fois.

Cette photo, je l’ai également choisie parce que, comme je suis autodidacte, il y a des techniques que j’ai mis du temps à acquérir et que je n’utilise pas très souvent. C’est ce qui s’est passé pour celle-ci avec un déclenchement très lent pour avoir un effet peinture avec le flou et seulement un net au milieu.

Ça donne un côté un peu peinture au couteau avec les couleurs très marquées, des blancs plus longs et ça me plaît bien. Il y a un peu de chance dans cette réalisation, ça compte un peu, mais il y a de la technique, du travail.

Ton cliché N°2 ?

J’aime beaucoup cette deuxième image. Je l’ai prise il y a deux ans, en prévision des Jeux Olympiques. La gymnaste, c’est Mélanie De Jésus Dos Santos. Je la suivais un peu, je me tenais au courant de ses résultats et j’avais envie de proposer un sujet sur elle, un sujet qui est sorti dans Les Confettis.

©Antoine Bréard

D’ordinaire, en ce qui concerne la poutre, beaucoup de photos sont prises dans un axe perpendiculaire et moi, j’avais envie de la monter dans l’autre sens. Au final, je trouve que la photo est assez équilibrée.

Il se passe quelque chose parce qu’on a l’impression qu’elle est en lévitation au-dessus de la poutre, les couleurs sont bien tranchées. L’habit blanc fait beaucoup, on dirait qu’il y a un côté un peu christique, un peu ange.

Je trouve que c’est une belle photo de sport parce qu’on se rend compte de la difficulté, de la dangerosité de la discipline. La poutre est suggérée, mais elle est importante sinon on ne comprend pas l’ensemble. Avec ce petit bout d’agrès qui dépasse, on réalise qu’elle est à l’envers dessus.

Les gymnastes sont des athlètes hors du commun dans la précision, le dynamisme, la musculature, la souplesse et, dans cette photo, on entrevoit beaucoup de puissance mais aussi beaucoup de douceur, notamment à travers les doigts, on sent la recherche d’équilibre.

Ton cliché N°3 ?

Ce troisième cliché, je l’ai choisi pour deux choses. Tout d’abord, parce que le sport c’est de l’émotion et là, on voit une vraie joie, celle de Carissa Moore. Ce genre de photo fonctionne toujours bien. Par exemple, quand tu shootes un type qui célèbre un but avec le sourire, les bras écartés, tu sais que ta photo a plus de chance d’être diffusée que le cliché du but en lui-même.

©Antoine Bréard

Donc, là, on partage une joie « pure et dure » avec cette surfeuse. Ensuite, c’est ce sport, le surf, qui est une des disciplines dont je dévorais les articles dans les magazines spécialisés alors que je rêvais d’être journaliste et photographe.

Dans mon parcours, je suis venu très tard à la photo de surf parce qu’il faut un matériel adapté, du gros téléobjectif et que ça coûte très cher. J’ai mis du temps à pouvoir me l’acheter. Ce cliché a été pris lorsque je suis allée à Hossegor, aux Championnats du monde, pour la deuxième fois de ma carrière.

J’aurais pu choisir une photo de Jérémy Florès, c’est lui qui remporte l’épreuve chez les garçons, mais j’aime bien Carissa Moore, je trouve que c’est une superbe athlète, elle dégage quelque chose d’hyper solaire et ça se voit sur la photo, on sent qu’elle est vraiment contente. Et puis là encore, il y a du bleu, ça donne envie de partir en vacances.

Ton cliché N°4 ?

L’escrime, c’est un sport que je trouve très beau à regarder et encore plus aujourd’hui parce que mon fils le pratique. Là, je devais être à la demi-finale du CIP à Paris en 2020. Ce qui est chouette dans ce type de match, c’est qu’il y a une mise en scène assez jolie : le noir dans la salle, la lumière blanche qui descend sur la piste.

©Antoine Bréard

On sent tout de suite une ambiance et, en termes de photos, on sait immédiatement que ça devrait être gagnant. Sur cette image, je trouve que le geste est hyper beau et qu’on est vraiment dans l’instant, celui où Enzo Lefort a tenté de faire une touche dans le dos en sautant.

Ce qui est drôle dans ce cliché, c’est que l’on pourrait penser que c’est le Français qui met la touche alors que non, c’est une riposte et ce n’est pas lui qui obtient le point.

Dans les sports en général, mais plus encore dans les sports de combat, je trouve qu’il y a vraiment quelque chose avec les corps. Ici, il y a une tension incroyable, Enzo Lefort est en extension, le mouvement est compliqué. Il y a aussi un côté soumission-domination qui se lit tout de suite.

Moi qui fais de la photo de flux, il faut que je puisse produire des images « bankables », des images qui vont être vendues car c’est malheureusement aussi le nerf de la guerre, et je pense que c’en est une.

En photo, on ne peut pas juste aller faire de jolies images pour soi, s’amuser toujours à aller chercher le détail, il faut aussi des images qui claquent, qui illustrent un propos le mieux possible.

Et ton cliché N°5 ?

Dans ma pratique de journaliste, je cherche à être polyvalent, c’est quelque chose qui me plaît, qui me motive. Je ne veux pas me contenter d’une seule discipline, je veux être tout terrain.

Peut-être que je ne serai jamais excellent dans un domaine donné, mais ça me satisfait davantage de n’être pas trop mauvais dans plusieurs domaines différents.

©Antoine Bréard

C’est aussi pour ça que j’ai choisi des disciplines très différentes ici. Cette photo-là, c’est le seul cliché photo posé que j’ai sélectionné. C’est un portrait de commande pour un sponsor, Groupama, qui réalisait une opération autour du cyclisme pour tous.

La prise de vue a eu lieu dans un joli village accroché au Cévennes. J’avais envie de donner à voir le lieu aussi et c’est pour ça que le plan est assez large. J’aime bien le décor, le côté humide, l’éclairage un peu brut, froid sur le côté mais doux en même temps.

J’ai beaucoup discuté avec la sportive qui pose. Elle est Anglaise et vit en France. Ce que j’ai aimé, c’est qu’elle a déjà un certain âge, or on a plutôt l’habitude de voir des sportifs jeunes. J’aime mettre en avant les gens qui font du sport, peu importe le niveau, le sexe, l’âge.

J’aime aussi le sport parce qu’il a beaucoup de vertus. Des vertus qui aident au quotidien et je suis toujours heureux de voir des gens qui s’adonnent à leur passion avec beaucoup de gentillesse, de disponibilité, juste pour le bonheur d’être ensemble. Et elle, elle incarne bien ça.

Ouverture Carissa Moore ©Antoine Bréard

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